Juriste-consultant, Sékou Oumar Camara analyse pour Guineenews la modification de certaines dispositions de la loi L054/CNT/2013 portant statut des magistrats en Guinée. Prenant le contrepied de la plupart des analyses, il croit que la modification ne pousse pas à dévaliser les facultés de droit en Guinée. Parlant des magistrats, il croit que pour garantir leur intégrité, il faut aller au-delà de mieux les payer. Entretien !
Guinéenews : selon vous qu’est-ce qui explique cette modification de la loi organique sur le statut des magistrats. Cette modification était-elle nécessaire ?
Sékou Oumar Camara : A mon avis, il y a au moins deux explications possibles à donner à cette modification. D’abord, si vous lisez la loi organique de 2013 sur le statut des magistrats, vous y remarquerez la liste des fonctions judiciaires. Par exemple, à l’article 5, on vous donne la liste des magistrats de siège. Et, au niveau de l’article 6, on vous donne la liste des magistrats de parquet… En 2017, on a créé un tribunal de commerce à Conakry. Et, en 2021, une loi a été adoptée pour la création des juridictions de commerce (cours d’appel et tribunaux de commerce). Alors, les fonctions judiciaires qui sont exercées au sein de ces juridictions commerciales ne figurent pas dans la loi organique portant sur le statut des magistrats. Certains membres de ces juridictions sont des magistrats et il faut qu’ils soient soumis au statut des magistrats. Si ces personnes ne sont pas soumises à la discipline des magistrats, le justiciable est en insécurité. Parce qu’en cas de faute d’un des magistrats de ces juridictions de commerce, le texte étant muet sur la question, le justiciable ne saura pas s’il doit saisir le Conseil supérieur de la magistrature ou pas. Puisqu’il s’agit d’un contentieux impliquant des juristes, il est facile de comprendre que le magistrat fautif pourra arguer qu’il n’est pas régi par le statut des magistrats. A mon avis, il s’agit là de la première explication.
Comme deuxième explication, il est possible que le gouvernement décide de créer des juridictions spéciales. Si c’est le cas, il faudrait que les magistrats au sein de ces juridictions soient aussi régis par le Conseil supérieur de la magistrature pour les mêmes raisons que je viens d’évoquer.
À lire aussi
Dans leurs analyses beaucoup de juristes estiment qu’avec cette modification, les facultés de droit vont se vider au profit de la magistrature. Qu’en dites-vous ?
A mon avis, il s’agit d’une très mauvaise interprétation de la loi. Si vous lisez très bien cette loi, vous comprendrez qu’il y a un principe en ce qui concerne le recrutement et la formation des magistrats : le magistrat chez nous est recruté après l’obtention d’un diplôme de master en droit, formé dans une école de magistrature et engagé par l’Etat. C’est là le principe. Ce principe ne change pas et il est même valable dans la plupart des pays d’Afrique francophone. Dans la formation de la loi, cela est même assez clair. On dit : ‘’ peuvent ‘’ être nommés magistrats. Cela veut dire que c’est une option pour l’Etat et cela ne peut qu’être quelque chose de particulièrement marginal. Par exemple, l’Etat peut avoir le besoin de nommer un magistrat ou un enseignant qui exerce en Guinée ou à l’étranger et qui a des compétences dont les magistrats actuels ne disposent pas. Dans ces conditions, je ne vois aucune raison qui devrait empêcher l’Etat de le faire. Cela ne veut pas aussi dire qu’un enseignant ou chargé de cours qui a son master 2 et un professeur agrégé que l’Etat recruterait comme magistrat auront le même grade et le même traitement. Non ! L’Etat n’accorderait pas non plus les mêmes avantages à un avocat qui a juste cinq ans d’ancienneté et un autre qui a 15 ans ou 20 ans d’ancienneté. S’il les recrute, il ne va pas les traiter de la même façon. Et, peu importe la durée d’ancienneté ou le corps d’origine de celui qui va être recruté, il suivra une formation en pratique de la magistrature. Cette formation ne sera certainement pas longue que pour celui qui vient juste de sortir de l’université, elle ne va pas donner droit à la délivrance d’un brevet de magistrat, mais la personne devra la suivre. Il est clair qu’on ne va pas sortir quelqu’un de son cabinet d’avocat ou de sa faculté de droit, le poster quelque part pour juger, sans un minimum de familiarisation avec la pratique de la magistrature. Même si on suppose qu’avec son niveau intellectuel et son expérience dans la pratique du droit, il sera relativement facile pour cette personne de s’adapter à son nouveau métier.
Parlant des magistrats, il faut dire que beaucoup de décisions ont été prises pour garantir leur indépendance (statut particulier, amélioration de leur rémunération…) En dépit de tout, les magistrats restent décriés par les justiciables. Que faut-il de plus pour que la justice guinéenne puisse convaincre ses justiciables ?
La question est très pertinente parce que cela prouve qu’il ne s’agit pas de bien payer les magistrats pour garantir leur indépendance, pour garantir leur intégrité et même pour garantir leur performance professionnelle. Il y a donc autre chose au-delà de la rémunération. Je suppose qu’il faut améliorer la formation initiale des magistrats, non seulement d’un point de vue purement technique de la magistrature, mais aussi en matière de déontologie. Mais au-delà de tout cela, il faut sanctionner. Il faudrait que l’inspection des services judiciaires fonctionne normalement, il faudrait que le conseil supérieur de la magistrature fonctionne normalement, il faudrait que les justiciables et toute la société joue sa partition pour s’assurer que les magistrats sont effectivement intègres. Parce qu’il s’agit essentiellement d’un problème d’intégrité même si certains se plaignent parfois de la qualité des décisions rendues. Il paraît qu’au niveau de la Cour de justice de l’OHADA, pratiquement toutes les décisions qui viennent de la Guinée sont cassées. C’est un fait qui doit nous interpeller et comme je l’ai déjà dit, cela prouve encore une fois qu’il ne s’agit pas de bien payer les gens.