Papa Kouyaté est un musicien guinéen actif depuis au début de l’indépendance. L’homme débute sa carrière artistique à Mamou où il est membre de l’orchestre Bafing Jazz, en compagnie des célébrités de la musique guinéenne comme Amadou Balakè, Tirango, Orphé et l’ancien ambassadeur de Guinée en Allemagne, feu Abraham Doukouré.
Celui, dont le prénom est tiré du Saint Coran en sa première sourate, se nomme Djéli Fathia Kouyaté à l’état civil, né à Kouroussa où il décide, un jour, de s’infiltrer frauduleusement dans une des cabines du train assurant alors le transport entre Conakry et Kankan. Destination, Mamou, chez son grand-père feu Alpha Midiaou de Kèbali, ce grand griot qui est longtemps resté au service des Almamys du Fouta.
A son arrivée, le jeune « aventurier » est donc conduit à l’école primaire de la Poudrière avec pour directeur d’école un certain M. Baïlo. Alors sur les bancs, l’écolier, avec ses copains d’âge, prend également part aux cérémonies de réjouissance, notamment les mariages, les baptêmes et autres manifestations culturelles. Des circonstances qui finiront par lui donner le goût les instruments de musique.
Une lente mais sûre passion qui l’emmène de sitôt à taper sur les tables-bancs de l’école même pendant les heures de cours. Mais l’attitude dérangeante est vite réprimée par le directeur de l’école le jour où Papa Kouyaté est surpris dans son acte incommode à la bonne tenue des cours. Ce dernier le met face à deux alternatives entre lesquelles l’icône en herbe est sommée de choisir l’une : soit rester en classe sans faire de bruit, soit libérer carrément la cour de l’école pour les autres qui veulent apprendre.
Ainsi, le jeune élève opte pour sa passion qu’il privilégie au détriment des études. Il quitte donc les bancs sans arriver à la maison familiale de son grand-père et prend la fuite pour Dalaba. Des semaines durant, le petit Papa, vêtu d’un caftan noir tous les jours, passe la nuit sur les tables du marché de Dalaba.
L’heureuse chance lui sourit un matin quand un artiste local surnommé « Pélé » le croise. Il dépeint sa situation à ce dernier qui le prend aussitôt pour l’emmener chez lui. Le talent du jeune batteur qui sommeille en lui ne tarde pas à se faire découvrir quand, peu après, Papa Kouyaté commence à prester au sein de l’orchestre préfectoral de Dalaba.
Pendant ce temps, sa grand-mère, à partir de Mamou, est informée de la présence de son chouchou de petit-fils dans cette ville voisine de Dalaba. Elle part donc le dénicher de son retranchement pour le ramener à Mamou. Ici, l’homme bâtit sa notoriété sur les percussions et dompte le cœur de plus d’un Mamounais (citoyen de Mamou) lorsqu’il intègre l’orchestre de cette préfecture du Fouta, le Bafing Jazz.
A la faveur de l’organisation du premier Festival National des Arts et de la Culture à Conakry, Papa Kouyaté débarque dans la capitale guinéenne. Sur le site qui abrite cette manifestation, qui est situé à Coronthie, à quelques encablures du ministère de la Jeunesse et du garage des chemins de fer, l’orchestre de Mamou relève sur le podium le mythique Bembeya Jazz National. L’occasion est donc opportune pour que le génie de Papa fasse preuve de son talent.
Et voilà que Kèlètigui est ébloui par la prestance et l’aisance avec lesquelles Papa Kouyaté manie son instrument. Séance tenante, ce chef d’orchestre émet le souhait -envers le ministre de la Culture d’alors- d’aider à avoir le jeune prodige Papa Kouyaté dans son écurie. Un courrier est rédigé à cet effet et est envoyé à Mamou après le festival. Le 20 octobre 1966 donc, Papa Kouyaté dépose ses valises à la Paillotte de Conakry qu’il habite d’ailleurs depuis le 20 octobre 1966.
Avec l’orchestre Kèlètigui et ses tambourini, le fou du rythme, comme on l’appelle affectueusement, joue tous les instruments de percussion et chante de nombreux titres, notamment Donsokè et Miri magnin, aux côtés du célèbre guitariste Lènkè Condé, aujourd’hui malade. Une école où il apprend assez de connaissances auprès de ses ainés de collègues.
Au lendemain du deuxième Festival National, une descente survient à son domicile, sis à la cité Camayenne. Ce jour, trois gendarmes débarquent chez Papa Kouyaté. A sa première vue de ces hommes en treillis, l’artiste épouse une peur bleue, parce que pensant à l’époque à la fameuse prison du Camp Boiro. Mais les gendarmes lui demandent de rester calme et que c’est le président qui veut le recevoir.
« Quel président ? », les interroge-t-il. « Mais il y a combien de présidents en Guinée ? », rétorquent les visiteurs à la fois indésirables et redoutés. Inquiété par le sort qui pourrait bien être le sien, Papa Kouyaté tente de leur faire savoir qu’il n’est pas politicien, n’a pas un parent qui fait la politique, encore moins, qu’il ne noue pas un quelconque commerce avec la Présidence de la République, avant de dire que lui, il est le jeune frère de Papa que les gendarmes sont venus chercher, et qui se trouverait en déplacement, malheureusement.
Des réponses qui ne rassurent les émissaires du président de la République. Et ayant vu que les gendarmes ne vont pas le laisser sur place, il rentre dans chambre pour changer de tenue. Paniqué, il porte le pantalon à l’envers. Ce sont les gendarmes même qui lui feront comprendre que son pantalon n’était pas convenablement porté. Et Papa tout tremblotant, se change à nouveau.
Arrivé au Palais, il trouve le président de la République en train d’écrire, avec la manche droite de la chemise retroussée et l’autre carrément descendue jusqu’au poignet, tenant par-là sa mèche de Milo. « Bonjour, Papa ! Bonjour, grand président ! Bonjour, responsable suprême de la Révolution ! » Par trois fois de suite, Papa salua sans avoir eu droit à une réponse.
A côté, se trouve une dame qui arbore le Lépi (textile du Fouta): c’est Myriam Makeba qui doit voyager ce jour-là même sur l’Italie. Mais il y a de petites bisbilles entre elle et ses musiciens, alors que Myriam est obligée de se rendre à Milan où elle a déjà donné l’engagement d’y être pour se produire.
En présence de l’ancien Premier ministre Lansana Béavogui, le président Sékou Touré ordonne à son hôte d’aller se faire servir un plat de lafidi. Ah que voilà le musicien Papa qui ne peut pas manger. Par deux fois de suite, la cuillère lui tombe par devers lui. Le président lui donne l’assurance de ne pas avoir peur et qu’il l’a fait venir pour qu’il accompagne Myriam Makeba en Italie, ce soir. Jusque-là essoufflé, le musicien, comme par degré, commence à revenir peu à peu sur terre.
Ordre est donné à feu Sékou Chérif, alors ministre de la Sécurité, de lui confectionner un passeport durant les heures qui suivent. Et à l’ambassadeur d’Italie en poste à Conakry, il est intimé d’accorder un visa à Papa avant le vol prévu à 18H, à défaut de quoi il l’embarquera définitivement pour son pays.
Plus ou moins rassuré et désormais débarrassé de la peur qui l’habitait jusque-là, Papa Kouyaté dit au président qu’il n’a pas d’habits pour voyager. Mais son inquiétude est vite écartée par Myriam qui promettra de l’habiller à partir de Paris. A l’aéroport Roissy Charles De Gaulle, Myriam honore son engagement en achetant des habillements pour son nouveau batteur dont la valeur marchande fait 2000 dollars, soit deux valises d’habits, un walkman et des cassettes.
A Milan, Myriam Makeba sera honorée par la prestation remarquable de son nouveau collaborateur. Et de retour à Conakry, elle rend fidèlement compte de ce qui s’est passé en Italie où le prolixe batteur l’a émerveillée en même temps que le public mélomane mobilisé pour la circonstance. Au nom donc de la Révolution, le président Ahmed Sékou Touré félicite et bénit le phénoménal instrumentiste. Et c’est l’établissement de la courroie de transmission entre Myriam et Papa pour vingt-deux ans de collaboration auréolée de multiples succès engrangés à travers le monde.
Auteur, compositeur et arrangeur, Papa Kouyaté porte à son arc plusieurs chansons. Notamment Dièrèwolo du Syli Authentique. Très ami avec feu Aboubacar Demba Camara, Papa Kouyaté est resté avec ce dernier à son domicile lorsque le chef d’orchestre du Bembeya, Hamidou Diaouné, est venu chercher Demba pour son voyage sur Dakar où l’artiste périt dans un accident de la circulation, le lendemain. Consternation !
Pour honorer la mémoire de son défunt ami, en compagnie de MC et de son frère Camara, de Bounsély et de Mory Diabaté, actuel administrateur du Palais du peuple, Papa Kouyaté crée un groupe dénommé Camayenne Sek Sept. Au regard de l’époustouflant succès du jeune groupe, il va vite migrer vers le statut d’orchestre à part entière, avec l’appellation de Camayenne Sofa. Le nouvel orchestre conquérant sitôt le cœur des mélomanes de Conakry, l’ordre viendra du responsable suprême de la Révolution de faire appartenir l’orchestre privé à une fédération. Camayenne Sofa devient ainsi l’orchestre de Conakry 2.
Voyant le Syli Authentique (alors appelé Orchestre des pionniers) battre de l’aile, Papa Kouyaté y voue toute son âme et toute son énergie pour le rehausser, à Dixinn Oasis, chez Tantie Adèle, en compagnie de Yaya Bangoura et Réné, entre autres. Par la suite, il met en place le mouvement Tanka Tanka. Ce label qui, plus tard, mettra en confrontation le Syli Authentique et Camayenne Sofa dans la salle des fêtes de l’université Gamal Abdel Nasser.
Aussi, Papa Kouyaté compte de nombreuses tournées avec le Bembeya Jazz National et l’orchestre Balla et ses baladins. Pour lui, l’Homme, c’est la dignité, l’honneur, la personnalité et la culture. Des vertus qu’il a bien su élever en lui. C’est pourquoi il élèvera les Petits sorciers, il y a 16 ans. Puis, les Grands sorciers de Papa Kouyaté 10 ans qui forcent l’admiration et fouettent l’orgueil des nombreuses générations à être comme eux. Tant est grande la fierté de les avoir.
Vivant aujourd’hui avec une maladie d’yeux ayant réduit drastiquement sa vision, Papa Kouyaté se dit fier de son passé et porte dans son cœur des personnes d’obédiences professionnelles diverses dont des journalistes, des acteurs de la Culture et des hommes d’affaires. Il s’agit essentiellement du consultant sportif Thierno Saïdou Diakité, du Secrétaire général du ministère des Sports, de la Culture et du Patrimoine historique, Fodéba Isto Keira, du directeur national de la Culture, Jean-Baptiste Williams, du journaliste Bouba Camara de la RKS, du président de la Féguifoot, Antonio Souaré, et des hommes d’affaires Lamine Komara, Mohamed Condé et KPC, entre autres, qui ne cessent de magnifier ses oeuvres en restant reconnaissant de son combat à promouvoir la Culture guinéenne.