Près de 30 ans de prestations au sein des Ballets Africains de Guinée, la première épouse de feu Hamidou Bangoura, ex-Directeur Général des Ballets Africains, Hadja Nalo Camara est la fille d’un ancien moniteur du nom de feu Karim et de feue Bountouraby Sylla, et est née en 1945 à Boffa. Mariée et veuve, elle est mère de 6 enfants dont 2 filles. Dieu ayant donné et repris, au nombre de 6 enfants, il ne lui reste vivante, que sa benjamine.
Malgré qu’elle soit issue d’un père éducateur et qui l’avait sérieusement malmenée à cause des études, Hadja Nalo Camara s’était entêtée, et a très tôt troqué les bancs de l’école au profit de l’art. Très jeune à Boké, elle a aimé la danse, et a appartenu à une troupe locale qui sillonnait toute la contrée, et même quelques fédérations du pays.
A l’image de plusieurs autres célèbres artistes de nos ballets nationaux au temps de la Révolution, qui ont gravit l’échelle à partir de la base au sommet, Hadja Nalo Camara n’a pas échappé à cette règle de la structure de l’Etat d’antan. Elle s’est retrouvée au sein des Ballets Africains de Guinée, après avoir aiguisé ses premières armes au niveau du comité, de la section et de la Fédération de Boké.
Guinéenews l’a rencontré au domicile de son ex époux, feu Hamidou Bangoura, dans le quartier de Matam.
C’est un entretien qui a été interrompu tout le long, par des pleurs à chaudes larmes de notre invitée. Hadja Nalo est une femme assez abattue par le cours des évènements vécus, qui s’est livrée aux questions de la rubrique ‘’Que sont-ils devenus ?
Dans cet entretien, Hadja Nalo Camara nous explique comment elle est venue à l’art malgré l’opposition de son père, du parcours qui l’a conduite dans les Ballets Africains de Guinée et des célèbres rôles d’actrice principale jouer dans les Ballets. Aujourd’hui malade, elle livre le contenu de son carnet de santé, ses maigres ressources financières face à son ultime projet de construction. Très déçue dit-elle de la fin qu’a connu son célèbre mari, elle lance un appel en faveur des célébrités d’hier, afin de retrouver après le crépuscule, des lendemains meilleurs.
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Guinéenews : Bonjour Hadja Nalo et encore une fois, recevez nos vœux de sincères condoléances, suite au décès de votre époux feu Hamidou Bangoura. Vous avez été artiste des Ballets Africains de Guinée depuis 1959. Dites-nous comment vous aviez escaladé toutes ces marches, pour vous retrouver au haut du palier de l’art guinéen ?
Hadja Nalo Camara : Je vous remercie pour la visite, et je prie Dieu de réserver le paradis à mon cher époux, qui va me manquer pour toujours. J’ai commencé très tôt à m’intéresser à l’art, malgré cette farouche opposition de mon père, qui était un Directeur d’école. Contre toutes les bastonnades qu’il m’infligeait, j’ai résisté et finalement abandonné l’école au profit de l’art (danse). J’ai commencé le théâtre et la danse à Boké, en compagnie de feu M’Bady Tomboya, qui était le Directeur de notre troupe, de Bangaly Oularé qui vit présentement à Paris et de Niane qui est toujours à Boké. Notre troupe partait souvent pour des représentations dans les villages et arrondissements de Boké, et même dans quelques fédérations du pays. J’ai commencé à danser par le quartier, ensuite la section puis la fédération. J’ai appartenu à toutes ces différentes troupes avant d’intégrer les Ballets Africains de Guinée.
Guinéenews : Qu’est-ce qui vous a motivée à aimer l’art et à tel point d’abandonner l’école ?
Hadja Nalo Camara : Jusqu’ici, je me dis que c’est par amour et simple passion de jeunesse que j’ai aimé l’art. A mon enfance, j’ai beaucoup aimé la mode de couture qu’on a appelé ‘’Témouré’’, et j’ai d’ailleurs été surnommée ‘’Nalo témouré’’ à cause de mon penchant pour cette couture, qui rimait avec le rythme de danse appelée du même nom ‘’Témouré’’. J’ai aussi aimé le ‘’maanè’’. Jusque-là où je suis assise devant vous, malgré mon âge et mon état de santé, je peux vous exhiber admirablement les pas de danse du ‘’Témouré’’ et du ‘’ maanè’’, et je n’avais que 12 ans à l’époque. Mon amour pour l’art n’est qu’un problème de choix et de passion.
Guinéenews : Après toutes ces étapes franchies du comité à la fédération de Boké, dites nous comment avez-vous intégré les Ballets Africains de Guinée ?
Hadja Nalo Camara : C’est à l’occasion du retour de feu Fodéba Kéita en Guinée avec les Ballets africains, que plusieurs artistes des ballets de l’intérieur du pays, ont été recrutés au sein des Ballets africains de Guinée. Ce fut mon cas car, je dansais déjà dans le ballet fédéral de Boké. La délégation venant de Conakry pour le recrutement, était composée de feu Facély Kanté et de feu Bangoura Salifou, et c’est suite à une audition (danse) que s’est effectué la sélection des artistes. Quand mon tour arriva, et que je fus présentée à la délégation, c’est ma corpulence qui suscita une hésitation, puisque j’étais vraiment petite. En observant ma poitrine (excusez-moi), je fus sélectionnée pour l’audition au cours de laquelle, j’ai dansé le ‘’témouré’’ et le ‘’maanè’’. Pour la fédération de Boké, nous étions au nombre de 5 artistes qui ont été recrutés. Il y avait Manana Cissé, qui dirige actuellement les Ballets africains, Bilguissa Diallo, Kétou, Sokhona Diong et moi Nalo camara. Nous avions été recrutés en 1959, après une autre audition à Conakry et suite à un stage de formation qui s’était déroulé à Kassa, sanctionné par une autre audition finale. Voilà comment j’ai intégré les Ballets africains de Guinée.
Guinéenews : Vous aviez été recruté une année après l’indépendance (1959). On peut affirmer que vous faites partie des premiers artistes sociétaires des Ballets africains de Guinée, différent des Ballets africains de Fodéba Kéita. Alors aviez vous joué des rôles de premier plan, dans ce nouveau lot d’artistes recrutés ?
Hadja Nalo Camara : Au sein des Ballets africains de Guinée, j’ai joué deux rôles d’actrice principale dans les numéros ‘’Minuit’’ et ‘’Makhadi’’. Le premier rôle, je l’ai interprété en compagnie de mon défunt époux et en ce moment, il n’y avait aucun lien de mariage entre nous. De passage, je vous apprends que je fus mariée par feu Hamidou en 1967, après 2 ans de fiançailles. Ce mariage a été célébré par feu Président Ahmed Sékou Touré et Hadja Andrée Touré fut ma marraine. Dans les autres numéros des Ballets, j’ai toujours participé à la danse et au chœur dans l’ensemble. Un moment, j’avais commencé à interpréter le rôle d’actrice principale dans ‘’Tiranké’’ et finalement ce rôle a été confié à Fanta Kaba, qui fut très célèbre à notre époque.
Guinéenews : Après votre recrutement, peut-on connaître vos premières destinations en dehors de la Guinée ?
Hadja Nalo Camara : C’est à la même année de mon recrutement en 1959, que j’ai effectué en compagnie des Ballets africains des tournées à l’extérieur, notamment en Bulgarie, au Maroc et en Tunisie. J’avoue que pour la suite, j’ai beaucoup voyagé avec les Ballets africains de Guinée. J’ai fait plusieurs fois le tour du monde.
Guinéenews : Qu’est-ce que toutes ces grandes tournées en compagnie des Ballets africains vous ont-elles rapporté ?
Hadja Nalo Camara : Je dirais que je n’ai rien eu, sauf un bon mari qui m’a aimée jusqu’à ses derniers jours. J’ai aussi beaucoup voyagé, j’ai eu des relations et de la notoriété à notre époque.
Guinéenews : Vous n’aviez pas laissé de traces en termes de réalisations ou de projets en cours durant tout ce temps ?
Hadja Nalo Camara : Concernant la progéniture, après 6 maternités, je n’ai présentement qu’une seule fille vivante, et c’est elle ma benjamine, donc la seule qui me reste. Pour d’autres traces, c’est une très bonne question, et qui vient à point nommé. Le défunt président Ahmed Sékou Touré avait offert aux artistes des parcelles, en plus de tous les matériaux de construction. Mes parcelles étaient situées à la Bellevue, du côté de la boucherie. En tournée à l’extérieur du pays, j’ai été expropriée de ce domaine.
Guinéenews : A l’époque, aviez vous reçu tous les documents afférents à l’octroi de ce domaine ?
Hadja Nalo Camara : Bien sûr et en partance pour des tournées, j’avais remis tous les documents à une belle sœur, du nom de Jeanne, qui travaillait à l’habitat et qui vit actuellement à Bruxelles. D’après elle, le domaine avait été saisi, et après toutes les tentatives de récupération, rien n’avait abouti. Aux 400 bâtiments à Boké, j’avais d’autres parcelles. J’ai été dépossédée de ces parcelles aussi, et finalement après toutes les revendications qui n’aboutissaient pas, de ce côté, j’ai préféré sauver ma pauvre tête, et allez-y comprendre le reste, nous sommes en Afrique. J’avais un autre domaine aux TP (Travaux publiques) de Boké. Là, une école a été construite sur mon domaine de 7 parcelles, et en compensation, ils ne m’ont légué que 2 parcelles vers l’aéroport, dont j’ai circonscrit les pourtours. C’est le seul domaine qui me reste présentement, et que je veux mettre en valeur.
Guinéenews : Avez-vous des ressources disponibles pour faire face à ce projet de construction et dites nous quelles sont actuellement vos sources de revenus ?
Hadja Nalo Camara : Avant de parler de ce qui est disponible, parlons tout d’abord des sources de revenu. Je n’ai que deux sources de revenu à savoir, les droits d’auteurs que le BGDA me donne, et les indemnités de 5.000.000 FG octroyées par le gouvernement. Il y a un bon moment, que je n’ai pas touché mes droits d’auteur, puisqu’étant absente pour cause de maladie. Je suis en voie de réunir tous les documents relatifs à l’établissement de la nouvelle carte d’adhésion. La seconde source de revenu demande aussi une certaine mise à jour des documents, pour l’ouverture d’un compte bancaire. Donc, je ne compte que sur l’économie qui découlerait de ces deux sources de revenu, pour faire face à ce projet qui me tient à cœur. Même si c’est par brique, par brouette de sable et de gravier, je suis prête et je prie Dieu de m’accorder la longévité et la santé afin de réaliser ce projet.
Guinéenews : Parlons de votre état de santé. Comment vous vous portez aujourd’hui du haut de vos 79 ans ?
Hadja Nalo Camara : Mon état de santé est très fragile en ce moment. Deux ans avant le décès de mon feu mari, Hamidou Bangoura, je suis restée permanemment malade, et il est même décédé à mon insu car, j’étais à Kindia pour des soins. Je vous signale que j’ai eu assez d’accidents sur scènes pendant nos tournées. J’ai eu des fractures répétées au pied, surtout dans le numéro de minuit. Il y a près de 10 ans, je souffre du pied, il a été opéré et une broche a été mise. Vous remarquez que je boite et mon état de santé est critique en ce moment. Je dois retourner sous peu à Dakar pour mon contrôle et le retrait de la broche. Comment faire face pendant que les moyens ne sont pas réunis.
Guinéenews : Vous êtes à la retraite et comment parvenez vous à faire face à votre état de santé ?
Hadja Nalo Camara : Tout ce temps, c’est grâce à mon défunt mari et mon fils qui est décédé, que je parvenais à faire face à mes soins. Mon rendez-vous de Dakar risque d’échouer par manque de moyens. Le peu que je gagne par le biais du BGDA et le gouvernement est insuffisant. Pour le moment, je m’en remets au bon Dieu.
Guinéenews : Quelles sont vos relations avec le ministère de tutelle, les autorités viennent elles à votre secours ?
Hadja Nalo Camara : Je me réserve de parler des gens et ils se reconnaîtront. La dernière fois que j’ai quitté le Ministère en compagnie de ma coépouse, c’était au temps du ministre Bill de Sam. En plus du pied, je souffre des yeux aussi, et des promesses m’ont été tenues ce jour, et jusque-là, rien n’est fait. Nous avions quand même bénéficié ce jour de 2.000.000 FG. Et laissez moi vous faire rire, j’ai dit à ma coépouse, que je vais au moins me rappeler aujourd’hui de mes tournées, des bons moments. C’est dans une supérette que je me suis dirigée, pour assurer mon déjeuner en payant quelques boîtes de conserves, du beurre plaquette… . Je me pose la question de savoir, si ces dirigeants ont de la pitié dans leurs cœurs car, cela ne date pas d’aujourd’hui. Mon mari est parti très déçu, et nous pensons, qu’il n’a pas reçu en retour ce qu’il méritait. Il n’est pas bon de tout raconter, ma coépouse a beaucoup souffert avec notre mari, au moment de ses derniers jours. Joli (Hamidou) s’est donné corps et âme pour la culture guinéenne, pour les ballets africains. Mon mari pouvait s’exiler, vivre aisément à l’extérieur et mourir paisiblement. Il a toujours aimé son pays, et je suis témoin de son patriotisme. Il ne méritait pas une telle fin (pleurs). Les autorités n’ont pour le moment rien fait pour moi. Je mérite le droit d’auteur et plus que les 5.000.000 FG d’indemnités allouées aux artistes et sportifs. Le ministère n’a qu’à revoir le cas des artistes, afin de maintenir de saines relations.
Guinéenews : Avez-vous un message à lancer pour clore cette interview ?
Hadja Nalo Camara : Mon message est clair, il faut reconnaître les bienfaits de tous ces acteurs, qui ont servi loyalement le pays. Nous avions sacrifié notre jeunesse, et même une partie de notre vieillesse, pour défendre les nobles causes de notre patrie. Ne nous abandonnez pas car, nous méritons toutes les reconnaissances, ne serait-ce qu’en guise de récompense pour le travail bien accompli. Merci à vous aussi pour votre engagement au profit des oubliés de ce pays.
Entretien réalisé par LY Abdoul pour Guinéenews