Il s’appelle El hadj Moussa ‘’Moise’’ Camara, artiste musicien, saxophoniste, fondateur et ex-chef d’orchestre du Sombori jazz de Fria. Il fut aussi sociétaire de l’orchestre Galaxie de la capitale, les Sofas de la Camayenne.
El hadj Moussa ‘’Moise’’ Camara est né le 15 septembre 1938 à Kindia. Fils de feu Sekhouya et de feue M’Marawa Souaré. Il est veuf et père de 5 enfants (4 garçons et 1 fille).
Il partagera son école primaire entre Kindia et Conakry pour enfin s’arrêter à ce niveau et pour plus tard, suivre des cours de comptabilité par correspondance à l’Ecole Universelle. Il fut recruté tout au début en qualité d’auxiliaire au niveau des eaux et forêts à Kindia et pour être ensuite enrôlé par Monsieur BES, qui était un Expert-comptable, installé à Kindia et qui s’occupait de la comptabilité des planteurs français et libanais.
Après l’indépendance, le jeune Moussa ‘’Moise’’ Camara’’ sera recruté sur dossier et test, le 2 février 1959 au sein de l’usine de FRIGUIA. En qualité de comptable, il s’occupera du magasin où étaient stockées toutes les pièces de l’usine. En plus de la comptabilité qu’il maîtrisait, il sera formé en codification et nomenclature au sein de cette section de l’usine. Où il servira de 1959 à 1977 (l’étape du port de Conakry inclus).
Dans cette interview accordée à votre site électronique Guineenews au sein de l’enceinte de la paillote, en plus de son parcours professionnel, cet éminent saxophoniste retrace son parcours musical.
Principal membre fondateur de l’orchestre fédéral de Fria ‘’Sombori Jazz’’ et plus tard sociétaire des Sofas de la Camayenne, bien qu’aujourd’hui il a raccroché, il nous parle de ses beaux et mauvais souvenirs. De ses perspectives non palpables, El hadj Moussa Moise Camara nous parle de ses sources de revenus et de son regret vu la progressive disparition de la section vent dans les orchestrations.
Plus ou moins en bonne santé à 83 ans et en croisant les doigts, au lieu d’un cri de cœur, il pose des doléances en faveur des artistes et de la capitale et de l’intérieur du pays qui, au même titre que les précédents, doivent bénéficier de l’assistance de l’Etat.
Lisez !
Guineenews : après un beau parcours professionnel, le pan qui intéresse, est bien votre côté artistique. En tant que comptable de profession, comment et qu’est-ce qui vous a poussé vers la musique ?
El hadj Moussa Moise : j’ai été séduit par feu Maitre Gadirou, qui fut affecté à Kindia en 1948. Il est venu habiter chez nous. Il jouait au banjo et à le voir caresser cet instrument, je suis tombé amoureux de cet instrument et de la musique en général et je n’avais que 10 ans.
Après le banjo, il jouait la clarinette et je venais assister à leurs soirées dansantes à l’ancien Pavillon bleu de Kindia. C’est à partir de là que j’ai commencé à m’essayer aux bongos, aux castagnettes, les claves, ainsi que les percussions. En 1951, j’ai acheté une clarinette avec laquelle je m’entrainais.
C’est arrivé à Fria en 1959 que j’ai côtoyé un orchestre français qui évoluait au sein de l’usine. Nous n’étions que deux Guinéens. En plus moi, il y avait ‘’Gros’’ FOF, qui jouait bien à la guitare. Personnellement, je jouais à la percussion bien que je possédais ma clarinette, je ne maitrisais pas le répertoire de l’orchestre français.
C’est quand la Société FRIGUIA a commandé une fois des instruments de musique, après la répartition, il est resté un saxo ténor qui m’a été octroyé. Cet orchestre français était dirigé par Monsieur PRAT Daniel, qui était le patron de la section fabrication de l’alumine. La plupart des musiciens français de cet orchestre étaient sous sa coupe. C’est lui qui fut mon professeur de saxo, il était un éminent saxophoniste, qui n’avait pas le temps de jouer avec nous. Au bout d’un mois, il y a eu la fête de l’eau et c’est ce jour que j’ai joué pour la première fois au saxo ténor, en compagnie de cet ensemble dans le titre ‘’Verte campagne’’. Ce fut un instant de joie pour tout Fria.
Ces experts français de l’usine étaient des contractuels, qui, à chaque fin de contrat, rejoignaient autres services pour autres pays. C’est un fait qui démembrait graduellement l’orchestre. C’est ainsi que l’usine m’a demandé de procéder à un autre recrutement de musiciens. J’ai mis Mamadouba Bissau qui était danseur de ballets à l’épreuve. Il alla recruter à Kindia les Guitaristes Famoro Kouyaté, Baton Barthélémy et Ibrahima Sylla. A l’essai, tous les trois étaient au top et après, s’y rajoutera le célèbre trompettiste du nom de Jacques Niongo, qui a été affecté à Fria au compte du chemin de fer. C’est la première ossature de l’orchestre de l’usine de Fria, appelé l’orchestre du CUP (Comité d’Unité de Production). Le Bureau Fédéral va s’emparer et transformer cet ensemble en orchestre fédéral qui sera baptisé le long ‘’Sombori jazz de Fria’’. C’est cet orchestre qui a représenté la préfecture dans toutes les activités artistiques (quinzaines et festivals). Je suis donc le principal membre fondateur du Sombori Jazz de Fria en qualité de chef d’orchestre.
Guineenews : Vous aviez eu combien d’années de musique au sein de l’orchestre Sombori Jazz de Fria ?
El hadj Moussa Moise : Si je comptabilise depuis 1959 date de mon arrivée à Fria et au sein de l’orchestre des français, à cette autre date de 1977 année à laquelle je fus affecté au Port de Conakry, il faut compter près de 18 ans.
C’est quand je fus muté au Port de Conakry, pour m’occuper du chargement des bateaux alu miniers, de la manutention, du transit de la Société FRIGUIA que j’ai cessé de jouer avec le Sombori Jazz de Fria.
Guineenews : Arrivé à Conakry, c’est une autre histoire qui recommence dans votre carrière musicale, le mariage avec ces tout jeunes musiciens des Sofas de camayenne. Comment tout cela est arrivé ?
El hadj Moussa Moise : Comme je vous l’ai bien dit, après mon affectation à Conakry au compte de la Société FRIGUIA, à la recherche d’un logement l’aubaine m’a conduit dans le quartier Dixinn. La maison détectée fut celle de la famille de feu El hadj Sampil, ex-Secrétaire fédéral de Conakry 2.
Ce fut réellement un troc et en échange, le fédéral me proposa d’appartenir à l’orchestre fédéral. Je ne pouvais pas m’opposer et le besoin de logement était primordial. C’est ainsi que j’ai intégré cette dynamique et jeune formation de la capitale.
Guineenews : Parlons de votre accueil et de vos prestations au sein des Sofas de camayenne.
El hadj Moussa Moise : J’ai été très bien reçu au sein des Sofas de camayenne. C’est pour moi l’occasion de remercier Jean Baptiste Williams, chef d’orchestre et tous ces autres musiciens morts ou vivants, qui m’ont accepté à cet instant comme ils aimaient m’appeler ‘’Doyen Moise’’.
Pour des prestations, je suis encore fier d’avoir accepté de jouer avec ces talentueux jeunes. L’enregistrement ou l’auto production réalisé au Benin en compagnie des Sofas de camayenne est une illustration.
Guineenews : Depuis 1959 à nos jours, peut-on affirmer qu’El hadj Moise a raccroché ?
El hadj Moussa Moise : J’ai raccroché puisque je suis vieux ou âgé maintenant. A 83 ans, il n’est plus facile de revenir sur scène. Qu’à cela ne tienne, je suis toujours avec les artistes et précisément à la paillote. Je suis présent pendant toutes les festivités artistiques et culturelles qui se déroulent dans la capitale.
Guineenews : Vu l’âge et non moins le parcours musical, vous avez certainement quelques beaux ou mauvais souvenirs à nous relater ?
El hadj Moussa Moise : L’un des souvenirs qui soit inoubliable est la participation du Sombori jazz de Fria au 10ème festival des arts et de la culture. Ce jour, j’ai eu le meilleur prix du saxophoniste du festival.
Un autre beau souvenir, est ma participation au niveau de l’album réalisé par les Sofas de camayenne au Benin. Ces répertoires resteront gravés, surtout quand on sait comment tout cela a été concocté.
Pour un plus mauvais et continuel souvenir, laissez-moi vous dire, c’est ce bond successif entre 1984 et les années qui ont suivi. La musique guinéenne est par terre. Il faut le reconnaitre et essayons de corriger ce qui ne va pas.
Guineenews : avez-vous des perspectives aujourd’hui au compte de la musique guinéenne ?
El hadj Moussa Moise : J’ai eu l’opportunité de faire des stages de formation au Centre International de Musique(CMI) de France. Cette bourse de formation nous a été octroyée par le canal de son excellence Bailo Téliwel Diallo, ministre de la Culture d’alors. C’était une bourse prévue pour une durée de 3 mois et finalement, elle a été prorogée pour une année. Fier de ce que j’ai appris en matière de musique, j’avais fait une proposition de création d’une école de musique à l’image du CMI (Centre de Musique International) au Ministère de tutelle du moment. J’avais des avantages par rapport aux locaux, puisque ma défunte épouse dirigeait un jardin d’enfants à Lambanyi. Rien en a été et j’attends de voir ce projet pris à deux mains par les autorités en charge. Pour l’instant, je préfère observer et donner des conseils, ou des lignes à suivre à l’actuelle génération.
Guineenews : Quels sont donc vos sources de revenus et vous vivez de quoi ?
El hadj Moussa Moise : Il reste clair jusque-là, j’ai été retraité en qualité de cadre au niveau de la Société FRIGUIA avec un salaire correct. Je vis de cette pension, en plus mes enfants me viennent en aide.
Guineenews : Revenons à votre instrument de musique à vent. Croyez-vous que cette section mélodieuse orchestrale tend à disparaitre ?
El hadj Moussa Moise : La disparition des instruments à vent, vraiment, c’est un dommage terrible au niveau de la culture et précisément de la musique guinéenne. Je suis conscient que tout cela est arrivé après 1984. Ils ont laissé pour compte, les orchestres nationaux, fédéraux, et tant d’autres structures. Aujourd’hui les jeunes s’intéressent mieux à la guitare, au chant, qu’aux vents. Les jeunes visent mieux la ligne d’arrivée que l’apprentissage des instruments à vents. Nous sommes encore vivants et s’il y a besoin, nous sommes prêts à aider au niveau de la formation.
Guineenews : Après cette analyse de votre part, quel est votre regard sur l’actuelle musique guinéenne ?
El hadj Moussa Moise : Il y a eu un changement terrible. Vous savez en matière de musique, il y en a qui s’inspire sur d’autres. Il faut reconnaitre que la musique guinéenne d’antan a été au sommet d’où, presque beaucoup venaient puiser. Aujourd’hui, la quasi-totalité de cette génération s’inspire de la musique des autres en ignorant expressément le riche folklore guinéen. Ils chantent autrement, dansent autrement et ils s’habillent même différemment. Tout cela fait mal au cœur, bien qu’il y en a parmi eux qui sont irréprochables. Chaque génération vit son époque et cela ne veut pas dire, qu’il faut abandonner son identité au profit des emprunts. Je suis persuadé qu’un jour ils remettront la tête sur les épaules et les pieds sur terre.
Guineenews : A 83 ans, sur le plan santé, vous ne vous plaignez de rien ?
El hadj Moussa Moise : Disons que le poids de l’âge joue son rôle et cela est indéniable. A part ces quelques douleurs au niveau des genoux, je ne me plaint pour le moment de rien. Je croise les doigts, je ne suis ni diabétique, ma tension est jusque-là normale et je rends grâce à Dieu.
Guineenews : Avez-vous un cri de cœur à lancer ?
El hadj Moussa Moise : Je ne qualifierai pas cela de cri de cœur et plutôt c’est un souhait, une doléance auprès des autorités guinéennes de ne pas oublier les artistes guinéens.
L’ex-président a posé un historique acte, qu’est celui de penser à octroyer des indemnités mensuelles aux anciennes gloires. C’est bien et ce n’est pas suffisant car, il y a encore des artistes du peuple qui ont servi cette nation et qui vivent malheureux à l’intérieur du pays. Je crois qu’il faut penser à tout le monde sinon la frustration sera toujours au rendez-vous.
Interview réalisé par LY Abdoul pour Guineenews