De Beyrouth à Lima en passant par Conakry, Hong-Kong, Alger, Paris, Quito, les peuples s’expriment. Ils le font, hélas, dans la violence la plupart du temps. Ce qui s’apparente à un mouvement d’ensemble traduit, selon les observateurs, une crise du système démocratique actuel, qui serait victime de la mondialisation effrénée.
Au Liban, ce fut la volonté du gouvernement de mettre en place une taxe sur l’utilisation de la messagerie Wattshap qui a été l’étincelle qui a conduit 1,3 millions de personnes dans les rues de Beyrouth, le 18 octobre 2019. Pour demander le retrait de cette mesure et exprimer le ras-le-bol du peuple face à la corruption systémique qui gangrène le pays.
Au Chili, en Amérique Latine, c’est la hausse du prix du ticket de métro (transport en commun) qui a mis le feu aux poudres. Résultat : environ 20 morts et un peu plus d’un million de personnes dans les rues de Santiago, la capitale. La réponse gouvernementale fut la minimisation de l’armée, la déclaration de l’état d’urgence. Il parait que cela n’avait pas été le cas dans ce pays depuis 1987.
En Bolivie, pays d’Evo Morales, c’est une grève générale qui a été la réponse à la déclaration de la victoire de ce dernier au premier tour des élections présidentielles. Il faut savoir qu’un référendum datant de 2016, ne permet pas en théorie au président bolivien de courir pour un 4ème mandat.
En Irak, 200 morts. C’est le résultat d’une révolte dénonçant la corruption et le fait que les chiites se soient accaparés du pouvoir.
Alger. Manifestations pacifiques tous les vendredis. Ils expriment leur volonté de voir se terminer ce que d’aucuns considèrent désormais comme étant une dictature du chef d’état-major des armées.
La Guinée. Des centaines de morts. Fruit macabre des différentes manifestations politiques et sociales depuis quinze ans maintenant. Les dernières en date depuis début octobre, puisent leur fondement, selon les organisateurs regroupés au sein du Front National de Défense de la Constitution, dans leur volonté d’empêcher le changement constitutionnel voulu par l’exécutif, qui pourrait conduire, à la remise à zéro des pendules pour ce qui est des possibilités pour l’actuel chef de l’Etat de se présenter à l’élection présidentielle de 2020. Toutefois, force est de constater, à l’instar des expressions diverses des populations sur les réseaux sociaux, que ce mouvement populaire traduit également l’expression d’un désespoir face à la non amélioration substantielle des conditions de vie des populations.
Des mouvements insurrectionnels poussés par les réseaux sociaux
En dépit du fait que le leadership de la grogne soit aisément identifiable en Guinée, portée par les 2 principaux leaders de l’opposition et quelques-uns de la société civile, les observateurs s’accordent sur le fait que pour la majorité, il n’a pas de leadership politique en tant que tel. Le mouvement revêt une spontanéité portée par le caractère instantané et amplificateur des réseaux sociaux, au premier rang desquels Facebook et Twitter.
Le virtuel permet une sorte de confinement illimité de personnes dans un espace qui n’obéit pas aux lois naturelles de la géographie. Une page Facebook suffit pour regrouper à un seul endroit des millions et des millions de personnes de manière instantanée. Ce qui, par conséquent, accroît la vitesse à laquelle ces dernières prennent conscience de certaines réalités qui les caractérisent ainsi que les enjeux qui touchent leurs avenirs politiques économiques et sociétaux.
Les réseaux sociaux offrent une forme de puissance d’influence et d’entraînement aux mouvements contestataires qui sont sans commune mesure avec le monde que nous connaissions il y a 10 ans à peine.
La puissance ne se mesure plus ici en nombre de divisions militaires mais plutôt en capacité d’Influencer et de générer de l’adhésion.
Avant l’ère du tout internet, une révolution pouvait mettre quelques années à incuber avant de rallier autour d’elle la cause de millions de personnes.
De nos jours, quelques heures voire quelques jours suffisent.
Cette réalité semble échapper ou du tout moins à être ignorée par ceux qui exercent le pouvoir dans ces pays.
L’image de marque des responsables politiques en charge de la direction des gouvernements contestés, est d’une très grande volatilité.
Tel le cours de l’action d’une multinationale à la bourse de New York, leur capital de sympathie peut chuter aussi rapidement que des images atroces de forces de l’ordre réprimant des manifestants désarmés, ensanglantés, tournent de page en page, de compte Messenger ou Wattshap en compte Messenger ou Whattshap.
Nos gouvernants tentent d’y remédier en menant des actions de communication vertueuse de grande envergure. Cependant, il semble leur échapper pour l’heure que l’impact de cela ne peut être efficace que si l’exercice des responsabilités publiques demeure intègre et exempt de toute tâche qui heurte négativement l’émotion des populations désormais connectées.
Il en faut plus que des matraques et des gaz lacrymogènes…
Force est de constater que la majorité des mouvements populaires auxquels nous assistons dans certaines capitales à travers le monde, est marquée par une violence inouïe.
Le principal réflexe des gouvernements est de réprimer par la force. S’il ne faut pas nier la volonté de restaurer l’ordre public, les observateurs y décèlent une volonté de dissuasion, d’intimidation, afin de casser l’élan des manifestants.
S’il faut condamner la violence de la part des manifestants, il n’en demeure pas moins vrai que l’on doit plaider avec une grande énergie, à ce que leurs revendications soient comprises, entendues et que des solutions idoines, structurelles et conjoncturelles soient apportées.
La démission du Premier Ministre Saad Hariri, le recul du gouvernement libanais sur sa taxe décriée sont certes des décisions appréciables. Elles semblent toutefois ne pas suffire.
Les peuples semblent être devenus plus exigeants. L’installation de leurs grognes dans la durée traduit leur faim de politiques nouvelles, rassurantes capables de leur redonner confiance en leurs leaders. Les peuples semblent ne plus vouloir se contenter de « mesurettes conjoncturelles » qui ne traitent pas le mal à la racine. Les peuples réclament du respect, de la considération. Ils veulent que le rôle de l’Etat se rééquilibre en faveur de l’équité, la justice, la santé, l’éducation, le partage des richesses profitant à tous, la démocratie et l’alternance.
Leur répondre en serrant la vis de la répression, en donnant le sentiment que la justice n’est opérationnelle que lorsqu’elle est au service d’une minorité puissante, on nourrit le feu de la frustration et de la contestation.