Au mois de septembre dernier les opérateurs du marché guinéen de l’automobile en général et du transport en particulier ont eu la désagréable surprise d’apprendre que l’entreprise Afri-Motors a décidé de fermer sa filiale guinéenne.
Joint par notre rédaction, la direction locale d’Afri-Motors nous a assuré qu’il ne s’agissait pas pour sa société de « quitter la Guinée officiellement (sic) » mais de « fermer l’agence de Kountiya et donc, le Service Après-ventes pour des raisons purement économiques ».
Pourtant le courrier qui a été adressé aux clients et dont Guinéenews a eu copie est très clair dans son introduction : « Nous vous informons que notre société Afri– Motors Guinée cessera son activité le 30/09/2024 ». Par ailleurs, contrairement à ce que nous a affirmé notre interlocuteur, les clients ont été informés que l’entretien (ndlr : Service Après-Ventes) continuera à être « maintenu et géré par (leur) équipe au Sénégal ».
Afri-Motors est installée en Guinée depuis décembre 2018 et, en tant que concessionnaire exclusif de la marque MAN, elle offre une gamme étendue de véhicules poids lourds pour la logistique, le transport, les BTP et les chantiers.
Régulièrement classée dans le Top 10 mondial des marques de poids lourds, la marque MAN, tout comme les autres label européens (Renault Trucks, Mercedes-Benz, Iveco, DAF, Volvo Trucks, etc.) fait de plus en plus face à la concurrence des marques chinoises FAW, Dongfeng, Sinotruk, Shacman, ou encore Foton. C’est pourquoi la marque MAN a engagé une offensive sur le marché africain en développant des partenariats avec des concessionnaires locaux, tels que Afri-Motorschargé de la zone Sénégal-Mali-Guinée.
Fort du capital-confiance qu’inspire la marque qu’elle représente, Afri-Motors a pu vendre des camions à plusieurs opérateurs guinéens, mis en confiance par la qualité de « Distributeur officiel et exclusif des produits premium de marque allemande MAN … » et surtout de son service après-vente, dont s’enorgueillit Afri-Motors.
«Quelles que soient les modalités du retrait annoncé par Afri-Motors (total ou partiel, avec ou sans SAV), il est évident qu’il affecte directement et gravement les acheteurs de camions MAN qui, en plus de leur attachement professionnel à la marque, avaient été alléchés par l’assurance de bénéficier d’un service de haut niveau. », annoncent les clients de AfriMotors, qui se sentent aujourd’hui escroqués par le distributeur.
Au-delà du véhicule, la question du SAV
La question de la garantie et, notamment du Service Après-Vente, est pourtant déterminante en matière de vente de véhicules. Cité par le magazine Jeune Afrique, Marc Dully, responsable MAN de l’après-vente pour l’Afrique (…) affirme en effet que « En Afrique, les camions ont besoin d’une vidange tous les 10 000 km, contre tous les 50 000 km en Europe ». Et Emmanuel Quérel, directeur général d’Africa Truck Solutions (ATS), de renchérir « C’est la carte du SAV qui fait désormais la différence lors de l’achat d’un véhicule… On n’achète plus seulement un camion, mais tous les services qui y sont attachés. »
C’est en ce sens que, Soumaré L., responsable logistique d’un transporteur routier majeur en Guinée explique que le choix de son entreprise d’acquérir des camions MAN a été déterminé par l’annonce du site d’Afri-Motors qui garantit que « Sur tout le périmètre de sa responsabilité, AFRI-MOTORS a mis à votre disposition un service d’assistance technique mobile 24h sur 24 et 7jours sur 7. Un atelier mobile équipé de pièces de rechange, d’outil de diagnostic et de tout l’outillage nécessaire pour réaliser tout type d’intervention est engagé dans ce sens ».
Ces promesses ont d’ailleurs été concrétisées par les négociations et ensuite les commandes faites par les opérateurs guinéens auprès d’Afri-Motors Guinée. « Nous avons exigé une garantie d’entretien et de service après-vente. Sans quoi nous aurions revu notre choix » témoigne Soumaré.
Dès lors se pose la question de savoir que vont devenir les clients guinéen d’Afri-Motors après son départ ? Quelles solutions vont-ils pouvoir mettre en place pour le suivi des camions qu’ils ont acheté auprès d’Afri-Motors ?
Les professionnels du transport et de la logistique que nous avons rencontrés sont formels sur ce point : « Toute acquisition et mise en service d’un camion est obligatoirement associée à un programme de maintenance complet y compris la maintenance préventive. Tous nos comptes d’exploitation prennent en compte cette dimension et le départ d’Afri-Motors va nous obliger à revoir nos modèles opérationnels et économiques et nos prévisions. Ensuite il va falloir trouver une alternative pour le suivi de nos camions. Avec qui, comment et à quel coût ? ».
Incompréhension
AfriMotors, contacté par Guinéenews, justifie sa décision de quitter: « Pour des raisons économiques la société n’a plus les moyens financiers d’assurer le service à près vente malheureusement »
Cette décision d’abandonner le marché guinéen reste incompréhensible pour les professionnels. «Il est effectivement difficile d’y voir une logique économique, comme le mentionne la direction de Afri-Motors puisque rien que le potentiel du projet Simandou est largement suffisant pour générer des revenus substantiels dans le secteur du transport, sans parler des autres projets miniers en développement. », explique un client de AfriMotors.
De plus, les contradiction flagrantes entre l’information transmise par courrier aux entreprises et les réponses qui nous ont été données par la direction de Afri-Motors suscitent des interrogations sur les véritables motifs de son désengagement. Tout se passe comme si, après avoir appâté les professionnels guinéens avec une offre technique et commerciale de haut niveau, le représentant de MAN décidait unilatéralement et après avoir encaissé le coût total de sa facture, de retrancher la moitié de la prestation à laquelle il s’était engagé.
Des sociétés de transport et logistique comme SODIFIS, NANA TELICO, Transwest Guinée, CB Black Gold, ZATCO, etc. se retrouvent chacune avec des dizaines de camions MAN achetés au prix fort et qui, du jour au lendemain, se retrouvent privés du service de maintenance et même de dépannage.
En 2020, Zatco, entreprise de transport guinéenne annonçait d’ailleurs fièrement l’achat de dix camionsMAN TGS 6×4 avec son « partenaire Afri-Motors » et estimait que « Cet accord représente une étape importante pour MAN et Afri-Motors en Guinée ».
En plus des questions commerciales qui se posent pour ses clients, le départ brusque de Afri-Motors doit interroger les autorités guinéennes sur les conditions d’implantations des entreprise étrangères en Guinée et, notamment les incitations à l’investissement adoptées par les gouvernements successifs depuis une douzaine d’années.
Promesses non tenues et escroquerie
En effet, sur des périodes de 3 à 10 ans, selon qu’il s’agisse de la phase d’installation ou de la phase d’exploitation, la législation guinéenne accorde des exonérations majeures aux investisseurs étrangers. Ils’agit d’exonérations sur la patente, la contribution foncière unique, le versement forfaitaire ou la taxe d’apprentissage ou des réductions sur l’impôt minimum forfaitaire, l’impôt sur le bénéfice industriel et commercial, l’impôt sur les sociétés, la contribution des patentes et la contribution foncière.
Le principe des politiques incitatives est que lorsqu’une entreprise en bénéficie, les autorités qui les mettent en place sont en droit d’attendre que l’entreprise concernée apporte une plus-value à l’économie du pays, particulièrement dans son secteur d’activité.
Afri-Motors a-t-il bénéficié des avantages du Code des investissements ? et si c’est le cas a-t-il respecté les obligations qui lui incombaient ? Autant d’interrogations qui, quelles que soient les réponses obligent à trouver les voies et moyens nécessaires à la protection des intérêts publics et privés guinéens. Ceux qui sont accueillis à bras ouverts parce que porteurs de projets de qualité sensés tirer notre économie vers le haut doivent se montrer à la hauteur de leurs promesses. Si à la moindre difficulté le promoteur étranger décide de plier bagage et d’abandonner ses partenaires et/ou ses clients guinéens (qui eux n’ont que le choix de rester et de faire face), il faudra non seulement revoir la pertinence de la facilitation qu’offre notre législation aux investissements étrangers mais également envisager les voies de recours au niveau des instances de régulation internationale contre ceux qui veulent tous les avantages, rien que les avantages et aucun inconvénient.