On constate depuis récemment une baisse drastique de la tension des organisations africaines (Cédéao, Union africaine) et internationales (l’ONU, l’OIF, l’Union européenne) vis-à-vis de la volonté manifeste de l’homme fort de la Guinée de briguer un troisième mandat par une manipulation de la Constitution. Des puissances comme la France, les États-Unis et l’Allemagne qui avaient haussé le ton un moment donnent aujourd’hui l’impression de s’adapter aux faits accomplis du pouvoir guinéen, sans compter qu’à l’interne, certains partis politiques commencent eux aussi à s’accommoder de la situation.
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On sait que ces organisations avaient officiellement dénoncé des irrégularités dans le fichier électoral, puis condamné l’usage de la force et les tueries commises par les forces policières guinéennes sur les manifestants durant la période précédant le double scrutin du 22 mars dernier (référendum constitutionnel couplé avec les législatives). On sait aussi que pour ces mêmes raisons certaines d’entre elles avaient décidé de se retirer du processus de médiation préélectoral. Depuis ce temps et jusqu’aux nouveaux développements qui ont suivi après le 22 mars, à savoir la « victoire du oui sur le non », la promulgation d’une nouvelle Constitution différente de celle soumise au référendum populaire, puis l’hyper pouvoir de légiférer par ordonnances accordé dernièrement au président de la République par l’Assemblée nationale issue des législatives contestées, on ne pouvait encore se douter que ces organisations feraient volte-face en essayant de se rapprocher de l’exécutif guinéen.
D’où l’intérêt de se demander pourquoi maintenant ce revirement ? Que pensent ces organisations « démocratiques » d’un changement constitutionnel à des fins de profits personnels ? Ces questions sont d’autant plus pertinentes que Jeune Afrique a publié ce vendredi 10 juillet un article annonçant que le RPG arc-en-ciel s’apprêterait à désigner le 5 août prochain le président Alpha Condé comme son candidat aux élections présidentielles du 18 octobre prochain.
Ce qui n’a pas été dit…
Derrière ce double jeu de ces organisations continentales et internationales, il y a certainement la combinaison de plusieurs facteurs qui rendent le terrain propice au pouvoir guinéen. Le contexte sanitaire mondial, l’urgence de relancer l’économie mondiale et les calendriers politiques font que les pays en mesure d’exercer une véritable pression sur le pouvoir guinéen ont d’autres préoccupations que de perdre leurs énergies pour un petit pays africain, politiquement perdu depuis plus de 60 ans. Aussi, les organisations africaines bien que dotées de bonnes règles sont animées par des chefs d’État qui calment le ton face au forcing du pouvoir guinéen, parce qu’à leur tour, ils se réservent le droit de faire la même chose tout en comptant sur l’approbation, ne serait-ce que tacite de leurs pairs. C’est le fameux syndicat des chefs d’États africains qui décide de ce qu’il faut infliger aux populations.
Par ailleurs, comme cela a même déjà été relayé par plusieurs médias guinéens, on peut par exemple se demander pourquoi la Cédéao se montrerait-elle si généreuse en accordant une manne financière de 500 milles dollars à la Céni en vue des préparatifs des élections présidentielles d’octobre prochain ? Pourquoi la Cédéao, l’UA et l’ONU s’emploieraient-elles maintenant à tenir des consultations visant à établir un dialogue entre le pouvoir et les partis politiques de l’opposition en vue de parvenir à des élections présidentielles apaisées en Guinée ?
Même si, pour se justifier, l’institution sous-régionale invoque quelques dispositions de son protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance et de son cadre de prévention des conflits, il est néanmoins logique de se demander si les vraies raisons de son réengagement auprès des autorités guinéennes ne se situeraient pas ailleurs, surtout après s’être officiellement retirée d’un processus électoral controversé qui est à la base de tout qui s’en suit. De la même manière, il faut aussi s’interroger sur les motivations réelles de l’UA et de l’ONU dans leur prétention de vouloir maintenant réconcilier l’opposition guinéenne et son adversaire au pouvoir. Il faut tout autant se questionner sur les motivations de cette même opposition pourtant initialement contre toute forme de dialogue avec le pouvoir avant disait-elle « l’annulation pure et simple du vote du 22 mars » et donc de tout ce qui émane de ce vote.
Des pratiques qui ont une histoire ?
Cela reste évidemment une piste à explorer, dès lors qu’on sait par exemple que quelques jours avant le scrutin du 22 mars, l’envoyé spécial de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), l’ancien ministre malien des Affaires étrangères, Tieman Coulibaly avait d’abord publié un communiqué affirmant qu’il était « difficile de continuer à soutenir le processus électoral en Guinée au vu de la confusion qui l’entoure » avant de revenir sensiblement sur sa position en y apportant d’autres arguments. Contacté par Jeune Afrique, ce dernier, avait assuré que « l’OIF n’a jamais annoncé le retrait de son soutien au processus électoral ».
Selon lui, l’Organisation avait « juste fait des recommandations et demandé que, sur les 2 490 664 électeurs qui posent problème qui posent problème, q’un consensus soit trouvé entre les différents camps, l’opposition, la majorité présidentielle ainsi que les autres acteurs électoraux, la Céni et la société civile ». Ce volte-face de l’OIF ou du moins de son envoyé spécial était perçu à l’époque comme une nébuleuse de la part de cette organisation dans les relations qu’elle a pu entretenir après avec le pouvoir guinéen.
De même, en 2018, un membre du Conseil consultatif de lutte contre la corruption de l’Union africaine, le ghanéen Daniel Batidam avait démissionné après avoir dénoncé la mauvaise gouvernance, l’abus de pouvoir et le manque d’intégrité au sein de l’organisation continentale. Dans sa lettre de démission du 8 juin 2018, il écrivait notamment : « Après avoir été témoin de plusieurs cas et degrés de mauvaise gouvernance, notamment l’abus de pouvoir, de confiance, la corruption, le manque de probité, de responsabilité, de transparence et d’intégrité au secrétariat du Conseil de lutte contre la corruption de l’Union africaine et dans certains départements de la Commission de l’UA elle-même depuis plus de trois ans maintenant, alors que tous les efforts pour obtenir réparation n’ont donné aucun résultat, j’ai décidé par principe que cela suffit ».
Que peut-on en déduire ?
Ces constats montrent clairement que ces organisations ne correspondent pas toujours à l’opinion que se font d’elles les populations, notamment en termes de transparence et d’intransigeance dans les décisions qu’elles prennent. En effet, l’exemple du comportement de l’OIF montre que ces organisations n’agissent pas toujours avec conviction et changent d’avis sans être en mesure de fournir aux populations des explications convaincantes. Est-ce par souci de participer à la construction d’un climat de paix et d’entente entre le parti au pouvoir et les forces sociales de l’opposition ? Ou bien au contraire c’est pour des raisons de quelques intérêts que ce soit ? En vérité, seule l’observation de l’évolution des événements en cours nous éclairera sur ces questions. Mais les guinéens ne sont pas si naïfs.
Par contre, ce qui avait poussé Daniel Batidam à démissionner de son poste de membre du Conseil consultatif de lutte contre la corruption de l’UA est tout à fait clair pour tous. Car cela montre qu’il existe bel et bien au sein des institutions multilatérales des pratiques de corruption et d’abus de pouvoir. Ce qui a évidemment un effet négatif sur le fonctionnement de nos institutions démocratiques, constitue une menace à la gouvernance et à la stabilité de notre démocratie fragile. Un mal qui continue de nuire à la légitimité du gouvernement et aux valeurs démocratiques, qui affaiblit l’État, mine sa crédibilité et fragilise la confiance des populations dans les institutions publiques. En attendant d’y voir plus clair, la seule force capable désormais d’inverser la situation en Guinée réside dans la désapprobation populaire comme cela s’est passé ailleurs sur le continent au cours de la dernière décennie et que cela se passe maintenant au Mali, où les populations sont déterminées à changer le cours de leur histoire.