Les contestations populaires, le désistement des organisations régionales et le devoir de dissidence revendiqué par le ministre Yéro Baldé, montrent quele projet d’une nouvelle constitution est largement désavoué. Ces différentes réactions conduiraient-elles le président à entendre raison ?
Tout porte à croire qu’aucun argument moral, politique, économique et juridique ne pourra dissuader Alpha Condé et ses inconditionnels fidèles de faire passer, sous couvert d’un référendum, leur nouvelle constitution pour favoriser un éventuel troisième mandat. Mais alors la question fondamentale est la suivante : comment comprendre cette difficulté à renoncer à ce projet injustifiable et extrêmement contesté ? Y-aurait-il des ressorts psychologiques et sociaux qui permettraient de comprendre ce récurrent problème des changements constitutionnels en Guinée ? Est-ce le rapport malsain qu’ils entretiennent avec l’exercice du pouvoir qui expliquerait que nos acteurs politiques ont du mal à accepter l’alternance au pouvoir ?
En fait, il ne suffit plus de dénoncer l’entêtement à foncer périlleusement vers un amendement constitutionnel. Il faut aussi comprendre les motifs, les raisons, qui expliquent la présence d’une telle attitude chez nos dirigeants : De Sékou Touré, en passant par Conté et Dadis, jusqu’à Sekouba Konaté, c’est ou la mort ou la communauté internationale qui a fait plier les tenants du pouvoir. Pourquoi ?
On peut trouver une réponse dans la représentation collective du pouvoir. En Guinée, le pouvoir est entouré de prestiges immenses et de privilèges démesurés. Combien sont nos politiciens qui, dit-on, n’avaient rien et n’étaient rien, mais qui, par l’exercice du pouvoir, sont devenus des « Grands quelqu’un » ? Combien sont ceux qui, proches des cercles du pouvoir, bénéficient de passe-droits et par conséquent règlent les problèmes de la vie couranteen contournant le bon sens et les règles les plus élémentaires de vie commune ? Dans cette configuration où la facilité et la réussite de la vie sontintimement liées à la détention ou à la proximité du pouvoir, comment s’étonner que ceux qui exercent le pouvoir veuillent viscéralement le conserver ? On sait qu’en Guinée, connaître quelqu’un qui possède ne serait-ce qu’une petite parcelle du pouvoir est une chance énorme : ça vous inscrit dans la catégorie des privilégiés. C’est précisément cette représentation collective du pouvoir qui se traduit à l’échelle politique par des abus et un contrôle exclusif du pouvoir. D’autres conséquences de ce rapport malsain au pouvoir sont : la division, l’hypocrisie, le culte du chef, la misère entretenue, le manque de conviction et la médiocrité érigé en vertu. La tâche qui attend les Guinéens sera donc immense : travailler à une représentation collective du pouvoir favorable à un exercice démocratique du pouvoir.
Pour relever ce défi, l’opposition à un rôle important à jouer : nettoyer devant sa propre porte, en permettant une meilleure redistribution et un contrôle efficace du pouvoir au sein des partis politiques. Car malheureusement, nombreux sont les partis d’oppositions qui continuent de s’identifier à la personne du chef, ce qui rend difficile l’existence desmécanismes de contestation et l’alternance au sein des partis d’opposition eux-mêmes. De même, des conflits entre les leaders au sein d’un même parti révèlent parfois le déficit démocratique qui affecte les mouvances de l’opposition. Même pas la peine de s’attarder sur le curieux phénomène de la longévitécomme chef d’opposition, comme s’il n’y avait pas d’autres qui pourraient légitiment assumer à leur tour la fonction de chef de parti. Il est évident que le « problème du pouvoir » est largement répandu dans la sphère politique. Il conviendrait donc de s’y attaquer sérieusement si on veut mettre fin aux pratiques de révision constitutionnelle, dont l’objectif, on le sait, demeure la confiscation du pouvoir : œuvrer collectivement à ce que le pouvoir soit un bien public et non un objet personnel, tel devra aussi être l’objet de nos combats intellectuels et politiques.