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Dossier PMU-Guinée : Immersion dans l’univers  des parieurs…

Pari Mutuel Urbain, ce jeu d’argent est un monde obscur qui brasse des millions, une manne financière qui ne profite qu’à ceux qui en tirent les ficelles. Et pourtant, les Guinéens sont de plus en plus nombreux devant les kiosques ou autres points de vente, pour y tenter leur chance. Enquête sur un business juteux … et sur ses ravages.

Ma folle journée dans « l’enfer» de PMU

Inventé en France dans les années 50, le tiercé s’est mondialisé. A Conakry, les parieurs sont aussi très nombreux à jouer de l’argent sur les courses des chevaux.

 «Un jour, je vais gagner, je ne vais pas me décourager», s’enflamme Amadou T, un tailleur de 54 ans. «La pauvreté m’a conduit au PMU. Ça fait 15 ans que je joue. J’en vois qui gagnent des millions. Un jour, il va y avoir pour moi aussi. Des fois, c’est 75.000 ou 150.000 francs guinéens que je gagne. Mon premier argent gagné dans ce jeu-là, c’est en 97 et c’était 100.000 francs. En 2006, c’est 106.500 francs  que j’ai eus».

Nous voici dans une agence PMU à Kaloum

La scène ne se déroule pas dans un bouge de Seine-Saint-Denis, mais dans une agence de Kaloum. Le quartier administratif de la capitale guinéenne. Il est 12h30 ce samedi-là. Comme Amadou, de nombreux parieurs sont plongés dans l’étude de la course qui aura lieu dans quelques minutes, sur un hippodrome français.

Eux, n’ont jamais vu un champ de courses ni un cheval en chair et en os courir, sauf au quartier Sandervalia avec l’homme d’affaires, Aboubacar Bobody Camara, lors de ses quelques rares parades. Un écran de télévision disposé dans la salle permet de visualiser les cotes des chevaux  et de retransmettre en direct, les épreuves. L’air lourd et humide est brassé par deux gros ventilateurs accrochés au plafond.

«Le n°9 va gagner pour aujourd’hui là !», lâche un parieur à l’adresse de son voisin qui lui répond: «Toi tu es voyant, mais moi je ne dis rien, on a qu’à attendre pour voir seulement».

Ecrasé par la chaleur, un autre cherche la place. Il est dressé à gauche de l’entrée.

 «Il est temps de valider vos paris», avertit un responsable de l’espace courses. «N’attendez pas toujours le dernier moment pour le faire. Ça embrouille les caissières». Le départ approche, mais malgré cette recommandation, les joueurs restent scotchés à leurs sièges.

Les turfistes invectivent la caissière

 «Ici là, c’est comme ça. Nous, on attend le dernier moment pour partir à la caisse parce que tu peux voir le bon cheval à la dernière seconde», explique Amadou.

À quelques secondes du lâcher des chevaux, un tohu-bohu indescriptible s’empare de la salle. On joue des coudes pour prendre place devant l’une des caisses. Dans ce cafouillage monstre, un parieur, lui, a réussi à s’endormir, sans doute fatigué de se triturer les méninges en quête du bon cheval. La course est partie mais le spectacle n’est pas sur l’écran de télé, mais autour des caisses où des turfistes invectivent les caissières qui viennent de leur refuser leurs paris trop tardifs.

L’arrivée de la course s’affiche à l’écran: le trio gagnant (16-05-10) est payé 1.600.400 francs guinéens. Personne n’extériorise sa joie.

«Nos joueurs même s’ils gagnent, ne se font pratiquement jamais payer à nos caisses. Ils préfèrent aller au siège, de peur que leurs camarades ne sachent qu’ils ont gagné. Ce sont seulement les petits gains que nous réglons ici», confie une employée.

Un vigile, revenu des toilettes, cherche à s’informer du résultat: «Djo, ticket-là, ça gagne pas hein ?», demande-t-il, tout en sortant de sa poche deux formulaires qu’il présente à son interlocuteur d’une quarantaine d’années.

«Non, ce n’est pas rentré, si tu as l’argent encore, il faut parier sur la prochaine course».

Kalifa C, un docker de 35 ans, a lui aussi perdu: «J’ai commencé le PMU en 1996 grâce à mon frère aîné», raconte-t-il.

«Quand on allait au travail, il avait l’habitude de s’arrêter devant les points de jeu. C’est lui qui m’a donné les techniques. Un an après, j’ai gagné 1.200.000 francs, deux fois le quarté dans l’ordre».

«Cela fait plus de 10 ans que je joue et je n’ai gagné comme gain important que la somme de 145.000 francs guinéens l’année dernière», se lamente Malick C, un menuisier de 55 ans.

«Dans la vie, il faut tenter la chance, parce que l’argent ce n’est pas pour une seule personne», reprend Youssouf D, un commerçant de 42 ans. «Moi, c’est en juin seulement que  j’ai commencé, tout ce que j’ai gagné récemment, c’est 13.000 f », jure-t-il.

Les vicissitudes des « accrocs »  au PMU…

Mohamed Lamine S, à l’instar de plusieurs parieurs, ne tient pas à ce qu’on le reconnaisse.  Parce que jouer de l’argent reste un tabou en Afrique, à fortiori en terre musulmane comme la Guinée. Il est 8 heures, le soleil s’est levé sur la Presqu’île de Kaloum, les lampadaires sont éteints sur la kyrielle des kiosques qui jouxtent curieusement la « Mosquée Sénégalaise ». Sous le reflet du soleil levant, voilà plus de trente minutes que Mohamed Lamine attend la vendeuse de tickets pour composer  ses numéros du jour,  les yeux embrumés par les cannettes de bière qu’il vient de vider la veille et rivés sur les programmes. Pas de cagnotte ce jour-là. Mohamed Lamine joue alors le tiercé et le quinté. A la mi-journée, le résultat tombe. Fiasco pour le parieur. Il rentrera bredouille à la maison, lesté d’un sentiment de culpabilité qui ne le quittera qu’avec le sommeil. « Ma femme me regardera encore une fois avec son air mauvais. Elle croit que je ne fais que boire, elle ne sait pas que je joue.»

Voilà dix ans que Mohamed Lamine, la quarantaine, marié et père de cinq enfants, a découvert l’enfer du PMU. C’est un ami, un travailleur de PMU justement. Il n’y aurait jamais pensé avant.

« Pour moi, le jeu de hasard, c’était réservé aux riches », dit-il, un brin éméché. Il n’avait pas totalement tort. Mais les kiosques étaient envahis par des Libanais qui se font payer des rouleaux de tickets.

Mohamed Lamine Sylla parle de sa passion comme d’une dépendance. « Une fois que t’as plongé là-dedans, c’est très dur d’en sortir », admet-il. Il ne sait pas combien d’argent il a mis dans ces satanés kiosques (« beaucoup »), il ne sait pas combien il en a gagné (« peu »). Ce dont il est sûr, c’est qu’au final il est perdant. Mais il y revient sans cesse, dans l’espoir d’empocher le gros lot un jour, et aussi parce qu’il en ressent le besoin. « On appelle ça l’adrénaline je crois, dit-il, désabusé. C’est très fort, ce moment où tu sais que tu as gagné. Ça te fait oublier tout le reste. »

« Un jeu de dupes… »

Un père de famille rencontré le week-end dernier devant un kiosque à Dixinn, à l’entrée du 28 Septembre, alors qu’il venait de perdre 100 000 GNF. Il était furieux et dégoûté mais pas prêt à abandonner. Pourtant, il était persuadé qu’il venait une nouvelle fois de se faire « voler ». « Je connais très peu de gens qui ont gagné une grosse somme. On nous entube ! » Peste-t-il – ce qui ne l’empêche pas d’y retourner. Les gérants du kiosque jurent le contraire.

Boubacar K, enseignant, un ancien parieur assit dans l’un des bistrots du stade assure que le taux de redistribution aux parieurs du PMU est faible : « plus un joueur gagne, plus il revient jouer », argumente l’ancien joueur. « C’est un jeu de dupes, tous ces jeux d’argent », dénonce de son côté Camus B, un autre enseignant qui lui aussi fréquentait assidûment les lieux de jeux. Pour lui, c’est une drogue, mais on fait comme si personne n’en consomme.

Pour Youssouf D, un fonctionnaire des services des Impôts en compagnie des deux anciens adeptes du Pari Mutuel Urbain, l’industrie des jeux a un impact positif sur l’économie. Les taxes sont sources de rentrées d’argent non négligeables dans les caisses de l’État, et le secteur est pourvoyeur de nombreux emplois. Mais l’économiste ajoute que cette industrie nécessite  d’être contrôlée  afin de protéger les parieurs de ses effets nocifs.

La cible: les quartiers populaires

Nocifs ? Le mot est faible, à en croire Touré A, un Guinéen qui a tenté dans les années 1990 d’implanter le PMU et des salles de jeu dans le pays. « Le PMU, dit-il, c’est une très bonne idée pour les affaires, mais c’est une catastrophe sociale pour les Guinéens. Ça marche très bien, mais on est toujours perdant à ce jeu. Même celui qui gagne, car il perd la tête : il délaisse son travail, il dépense tout son argent, puis il se retrouve sans rien. Quant aux salles de jeu, c’est du racket, ni plus ni moins. »

Le PMU comme les salles de jeu ont « démocratisé » la pratique des jeux d’argent, en Guinée, quand les casinos étaient réservés à une élite. Le PMU, Guinée Games et autres lotos se retrouvent dans les quartiers populaires…Ils permettent de toucher un public moins argenté, mais plus large. « Les pauvres misent moins, c’est sûr, mais ils sont des millions », sourit un croupier qui travaille pour  Housein G et qui conclut son exposé par ce « bon » mot: « Le pauvre est l’avenir du PMU ! »

Les fournisseurs l’ont bien compris: quand il a tenté (en vain) de conquérir en Guinée, au début des années 2000, Housein G a implanté ses salles de jeu dans tout ce que la capitale compte de quartiers miséreux : Kaloum, Dixinn, Hafia, Matam, Matam, Dabondi, Bonfi, Gbessia

Les jeux d’argent, une addiction pour des milliers de Guinéens

Des hommes comme Sylla Mohamed Lamine, prisonniers de leur addiction, on en trouve aujourd’hui des centaines de milliers dans le pays. Ils sont de plus en plus nombreux à jouer frénétiquement au PMU, au Guinée Games  ou Africa Loto… à parier méthodiquement sur des chevaux ou des matchs de football. La demande est de plus en plus forte, l’offre suit en conséquence – à moins que ce ne soit l’inverse.

En Guinée, on estime à plus d’un million le nombre de joueurs qui dépensent au total, chaque jour, plus d’un million d’euros en paris… À Conakry, il est marquant de constater que le lieu le plus fréquenté, du matin au soir, est le siège du PMU, devant lequel les joueurs de tous âges et des deux sexes étudient la liste des courses ou des matchs, ainsi que les cotes qui vont avec. Les kiosques, les casinos disséminés dans toute la ville, et même dans tout le pays, ne désemplissent pas. Et il en est ainsi un peu partout.

Des Guinéens allergiques au PMU ?

Mohamed K explique, lui, n’avoir rien gagné de substantiel depuis qu’il a commencé à jouer il y a six mois. Il est chômeur, et l’un des rares Guinéens à fréquenter le point de courses.

«Les Guinéens ne jouent pas», affirme la vendeuse de tickets à l’autoroute « Madina SIG ».

«Vous pouvez même interroger les parieurs et vous constaterez que ce sont de petits parieurs. Le Guinéen n’aime pas perdre et il se décourage vite. C’est par exemple mon cas, je gère un kiosque, mais je ne parie  jamais», estime notre interlocutrice.

Les Guinéens allergiques au PMU? À voir. Il suffit de se poster à 7h30 du matin devant un kiosque au port autonome par exemple, pour voir défiler des ouvriers, des dockers et autres fonctionnaires qui, sur la route du travail, viennent valider leurs jeux de la journée avant de filer à l’anglaise. En toute discrétion. Car ils ne veulent surtout pas se faire voir en ces lieux de «débauche». Il en va de leur bonne image. Certains viennent quand même valider leurs tickets c’est le cas de Salifou S, un cadre financier croisé devant la Mosquée Sénégalaise à Kaloum. «Aujourd’hui, c’est samedi et comme j’ai un peu de temps libre, je suis venu donner libre cours à ma passion. Moi, je ne joue pas forcément pour avoir de l’argent mais sachez que si j’en gagne, je ne cracherais pas là-dessus».

Ils sont environ un millier à fréquenter chaque jour les kiosques. Les samedis et jours fériés. On avance le nombre de 500 joueurs. Pour les recettes, motus et bouche cousue, insécurité oblige.

Le PMU est rentré dans les habitudes des Guinéens dans les années 90. D’abord timidement avec des paris enregistrés dans de petits lieux de vente appelés kiosques et disposés dans tous les quartiers de Conakry, et aujourd’hui dans de véritables espaces courses mis à la disposition des parieurs.

Ces kiosques sont gérés par des particuliers qui reversent régulièrement leurs recettes à la Lonagui et qui se plaignent tous des conditions jugées trop draconiennes de la Loterie nationale. Il n’y a pas que les parieurs à juger que le PMU ne nourrit pas son homme en Guinée.

« En Guinée, les autorisations sont délivrées n’importe comment. Il suffit de venir avec une valise pleine ou la promesse de retombées immédiates »

Difficile, dans ce secteur plus que dans tout autre, d’obtenir des chiffres précis. C’est vrai, la Guinée a officiellement autorisé les jeux d’argent. Mais cela s’est-il fait dans la transparence ? Pas si sûr. Ces jeux sont tolérés en toute opacité.  Combien de ministres, de préfets et de commissaires signent un bout de papier contre un généreux bakchich ?

« C’est complètement anarchique, déplore un parieur. En Guinée, il y a des salles de jeu partout. Les autorisations sont délivrées n’importe comment, tantôt par le ministre du Budget, tantôt par les ministres, tantôt on ne sait par qui… Il suffit de venir avec une valise pleine ou la promesse de retombées immédiates », soutient un parieur.

On compte en Guinée, du moins pour la partie émergée de l’iceberg, 70 casinos, 200 tables de jeu, 1 000 machines à sous, et presque autant de loteries nationales que les villes. Mais ces données ne prennent pas en compte les milliers de machines à sous installées clandestinement dans les bars, y compris dans les villes les plus reculées – des machines vendues comme des kalachnikovs : en provenance d’Europe de l’Est, et sous le manteau -, gérées par de drôles de personnages venus de Russie, de Chine ou d’Europe avec les mœurs du monde de la nuit et de l’argent.

Un marché juteux

Housein G vient de ce monde-là, même s’il prône aujourd’hui la transparence. Ce Guinéo-Libanais est aujourd’hui à la tête d’un empire en République de Guinée. À lui seul, il gère plus de 150 salles de jeu à travers le pays. Rencontré dans un café de la place un soir, il a accepté de causer avec nous:« les débuts ont été difficiles. Les gens ne connaissaient pas. Mais aujourd’hui, ça marche très bien», s’enthousiasme-t-il. Son chiffre d’affaires et ses prévisions pour les années à venir donnent une idée de l’ampleur du phénomène.

Et depuis un certain temps, les investisseurs viennent de partout, parfois avec leurs gros sabots, parfois en toute discrétion. On trouve, des Sud-Africains, des Chinois, des Libanais, des Russes, des Ukrainiens, des Espagnols, des Turcs, des Brésiliens … « Tout le monde regarde vers la Guinée, c’est une terre en friche, qui ne demande qu’à être exploitée », explique, Houssein. 

« Le marché est saturé en Europe. Les législations sont trop compliquées. L’avenir des jeux est ici: la population est jeune, on voit apparaître une classe moyenne, et la croissance est importante. »

Une enquête réalisée par Louis Célestin, (attendant que La LONAGUI accepte de nous recevoir pour d’autres investigations si possible)

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