La disparition récente de l’un des plus grands monuments de la musique guinéenne des cinquante dernières années, l’honorable feu Mory Kanté, remet aujourd’hui sur la table de discussion la question des conditions d’inhumation dans notre pays. Plus de six décennies après son « indépendance », la Guinée ne dispose pas encore à ce jour d’un seul cimetière qui soit digne de plébiscite. Et pourtant ! Voilà un endroit que chacun d’entre nous sera appelé à rejoindre un jour pour un temps inconnu, tôt ou tard. Crédit photo : Le grand cimetière de Madina (coordination Madina).
À défaut de ne pouvoir les ramener à la vie, la meilleure manière pour nous d’immortaliser nos illustres disparus, qu’ils soient membres de nos familles, proches amis, sympathisants ou tous ces grands hommes et femmes qui ont marqué l’histoire de notre pays, est de leur offrir une demeure honorable, respectable, fréquentable et accessible.
Car le cimetière est d’abord et avant tout un lieu sacré qui mérite notre respect, c’est le dortoir de nos morts. Nous devons donc veiller à la tranquillité de leur sommeil afin qu’ils y reposent en paix. C’est aussi un lieu de mémoire, de rappel, où l’on peut faire l’expérience mentale d’une projection à partir de cette vie misérable et passagère, de ce monde agité et injustement corrompu vers un monde plus paisible et éternellement juste.
Il est toutefois fort malheureux de constater que nos cimetières sont aujourd’hui encore dans un tel état d’abandon et de désordre qu’ils ne donnent pas envie de les visiter.
Les cimetières en Guinée, lieux de profanation des morts ?
Lorsqu’on visite certains cimetières de la capitale guinéenne on peut s’étonner de voir que d’aucuns sont sursaturés, devenus des dépotoirs d’ordures, théâtres de nombreuses incivilités et agressions de tout genre, tandis que d’autres sont complètement laissés à l’abandon et se trouvent dans un état indésirable où les arbustes, les herbes et les reptiles prospèrent, rendant ainsi méconnaissables plusieurs tombes aux familles endeuillées.
On y remarque aussi que certaines tombes ont été détruites et laissées à découvert, incitant à leur profanation et éventuellement au trafic d’organes humains, dans un pays où nombres d’individus se prêtent encore à toutes sortes de sacrifices infâmes pour des finalités de tous genres.
Au cours d’une de mes visites dans ma Guinée natale, accompagné par d’autres, je m’étais moi-même permis d’aller visiter quelques cimetières de Conakry, où reposent certains membres de ma famille afin de m’y recueillir et leur offrir mes prières. En dehors de toute attente, j’ai été stupéfait de m’apercevoir qu’il nous eut fallu de devoir fouiller dans les herbes pendant plus d’une heure avant de retrouver les tombes de certains de nos défunts. Pour d’autres, nous étions simplement obligés de quitter les lieux sans pouvoir les retrouver.
Il est évident qu’un tel état déshonorable de ces lieux invite à s’interroger sur les responsabilités partagées entre l’Autorité étatique, la société et les personnes à titre individuel. D’une part, on peut dire que les familles endeuillées ont elles-mêmes, le temps passant, fini par abandonner leurs proches disparus à ce triste sort. Cela est probablement dû aux innombrables épreuves de la vie présente, à la course infinie pour l’acquisition de ses biens et de ses plaisirs.
D’autre part, on peut également affirmer que cette responsabilité incombe surtout aux autorités de la Ville de Conakry et par extension au Ministère de la Ville et de l’aménagement du territoire. Il en est ainsi dans la mesure où la réglementation, l’organisation, la sécurité et la salubrité de ces lieux relèvent de leurs prérogatives, d’autant que ce sont eux qui disposent des services compétents qui ont pouvoir à rendre ces lieux agréables et conformes aux normes abouties.
Réhabiliter nos cimetières pour honorer nos défunts
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De ce qui précède, il est dorénavant un devoir moral et une exigence de justice pour les autorités guinéennes de prendre les mesures nécessaires en vue de procéder à une réhabilitation et une restructuration complètes des cimetières de la capitale et ceux de l’intérieur du pays. Pour ce faire, il faudra d’abord avoir à l’esprit que les cimetières, comme tout cadre bâti, doivent obéir à certains principes d’urbanisme et d’aménagement.
Ils doivent être facilement accessibles, bien structurés, avec des sentiers bien espacés pour permettre une circulation fluide entre les stèles, propres, régulièrement entretenus et surtout localisés en des endroits relativement loins des quartiers densément peuplés et du trafic automobile.
Avant de commencer à enterrer nos morts n’importe où et n’importe comment, nous devons d’abord penser à élaborer, conformément aux plans d’urbanisme de nos villes, un plan directeur d’aménagement des cimetières. Ce plan vise la planification, le développement et la mise en valeur de ces lieux en fonction de la densité d’habitat et de l’évolution démographique des localités.
Dès lors, la conception et l’élaboration de ce plan doivent être confiées à une équipe élargie de professionnels réunissant des spécialistes de l’architecture urbaine, de l’architecture du paysage, de l’histoire de l’aménagement et de l’urbanisme. Enfin, pour permettre l’aboutissement de ce projet, on aura certainement besoin d’un bon système de gestion et de financement de ces lieux funéraires. D’où l’intérêt d’en dire quelques mots.
Pour un financement intelligent des cimetières en Guinée
En raison des nombreux chantiers d’intérêt public qui incombent à nos gouvernements, il est clair que mobiliser les fonds nécessaires à la réhabilitation ou la reconstruction de nos cimetières, en vue de répondre au défi démographique persistant est une tâche difficile. Faute de recettes publiques suffisantes, les autorités sont souvent amenées à orienter leurs efforts ailleurs. Or, cela est une grave erreur selon nous.
En effet, l’aménagement des cimetières, comme nous l’avons démontré plus haut, mérite lui aussi de figurer parmi les priorités de nos gouvernements. Cela ne doit pas être un sujet de négligence, car le cycle de la vie oblige chaque être vivant à tirer un jour sa révérence. Il est donc très indispensable que nous ayons des cimetières dignes de séjour.
Pour assurer le financement de ces nobles lieux, nous proposons ici un autre moyen, une autre façon de mobiliser les ressources nécessaires afin de pouvoir régler ce problème. Ainsi, nos autorités pourraient par exemple faire appel au secteur privé et se demander si la solution ne consisterait pas à conférer le droit de construire et d’exploiter les cimetières dans le cadre de concessions. En quoi cela consiste-t-il ?
Dans le cadre d’un système de concessions, l’État accorde à un concessionnaire le droit de financer, construire, posséder, exploiter et entretenir une infrastructure publique pendant une période donnée et de faire payer ce service par les usagers. Les sociétés concessionnaires sont généralement des entités autonomes supposées être capables tôt ou tard de se financer sans avoir recours à leurs actionnaires. Le recours à un tel mécanisme va permettre à notre pays d’avoir des cimetières de qualité à la satisfaction des usagers.
Un tel système permettrait également de réaliser ces infrastructures sans que l’État soit obligé de s’endetter durablement ou de recourir aux recettes publiques. Évidemment, comme c’est le cas dans la plupart des pays, les populations devront toutefois payer leur part de contribution, qui se veut raisonnable, pour pouvoir utiliser ces lieux funéraires.
N’avons-nous pas appris que le degré d’humanité et de civilisation d’un peuple se mesure par la dignité qu’il accorde à ses hôpitaux, ses prisons et ses cimetières ?
Paix aux âmes de nos illustres disparus !