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Passerelles de Madina-Coléah : quand des mendiants, aveugles et culs-de jatte deviennent les maîtres des lieux

Vols, consommation abusive de drogue, violence, bagarres, agressions physiques, ébats sexuels en plein air et en plein jour… Voici là les scènes quotidiennes auxquelles sont obligées d’assister les populations des quartiers de Madina et de Coléah, le long de l’autoroute, sous les ponts piétons, contre leur gré. Des fumoirs et des nids de bordels installés en plein cœur de Conakry. Ces zones à hauts risques sont peuplées de marginaux, d’aveugles et de cloques invalides en provenance des quartiers de Conakry, des villes de l’intérieur et plus particulièrement de la Sierra-Leone qui y règnent et sèment la terreur. Combien de passants ou de riverains ne se sont-ils pas fait agresser en ces lieux ? Excédés, ils sont nombreux les passants et autres riverains témoins des scènes horribles qui réclament à cor et cri le démantèlement de ces «Guettos» insalubres, lieux de tous les actes de violence.

Feu M’Bemba Bangoura, l’ancien Gouverneur de la Ville de Conakry, sous le régime Lansana Conté, a dû retourner plusieurs fois dans sa tombe, voyant des scènes indignes et le désordre que créent aujourd’hui celle nouvelle race de mendiants, venus des quartiers périphériques de la capitale et de certains pays limitrophes. Lui qui s’était battu corps et âme pour donner à la ville de Conakry un éclat particulier. Pour cet ancien « bouillant » Gouverneur à l’époque, interdire ces désœuvrés des temps modernes dans la capitale, c’est lutter contre le désordre urbain, assainir le cadre de vie  et assurer une meilleure sécurité des citoyens.

Aujourd’hui, sept ans après sa mort, ces bandits de handicapés  sans morale font partie du quotidien des passants des ponts piétons et des commerçants de Madina. On les voit coucher à même le sol où ils s’accouplent au su et au vu de tous les riverains, à tous ceux qui s’aventurent  à ces endroits. Le jour, ils déambulent sur les terre-pleins, roulant dans les tricycles devant les commerces et côtoient les commerçantes, qui, avec sur la tête des pyramides de fruits ou les bras chargés de gadgets, bassines ou matelas, ont de la peine à circuler. Quand les voitures sont aux feux rouges ou bloqués dans l’embouteillage, ils se pressent aux portières pour réveiller les conducteurs assommés par la chaleur ; leurs enfants se précipitent pour taper sur les vitres. Tandis que leurs parents adultes aux jambes déformées par la polio tendent le bras pour quémander quelques petites coupures.

« Ce sont des voyous qui agressent la nuit tombée. Ma camarade et moi avions été agressées quand nous passions sous la passerelle de SIG-Madina aux environs de 23 heures, face à l’Université Gamal Abdel Nasser, au niveau de la petite station Total. Ils nous ont pris nos téléphones et tout notre argent. Nous avions crié, mais hélas ! …Des bandits la nuit, mendiant le jour », raconte M’Mah Camara, jeune coiffeuse dans le salon situé à l’autre bout de la passerelle. Elle a eu la malchance de passer dans les environs avec son ami à cette heure-là.

Cet autre riverain dit avoir été témoin d’une scène qui l’a ébahi : « Je voulais attendre un taxi pour me rendre à Kaloum. Il était 19 heures. Quelle ne fut ma surprise de voir un couple handicapé en ébats sexuels ! A même le sol, sous les regards amusants des autres clochards qui ricanaient à gorge déployée. Je ne m’en reviens pas encore. Dans un pays musulman comme le nôtre ? Au lieu de continuer à attendre un taxi, j’ai sauté sur la première moto qui s’est présentée à moi et j’ai quitté les lieux. Ce sont des lieux de dépravation. Et ces scènes se passent aussi au niveau du pont 8 Novembre ! Pis, ces gens défèquent dans les caniveaux en bas des ponts. Vivement que le Gouvernorat fasse quelque chose pour débarrasser ces endroits de cette race de délinquants immoraux ! »

Les repousser vers la périphérie de la ville ou les reconduire dans leurs villages

Tout un microcosme d’invalides (aveugles, cloques, unijambistes) mendiants auquel Madame la Gouverneure, devra mettre fin, comme le préconise ce cadre du ministère de l’Environnement, interrogé lors de notre enquête à Madina. Il est allé très loin pour dire: « dans le cadre de la lutte contre le désordre urbain, le commerce ambulant sur les grandes artères, la mendicité sous toutes ses formes et l’usage des charrettes à bras devraient être formellement interdits sur toute l’étendue du territoire de la Capitale. Pour lui, une telle mesure traduira la volonté « d’assainir le cadre de vie des populations, d’assurer davantage la sécurité des personnes et des biens, ainsi qu’une meilleure fluidité routière », afin de redonner à la ville de Conakry sa réputation de perle de l’Afrique de l’Ouest, une ville qui offre une meilleure qualité de vie à ses populations et aux visiteurs ». Les mêmes arguments ont toujours été évoqués au Gouvernorat pour justifier la destruction de plusieurs quartiers précaires autrefois. Des « déguerpissements » récurrents au cours de la décennie écoulée en raison de la forte croissance urbaine de Conakry, et qui se sont intensifiées ces derniers temps mais sans effets.

Coups de filet

En 2014 et même à l’arrivée du CNRD, le groupe du général Sadiba Koulibaly, l’ex chef d’Etat major de l’Armée, avait déjà tenté de chasser cette racaille de handicapés invalides qui ont assiégé le long du mur de l’Université Gamal Abdel Nasser, d’interdire la mendicité aux carrefours de la capitale. Mais hélas ! Cette mesure n’a réellement pas été suivie d’effets. Et même 20 ans en arrière, les policiers effectuaient parfois des coups de filet dans les grandes artères, confisquant ou détruisant la marchandise des vendeurs ambulants et dispersant les mendiants.

Toujours le même son de cloche. « On n’a pas d’autre choix que d’attendre que des passants aient pitié de nous et nous donnent de l’argent ou un peu de riz », déplore une jeune handicapée de nationalité Sierra-Léonaise assise sur un carton posé sur le goudron brûlant de l’autoroute Fidel Castro Ruiz, au niveau du quartier Coleah, dans la commune de Matam. Deux enfants en bas âge sont allongés à ses pieds. Seule à maîtriser le français, elle s’érige en porte-parole du petit groupe : «Quand la police nous chassait, on courait, pour aller se cacher. Et quand elle s’en allait, on revenait s’asseoir. »

Au carrefour de la Grande Mosquée Fayçal à quelques dizaines de mètres de la Morgue du CHU de Donka, les vendeurs ambulants ont pris soin de se tenir à l’écart des mendiants pour éviter toute confusion. Mais lors de plusieurs descentes de police, eux aussi encourent des sanctions. « Un jour, quand ils nous ont attrapés, ils ont pris nos marchandises », indique une très jeune fille qui vend des citrons aux automobilistes : «  Ils ont pris ma tantie. Elle a pleuré, elle a demandé pardon, mais ils n’ont pas eu pitié et l’ont emmenée » au poste de police.

L’impuissance des autorités face ces hors-la-loi nuisibles

Ces handicapés-mendiants disent être dans l’incapacité de payer le loyer : « Nous n’avons pas de moyens. Regardez ! Je n’ai pas les pieds pour faire des activités ni pour avoir à manger. Nous sommes des Léonais, dépourvus de moyens. Depuis l’explosion du dépôt de carburant à Coronthie, nous sommes venus ici. On n’a rien», explique une vendeuse de gâteaux qui porte au dos un bébé endormi. « Que voulez-vous qu’on fasse ?, lance-t-elle. Mon mari est débrouillard, c’est un mouilleur de ciment [aide-maçon]. Quand il n’y a pas de chantier, il n’y a pas d’argent qui entre, mais on a toujours des bouches à nourrir », se plaint dame A Sylla

Au gouvernorat de la ville de Conakry, on nous apprend que les difficultés liées au maintien de l’ordre sur les espaces publics de Conakry sont surtout dues, selon la direction de gestion du patrimoine public de la capitale, au manque de moyen financier et à l’absence d’un code de bonne conduite.

« Le budget alloué à l’entretien et à la gestion du patrimoine public est insuffisant et presque inexistant. Quant au manque de code de bonnes conduites, et le laxisme dans l’application des lois existantes, ils accentuent l’incivisme des populations. Le manque de culture d’entretien dans le quotidien des Guinéens, selon la direction de gestion du patrimoine public, caractérise le désordre dans les espaces urbains. C’est pour ainsi que certains acteurs commerciaux n’hésitent pas à en faire leurs lieux d’activités en dépit des interdictions. Le manque de comportement républicain est si préjudiciable qu’il annihile les efforts de gestion spatiale », nous explique Dr M K, ancien travailleur du Gouvernorat à la retraite.

En somme, le bilan dans la gestion du patrimoine public de la ville de Conakry par les règles administratives et les opérations de déguerpissement est mitigé. En dépit de l’existence des règles de gestion des espaces publics, le désordre semble se renforcer dans les communes avec le développement de nouvelles formes d’occupation des espaces. Les causes de ce bilan mitigé sont endogènes. À l’analyse de ces causes, il ressort un laxisme des gestionnaires dans l’application des lois et de la réglementation d’occupation spatiale. Ainsi, certains agents de gestion spatiale font l’objet d’accusations dans l’exercice de leur fonction.

Les compromissions aussi rendent inefficaces les opérations de déguerpissement des acteurs anarchiquement installés sur un espace.  À ce niveau, le prélèvement des taxes sur toutes les activités de rues enfreint à ces dispositions réglementaires dans les communes.. Aussi, la dispersion des responsabilités et les conflits de compétences au sein des services administratifs en charge de la gestion des villes sont le motif valable des échecs itératifs des projets de lutte contre le désordre urbain et la fébrilité de la politique de préservation environnementale malgré l’existence des structures et agences pour l’environnement. Ainsi, plus les responsabilités sont émiettées, plus naissent les chevauchements dans prise de décision. Une centralisation dans les prises de décision permettrait d’identifier la responsabilité de chacun dans la gestion des villes. La fébrilité dans la gestion spatiale est corroborée par les autorités guinéennes lors du lancement des séries d’opérations  ville propre en ces termes : « Les erreurs accumulées pendant des années, des actes à poser qui nous n’ont pas été posés, des décisions à prendre qui n’ont pas été prises expliquent pourquoi Conakry est devenu un dépotoir géant où certains pays voisins déversent des invalides nuisibles », conclut Mouna D, ex fonctionnaire au Gouvernorat de Conakry.

Certains observateurs pensent que Mme la gouverneure de Conakry n’aurait qu’à s’inspirer du gouverneur général d’Abidjan qui vient d’interdire les mendiants et les vendeurs à la sauvette dans la capitale ivoirienne.

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