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«On a tué le sport guinéen»: diagnostic implacable du sport guinéen dressé par Alexandre Camara, ex-pongiste de haut niveau (entretien)

 Né en 1960 à Conakry, Alexandre Camara est fils de feu Sékou Menthon, Ingénieur géomètre et topographe du temps de l’Afrique Occidentale Française, compagnon de l’indépendance guinéenne et de Mme. Camara née Apelbaum Esther, professeur de Mathématiques et qui a fait partie des premiers membres actifs du système éducatif guinéen.

Alexandre a passé ses études primaires à la place des Martyrs, celles secondaires au collège de Boulbinet puis le lycée à Donka où il a obtenu son bac unique avec mention. Par la suite, il sera orienté à l’ENAM.

Toujours passionné et insatiable de la technique et de la technicité, Alexandre Camara passera son deuxième degré en mécanique auto au bout de trois ans avant de mettre le cap sur l’Institut Polytechnique Gamal Abdel Nasser de Conakry (IPGANC). Il bouclera ce cycle universitaire comme ingénieur mécanicien avec la mention excellente.

Nanti de ce riche parcours universitaire, Alexandre Camara n’a été fonctionnaire d’Etat que pendant 4 à 5 mois qui l’ont d’abord conduit à la Direction des mines puis à la Direction Technique de l’Office des Bauxites de Kindia (OBK), précisément au Garage central.

Sur le parcours, il a travaillé et occupé de hautes fonctions de responsabilités à la SOGETRAG, à SOCOPAO, DELMAS, SGS, Holding FUTURELEC, TRANSCO et pour finalement créer sa propre entreprise dénommée GLOB TRANS dont il a cédé la gestion à sa fille pour assurer la relève.

Aujourd’hui, Alexandre est l’un des précurseurs de l’éco-tourisme en Guinée à travers le complexe hôtelier ‘’MAF Village’’. Cumulativement à ses activités de promoteur hôtelier et en raison de ses expériences et compétences, il occupe dans d’autres secteurs d’activités, les fonctions de juge au tribunal du commerce, de Consul honoraire de l’Indonésie, de Vice-président de l’actuel directoire du patronat guinéen.

Votre quotidien d’informations en ligne, Guinéenews, a rencontré à Maferinya cet entrepreneur dans l’âme, pas pour parler de ses nombreuses activités économiques, mais plutôt en tant qu’en ancien sportif polyvalent. Car, Alexandre Camara a pendant cinq ans pratiqué la natation et pendant 10 ans, il a été pongiste. Il a à son actif quelques titres de champion de Guinée en tennis de table et est médaillé de bronze aux jeux Africains d’Egypte de 1985.

Dans cette interview, qu’il a bien voulu nous accorder, Alexandre Camara nous parle du tennis de table, les avantages de la pratique de ce sport, ses frustrations et son avis sur la pratique sportive en général. Lisez !  

Guinéenews : expliquez-nous comment êtes-vous venu au tennis de table précisément et à tous ces autres sports, en tant sportif polyvalent ?

Alexandre Camara : je suis d’abord, faut-il le souligner d’entrer de jeu, issu d’une famille sportive. Mon père a fait beaucoup de motos. Ma sœur ainée feu Laure Camara, a été la première guinéenne à avoir une ceinture noire de judo. Mon frère qui l’a suivi a aussi eu une ceinture noire de judo. Ma sœur ainée dont je parle, paix à son âme, pratiquait parallèlement le tennis de table. Ma sœur cadette Lucrèce Camara pratiquait aussi le tennis de table. L’ainée faisait partie aussi de la première sélection de natation. Ce qui m’a amené moi, ne serait-ce que par le suivi de mes ainés à faire le sport, et j’ai commencé tout d’abord par la natation et mes sœurs pratiquant le tennis de table, la salle de tennis de table étant contiguë à la piscine olympique. A force de les attendre pour rejoindre le domicile après les entrainements, j’ai eu finalement l’amour de pratiquer le tennis de table.

Concomitamment au tennis de table, je jouais donc au basket, pour le collège et le lycée et puis l’université. J’ai joué aussi au Handball jusqu’à l’université et au niveau national et un peu au volleyball et au football dans le quartier.

Le sport dans lequel j’ai vraiment, disons plus ou moins, excellé est le tennis de table que certains appelle le ‘’ping-pong’’.

J’ai commencé à pratiquer le tennis de table en 1975 et j’ai arrêté la pratique en 1985. J’ai été champion de Guinée, statut que j’ai maintenu durant tout un parcours aux compétitions engagées.

Guinéenews : le ping-pong comme cela résonne sur la table, quel est le tilt que cette ronde et belle balle blanche vous fait face à un adversaire ?

Alexandre Camara : contrairement à ce que plusieurs l’appellent ‘’ping-pong’’, le tennis de table est un sport complet. Le seul handicap de ce sport est qu’il développe un peu plus un bras que l’autre, comme le tennis de court d’ailleurs. A la différence du tennis de court, le ping-pong ou le tennis de table fait appel à un réflexe hyper développé. Une stratégie, un développement technique hors du commun. Cet ensemble permet de développer un certain leadership chez celui qui pratique ce sport. Puisqu’en fonction de l’adversaire, la technique, le type et la stratégie de jeu peuvent changer. Au-delà de tout cela, ce sport fait appel à tous les membres, à tous les organes du corps humain, à l’exception, dans une courte proportion gardée, du membre opposé de celui auquel on tient la raquette.

C’est un sport où l’attention, l’observation, le réflexe sont des paramètres à ne pas négliger. C’est un sport d’élite et celui qui évolue dans le tennis de table, ne peut pas ne pas être un leader et c’est impossible. Quand vous arrivez à certain niveau, c’est que vous avez la capacité de gérer. Et comme c’est un sport individuel, il faut forcement gagné et quand on le pratique, ce n’est pas pour perdre et pour gagner, c’est la victoire qui doit pointer au bout de toutes les compétitions.

Guinéenews : aviez-vous assisté à des compétitions nationales ou internationales de tennis de table à votre époque ?

Alexandre Camara : en Guinée, il n’y a eu que des compétitions nationales. En dehors de la Guinée, en 1976-77-78 nous sommes allés en Mauritanie, au Sénégal, au Nigéria, à Alger pour assister à de grandes compétitions sous régionales. A celles-là aussi se rajoutent d’autres déplacements amicaux et compétitifs toujours dans la sous-région, entre autres, le Togo…

Et 1985, mon dernier grand tournoi fut les premiers jeux africains qui ont eu lieu en Egypte. Et c’est au retour de cette compétition, écœuré, déçu de par certaines attitudes de certains cadres du ministère de la Jeunesse à l’époque, que j’ai préféré déposer le tablier.

Guinéenews : au-delà de ce parcours sportif, disons, accompli, décrivez-nous votre plus beau ou plus mauvais souvenir dans votre parcours sportif ?

Alexandre Camara : le beau souvenir, c’est en 1977 où j’ai eu la médaille de bronze parmi tous ceux qui avaient été éliminés au 2ème tour. C’était la vraie médaille africaine que je n’ai pu obtenir dans ce sport et cet instant reste un beau souvenir pour moi.

Le plus mauvais souvenir, c’est aux jeux africains d’Alger en 1978 où nous avions eu une prime de 20 dollars pour un mois de séjour. Les dirigeants du ministère de la Jeunesse à l’époque nous ont détourné 10 dollars. Nous les avions pris en otage. Ça, c’est un mauvais souvenir. Ce qui symbolise encore ce que nous sommes en train de vivre du manque de sérieux des encadreurs et des dirigeants dans le milieu sportif.

Guinéenews : aujourd’hui, comment pourrait-on définir Alexandre Camara ?  

Alexandre Camara : un amoureux de son pays, quelqu’un qui s’est battu pour le pays et qui n’a aucun regret. Et si je pouvais me refaire une jeunesse, je me rebattrai de la même façon. Puisque c’est le plus beau pays du monde. C’est un pays avec un potentiel énorme. J’ai eu l’avantage contrairement à plusieurs amis d’enfance de ne vivre qu’en Guinée ici. Toute ma carrière professionnelle s’est faite en Guinée. Toute ma carrière sportive qui s’est étalée sur 15 ans, c’est-à-dire 5 ans de natation et 10 ans de tennis de table entrecoupée de basket, de handball et de football et tout ceci s’est fait en Guinée. J’ai vu ce pays à des moments merveilleux. J’ai vécu et j’ai vu ce pays à des moments catastrophiques et je n’en suis jamais parti et je n’y partirai jamais. Pour moi, c’est un pays magnifique qui a un potentiel sublime, qui ne mérite pas le parcours chaotique qu’il a connu. Le Guinéen mérite beaucoup mieux que ce qu’il a vécu.

Guinéenews : si je me permets, peut-on savoir vos sources de revenu ?

Alexandre Camara : aujourd’hui mes sources de revenu, c’est ‘’MAF VILLAGE’’ qui est une entreprise écotouristique. Même si j’ai une entreprise qui est gérée par ma fille, mais ‘’MAF-VILLAGE’’ est ma principale source de revenu.

Guinéenews : est-ce que vous vous intéressez présentement au tennis de table ?

Alexandre Camara : alors, non ! Dégouté, je me suis éloigné du tennis de table bien que j’aie une table de tennis ici même. Je pratique de temps en temps un peu de Ping-pong. Je ne comprendrai pas cette situation devant laquelle nous nous trouvons aujourd’hui par rapport au sport. On a tué le sport au profit de cette activité qu’on appelle aujourd’hui le football et qui, quasiment, est en train de mourir aussi. On a tué le sport guinéen parce qu’on n’en tirait pas les profits que l’on souhaitait. Le tennis de table qui est un sport merveilleux ne devrait pas être à ce stade aujourd’hui. Nous étions pratiquement classés 6ème en Afrique et je suis persuadé aujourd’hui que nous avions beaucoup reculé dans le classement. Je ne comprends pas qu’on ait pu laisser ce sport, ces activités physiques mourir dans ce pays. Le sport, c’est la vie, le sport, c’est la santé.

Guinéenews : certes que vous n’êtes plus dans ce sillage et en tant qu’ancien international guinéen de haut niveau, quelle contribution pouvez-vous aujourd’hui apporter au développement du tennis de table en Guinée ?

Alexandre Camara : ah ! Est-ce que j’aurai encore la force de pouvoir m’investir, contribuer, à participer au développement du Tennis de table. Je ne sais pas encore et je dis joker. J’ai connu beaucoup de frustrations. Des frustrations pas, parce que j’ai perdu quelque chose ou je n’ai pas eu d’intérêt ou quoi que ce soit. Des frustrations parce qu’on ne sait pas ce que l’on veut, on sacrifie les jeunes parce qu’on est égoïstes. En somme, il y a une incohérence dans tout ce que l’on fait dans ce pays qui est un peu plus marqué dans le domaine sportif. Nous avons réalisé de magnifiques infrastructures. Si aujourd’hui, ce bijou qu’est le stade de Nongo ne soit pas reconnu ou accepté par les instances supérieures du football mondial, ne relève que de la volonté cynique des Guinéens que nous sommes. Nous méritons aujourd’hui notre introspection, notre auto critique pour qu’on ne répète plus les erreurs commises hier. Nous ne tirons aucune leçon du passé et c’est vraiment dramatique. Chacun invente l’histoire à sa guise. Chacun est héros ou champion soit sur du faux, sur du dilatoire, sur de l’imaginaire. Alors que si on restituait vraiment l’histoire de ce pays, les erreurs par exemple qui ont été commises hier, ne le serait plus aujourd’hui à plus forte raison dans la planification de demain. Donc, c’est tous ces aspects, cet environnement de ce milieu sportif, cet environnement de gestion, qui me rend très sceptique quant à une implication personnelle pour le développement de ce sport.

Aujourd’hui, il faut reconnaitre qu’il y a de nouveaux dirigeants, de nouvelles donnes, il y’a une certaine volonté, mais il faut que cette volonté soit traduite en actions concrètes. Pour que nous puissions sacrifier le reste du temps que l’on consacre à notre famille, à notre bien-être, à une implication dans un développement d’une activité sportive.

Guinéenews : certainement que vous avez un message de fin à livrer à nos lecteurs ?

Alexandre Camara : ce que je voudrais mettre en exergue, c’est que le sport doit se pratiquer à l’école d’abord. Avoir un bon niveau sportif, il faut avoir un cerveau complet et bien fait. L’école n’est pas un luxe, l’école est un droit et un devoir.

En Guinée, on a tué l’école publique au profit de l’école privée. On a cherché l’enrichissement personnel au détriment de la formation professionnelle et de la formation intellectuelle. Moi, je pense qu’il faille que les dirigeants des systèmes éducatifs et sportifs ramènent le sport à l’école. Que l’émulation, les compétitions, les tournois se refassent à l’école et au niveau de tous les cycles confondus jusqu’à la fin de l’université. De ces écoles, sortiront de bons et vrais sportifs avec un niveau de formation intellectuelle minimum. Parce qu’ils ont appris à lire et à écrire. Ils ont appris la rationalité de l’arithmétique, de la géométrie, la connaissance de l’être humain par la biologie, la chimie. Toute cette connaissance leur permettra de mieux acquérir ce qu’ils apprendront de l’entraineur, de pouvoir se développer et développer l’activité à laquelle ils vont participer et de permettre au sport guinéen de redevenir ce qu’il en était.

On a tellement banalisé l’école, inverser la pyramide des valeurs dans ce pays parce que tu as aujourd’hui des analphabètes autodidactes, qui sont devenus ministres, postulants même Président de ce pays, que l’école a été abandonnée. Et on a considéré que ce sont les gamins qui jouaient bien dans les quartiers qui pouvaient permettre d’avoir une élite sportive guinéenne. On s’est trompé totalement parce qu’à l’arrivée, ils ne savent pas lire un plan tactique, ils ne comprennent pas ce que c’est une stratégie et ce n’est pas de leur faute et parce qu’ils n’ont pas un background. Donc, il faut qu’on revienne aux sports scolaire et universitaire, qu’on revienne à l’émulation. Les écoles de sport, de football qu’on est en train de créer, pour moi, c’est du business. Un gars qui a de l’argent, qui fait un centre de recrutement, qui prends les jeunes qui excellent dans le quartier et ils essaient de leur donner une certaine connaissance, à travers les cours qui sont donnés et avec pour objectif, essentiellement, de pouvoir vendre ces jeunes et de se faire de l’argent sur les dos des jeunes. Ce n’est pas ce type de sport que j’ai connu. Je rappelle quand même que je n’ai pas été un sportif de circonstance. Je suis sportif dans la tête, dans l’âme. Je suis aussi devenu ce que je suis grâce aussi au sport.

Je suis prêt à participer à m’impliquer dans la vie sportive guinéenne. Mais il faut qu’il y ait un environnement qui soit relativement sain et qui ne puisse pas m’amener à considérer que je perds mon temps. Puisque si je mène une action, quelle qu’elle soit avec le sentiment de perdre mon temps, j’arrête puisque je ne suis pas hypocrite. Je ne me trompe pas moi-même et donc, ce n’est pas d’autres que je vais essayer de tromper.

Merci pour l’interview, merci à vous et à travers vous Guinéenews de contribuer à faire en sorte que les jeunes d’aujourd’hui, sache que ce pays à une histoire. Il y a eu des sportifs, il y a eu des disciplines sportives, il y a eu des trophées, il y a eu de très grands sportifs qui, aujourd’hui, sont dans des oubliettes.

Entretien réalisé par LY Abdoul pour Guinéenews

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