«On se sert d’un vieux jean pour obtenir de l’eau plus ou moins propre. D’abord, nous lavons proprement le jean, ensuite on coupe un pan du pantalon, nous attachons le bout situé vers le bas. L’autre côté, c’est-à-dire le haut du pantalon, nous perçons des trous à travers lesquels on lie une corde pour pouvoir suspendre. Nous accrochons ensuite ce sac en bandoulière ainsi formé, sur un arbre ou sur le puits. Nous puisons l’eau boueuse du fond du puits et nous versons dans le sac pour obtenir de l’eau plus ou moins propre. Vous savez, le jean est fait d’un tissu très épais, donc il ne laisse pas passer la boue ».
Cette scène ingénieuse ne se passe ni dans le Sahel encore moins dans un pays désertique. Elle se passe plutôt à Conakry, capitale de la Guinée qui est abondamment arrosée par les pluies diluviennes et traversée par de nombreux fleuves, dont certains y prennent leurs sources.
Cette scène, c’est le quotidien de Fatoumata Binta Diallo, une jeune nourrice qui habite au quartier Wanindara en haute banlieue de Conakry, dans la commune de Ratoma
« Il y a une dizaine d’années qu’on a pas vu de l’eau dans les robinets ici. Heureusement que nous avons ce puits qui nous sert beaucoup, bien que ce soit pénible. Notre calvaire c’est surtout pendant cette saison sèche. Parce qu’en ce moment, il n’y a pas assez d’eau dans le puits. Regardez combien de fois il est profond et imaginez la peine que nous avons à tirer tous les jours ce bidon du puits. C’est pourquoi nos paumes sont dures on dirait les hommes qui creusent les fosses septiques », se lamente Mme Diallo en exhibant ses paumes endurcies.
Avant, ajoute-elle, « nous avions un peu d’eau qui venait trois fois dans la semaine, parfois en pleine nuit, mais depuis un certain temps, aucune goutte n’y coule», déplore Fatoumata Binta.
Wanindara n’est pas le seul quartier de Conakry à être confronté par le manque criard d’eau. La quasi-totalité des quartiers de la capitale manque de cet élément vital. A Lambanyi, le problème est entier. Heureusement, il y a plein de forages dans les différentes familles. Une situation qui apaise la souffrance de plusieurs foyers. « Je m’appelle Aicha Yattara. Ici à Lambanyi, on souffre beaucoup pour avoir de l’eau. D’ailleurs Dieu merci, il y a maintenant beaucoup de forages dans le quartier. Sinon, avant, on pouvait faire des kilomètres pour avoir de l’eau. Et on se levait des fois vers 6h, parfois même à 5 h pour chercher de l’eau. Heureusement que les voisins qui ont des forages nous arrangent beaucoup. Seulement, il faut venir tôt pour s’en servir à cause du monde. Vous voyez, il y a déjà des dizaines de bidons alignés, donc il faut être patient et suivre la queue. Mais il y a des gens qui viennent pour semer le désordre en voulant sauter les rangs. Ce qui engendre souvent des conflits. Mais actuellement, ce qui nous dérange le plus, c’est le manque d’électricité parce que quand il n’y a pas de courant, il n’y aura pas de l’eau », explique Mlle Yattara.
Monique Kamano habite, elle, à Koloma. Fonctionnaire de son état et veuve, son salaire ne lui permet pas, dit-elle, de trouver une bonne pour l’assister dans les travaux ménagers. « La nuit, je profite pour puiser de l’eau afin de pouvoir aller au travail. On ne peut pas vivre sans eau, l’eau c’est la vie comme on le dit. Moi seule je remplis au moins 10 bidons par jour. Cela me permet d’être à l’abri en cas d’empêchement ou de manque de courant dans le quartier, parce qu’on est ravitaillé gratuitement par le voisin. Mon mari de son vivant m’aidait beaucoup. Il ne se gênait pas de pousser la brouette remplie de bidons pour sa femme. Aujourd’hui, je suis la seule à assumer cette corvée puisque mes enfants sont encore petits pour pouvoir m’assister», explique Mme Kamano
Mme Bah Mariam, pédiatre, condamne de son côté le gouvernement qui, à ses yeux, ne se soucierait pas du calvaire des femmes en quête d’eau potable. « Ce qui me tracasse dans cette situation de manque d’eau, c’est le silence coupable des autorités. Il y a des décennies que nous sommes en train de souffrir malgré toutes les potentialités dont notre pays dispose. Et nos autorités n’ont jamais pu prévenir et résoudre ce calvaire. Sinon c’est honteux pour un Etat, qu’en ville nous manquions de ce minimum vital qu’est l’eau. Malheureusement, les populations aussi ne parlent que politique en oubliant leurs problèmes quotidiens », regrette Mme Bah, pédiatre dans une clinique à Dixinn.
Le problème d’eau est entier à Conakry. Dans certains quartiers où les forages sont rares, ce sont des camions citernes qui ravitaillent les populations, a constaté Guinéenews dans plusieurs quartiers. « On dirait un pays en guerre », s’offusque une activiste de la société civile au volant de sa voiture à Nongo.
Comme on le voit, 61 ans après l’indépendance de la Guinée, l’accès à l’eau potable constitue encore un grand un défi pour l’Etat. Un calvaire aussi bien dans la capitale que dans les autres centres urbains et ruraux. Et les femmes, principales concernées par cette pénurie, continuent de souffrir.