« Il n’est pas obligatoire de rester dans un bureau pour pouvoir réussir. Même en étant coiffeuse, couturière, cordonnière ou autre, on peut y arriver si on accorde du sérieux. Donc, j’ai voulu montrer que de juriste, on peut devenir coiffeuse professionnelle de renom et si j’ai pu le faire, les autres aussi peuvent le faire »
Diplômée en droit à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia, Patricia Lamah a été, après ses études, engagée dans une banque de la place comme conseillère juridique. Passionnée de la coiffure et de l’entrepreneuriat, elle a démissionné pour consacrer tout son temps dans la coiffure, notamment dans la promotion des cheveux naturels. Elle est l’une des précurseurs de la coiffure Nappy à Conakry. Pour clore le mois de la femme, Guinéenews est allé à la rencontre de cette jeune dame, gagnante du prix coiffure Kitoko 2018 qui a mis en compétition 8 pays africains. Un prix qui valait 5 millions de FCFA.
Guineenews© : Nous avons appris que vous êtes diplômée en Droit. Comment est-ce que vous vous êtes retrouvée dans la coiffure ?
Patricia Lamah : Effectif, je suis diplômée en droit privé et j’ai été pendant 8 ans conseillère juridique de banque. Je me suis retrouvée en coiffure par passion. J’ai toujours aimé la coiffure et ce, depuis ma tendre enfance. Aujourd’hui, j’ai démissionné de mon poste de conseillère pour être coiffeuse professionnelle.
Guineenews© : Vous faites la promotion de la coiffure naturelle dont le Nappy. Qu’est ce qui a motivé ce choix?
Patricia Lamah : En fait j’ai été souvent victime du défrisage. Donc, un jour ,j’ai décidé de ne plus me défriser les cheveux et comme je les coupais tout le temps, j’ai décidé de les laisser pousser au naturel. J’avais des difficultés à me faire coiffer les cheveux crépus et un jour une amie m’a ajouté sur un groupe Facebook où on montrait comment est-ce qu’il faut coiffer et entretenir les cheveux naturels. Et parallèlement à ça, j’ai fait des recherches sur youtube et j’ai vu comment ça se passait. J’ai alors commencé à reproduire ce que je voyais, sur ma tête et celles de mes amies. Les weekends, je coiffais mes amies à la maison. Donc à travers le partage que je faisais sur les réseaux sociaux, des gens ont commencé à s’intéresser à mon travail. Donc, cela a pris une grande ampleur et les sollicitations étaient telles, que j’ai décidé d’ouvrir un salon pour pouvoir coiffer.
Guineenews© : Vous voulez dire que vous n’avez donc jamais fait une école professionnelle de coiffure?
Patricia Lamah : Exactement, j’ai appris à coiffer seule. Je n’ai jamais fait une école de coiffure. J’ai toujours aimé ça et je me suis donné les moyens nécessaires pour être compétente. J’ai appris sur Youtube, sur Google où je cherchais à comprendre un peu comment entretenir les cheveux naturels, j’ai cherché à comprendre comment mélanger les produits pour pouvoir obtenir un résultat adéquat.
Guineenews© : J’imagine qu’il faut des moyens financiers pour pouvoir ouvrir un salon de coiffure de cette envergure, quel a été le déclic ?
Patricia Lamah : Comme je travaillais, je faisais des économies qui m’ont permis d’ouvrir le salon. Aussi, certaines de mes clientes qui venaient à la maison pour se coiffer, me payaient. J’ai donc pu accumuler un peu d’argent et j’ai acheté petit à petit le matériel jusqu’à ce qu’on a pu obtenir tout ce qu’il fallait pour ouvrir le salon.
Guineenews© : Vous avez remporté en 2018 le prix Coiffure Kitoko qui a été organisé à Abidjan. Comment est-ce que vous avez participé à cette édition ?
Patricia Lamah : C’est une amie qui m’a envoyé le lien pour m’inscrire. Je lui ai dit que je n’avais pas encore la compétence requise. Elle m’a encouragée à essayer. Donc, je me suis inscrite et je suis allée voir mon patron à la Banque pour une indisponibilité de deux mois qu’il m’a accordée. J’ai sacrifié deux mois de salaire et je suis partie. Il y avait en tout 8 pays africains (le Bénin, le Togo, le Burkina Faso, le Congo, le Gabon, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et la Guinée). Nous avons fait un mois d’emblée de tournage. Sans préparation aucune, les membres du jury nous disaient au plateau voici ce qu’on attend de vous et on faisait le travail en un temps record, parce que le temps comptait aussi. La candidate qui exécutait le mieux la coiffure en un temps très court remportait la manche. Donc, je suis allée jusqu’à la finale et Dieu merci, ça s’est bien passé parce que je suis rentrée au pays avec le trophée du prix coiffure Kitoko pour l’année 2018. Donc ,j’ai été la meilleure coiffeuse d’Afrique pour l’année 2018.
Guineenews© : Quel a été ce jour votre sentiment ?
Patricia Lamah : C’était de la fierté, un accomplissement d’un de mes objectifs personnels parce que je voulais prouver dès mes débuts que j’avais ma place dans le monde de la coiffure et aussi montré qu’en Guinée, il y a du talent. Il n’est pas obligatoire de rester dans un bureau pour pouvoir réussir. Même en étant coiffeuse, couturière, cordonnière ou autre, on peut y arriver si on accorde du sérieux. Donc, j’ai voulu montrer que de juriste, on peut devenir coiffeuse professionnelle de renom et si j’ai pu le faire, les autres aussi peuvent le faire.
Guineenews© : Vous aviez un seul salon. Aujourd’hui, vous en possédez deux, des salons bien équipés et tous renommés. Quel est le secret de votre succès ?
Patricia Lamah : Je pense que c’est le travail, la persévérance et le sérieux. Entreprendre ne veut pas dire que dès que tu commences à gagner de l’argent, tu vas utiliser cet argent pour voyager, t’habiller ou rouler dans des grosses voitures. Quand tu décides d’entreprendre, c’est que tu as décidé d’apporter de la valeur ajoutée dans l’environnement où tu évolues. Moi, j’ai décidé à donner du travail à beaucoup plus de filles qui ne faisaient rien. J’ai donné un espace à plus de femmes pour pouvoir s’entretenir et prendre soin de leurs beautés naturelles. Donc, le seul secret que j’ai, c’est le sérieux, la rigueur. Je pense que pour réussir dans la vie, il faut être rigoureux envers soi-même d’abord avant les autres, et avoir une vision. Quand on a une vision et qu’on se donne les moyens pour pouvoir arriver, on arrive toujours au succès et moi, je n’ai pas encore eu le succès auquel j’aspire. Je suis juste à mes débuts et très bientôt, on entendra parler de moi.
Guineenews© : Je devine que travailler qu’avec les femmes n’est pas chose aisée. Quel genre de difficultés vous rencontrez avec vos clientes et comment est-ce que vous arrivez à les gérer ?
Patricia Lamah : Dans mon salon, j’ai instauré un climat de familiarité. Donc, toutes mes clientes sont mes amies, elles sont mes sœurs et j’essaye de les mettre à l’aise dès le départ. Par exemple, lorsqu’une cliente veut une coiffure dont je sais à l’avance, qu’elle ne va pas lui aller, j’essaye de lui faire comprendre de façon très posée et polie, parfois en chahutant, que la coiffure en question ne va pas avec son visage et je lui propose autre chose. C’est vrai qu’il y en qui sont très difficiles, mais on arrive à les parler de telle sorte qu’elles se sentent bien et qu’elles sortent satisfaites du salon. Avec mes employées aussi, je les ai fait comprendre que le salon les appartient et qu’ici, c’est une famille. Donc ça fait en sorte que chacune se donne à fond pour pouvoir donner un service de qualité.
Guineenews© : Aujourd’hui, plusieurs femmes et filles voudraient être comme Patricia Lamah. Quelle est votre source d’inspiration.
Patricia Lamah : Ma source d’inspiration, c’est d’abord Dieu, puis ma grand-mère qui m’a élevée. Parce que déjà très petite, je la voyais grouiller pour prendre soin de nous. Et moi-même, je suis ma propre source d’inspiration. Quand je vois aujourd’hui plusieurs Guinéennes qui sont dans cet élan, et d’autres en Afrique et ailleurs dans le monde qui se démarquent, je me suis dit si telle femme a pu réussir, pourquoi pas moi.
Guineenews© : Comment arrivez-vous à gérer votre vie de famille et votre vie professionnelle ?
Patricia Lamah : J’ai pu dès le départ savoir m’organiser et faire accepter à toute ma famille le choix que j’ai fait. Donc à travers ça tout le monde sait que je suis coiffeuse et qu’une coiffeuse prend beaucoup de temps au salon. Je me suis donc organisée par rapport à ma fille, à mon foyer, à ma famille pour que l’un n’entache pas l’autre. Ce n’est quand même pas facile, mais j’essaye quand même de m’organiser pour qu’aucune partie ne soit lésée.
Guineenews© : Vous faites la promotion du naturel, est-ce qu’il vous arrive à organiser des séances de sensibilisation contre la dépigmentation et le défrisage des cheveux ?
Patricia Lamah : Je participe beaucoup à des fora et lorsque j’ai la parole, je raconte toujours mon histoire quand il s’agit de parler sur les conséquences de la dépigmentation et du défrisage. C’est vrai que ce n’est pas facile à faire comprendre à une femme que la crème qu’elle met, qui lui va si bien en ce temps précis, n’est pas bien pour elle. Parce qu’elles ont plus peur de la transition, elles pensent le plus souvent, quand elle arrête, comment sera leur teint avant de retrouver le naturel. J’organise aussi des masters classes où j’explique aux dames comment entretenir leur peau, leurs cheveux et comment est-ce qu’il faut être belle avec le naturel.
Je sensibilise aussi les femmes, avec mes propres vidéos à travers les réseaux sociaux, sur les dangers de la dépigmentation et de défrisage. D’ailleurs, c’est l’une des raisons qui m’a orientée vers le Nappy. J’ai toujours voulu mener un combat contre le défrisage et la dépigmentation. J’ai toujours eu envie de sensibiliser les femmes sur les dangers du défrisage et de la dépigmentation parce que c’est un fléau social qui me tient à cœur. Et je me suis dit qu’avec le salon, le combat peut bien apporter quelque chose de positif. Quand j’ouvrais mon premier salon, il y avait qu’un seul salon Nappy mais qui n’était pas aussi renommé. Moi, j’ai pu lancer le salon et le faire prospérer. Mon combat est et sera toujours dans la valorisation du teint et des cheveux naturels. Je veux montrer aux femmes, qu’avec les atouts que Dieu nous a donnés, on peut être magnifique.
Guineenews© : Il y a plusieurs femmes qui sont aujourd’hui diplômées et qui sont à la maison faute de travail lié à leurs études. Quel conseil avez-vous à leur donner ?
Patricia Lamah : Moi, je ne dirais pas à une femme lève-toi et travaille. La vie est un choix et quand on fait ce choix, il faut l’assumer. Si tu choisis de rester à la maison, tu ne diras pas que Dieu t’a abandonnée, c’est toi qui auras abandonné. Aujourd’hui, tout est mis à notre disposition pour pouvoir se battre et être indépendante. A nous de prendre conscience de cela et dire qu’on n’est pas prête à dépendre d’un homme ou d’un quelconque parent. Moi, je dirais que dans la vie, vous obtenez le résultat en fonction de votre choix. Donc celles qui veulent être indépendantes, je leur demanderai d’apprendre et de se donner à 100 % pour ce qu’elles aiment.
Je ne vais pas blâmer celles qui ont décidé de rester à la maison, peut-être, c’est dans ça qu’elles ont trouvé leur confort, je leur dirais même bon courage. Mais, le monde est en train de changer. Dans quelques années, on ne parlera plus de femme au foyer, on parlera plutôt de femmes au bureau et de femmes entrepreneures et si toi, tu n’as rien fait dès le départ, tu ne t’en prendras qu’à toi-même.
Interview réalisée par Nassiou Sow