« Au moment où on arrivait sur la pelouse, Sidya était à terre saignant sur le visage. Les gens étaient en train de le rouer des coups et subitement j’ai reçu un coup sur ma tête. Mais avant j’ai entendu « où est Dalein, où est Dalein » ? Puis j’ai reçu un coup sur la tête. On m’a roué de coups et j’ai perdu connaissance. Ils ont marché sur mon corps. J’ai eu 4 cÔtes CassÉes. J’étais blessé à la tête, au visage dont les traces existent toujours. J’ai saigné de la bouche, du nez. Ils m’ont pris pour mort et abandonné là. J’ai été récupéré et mis dans la voiture du colonel Tiegboro. »
Ce samedi 28 septembre 2019 marque le 10ème anniversaire du massacre au stade du même nom à Conakry. Lors d’un entretien qu’il a accordé à Guineenews©, Cellou Dalein Diallo, président de l’UFDG, rappelle ce qui s’est passé ce jour-là, comment est-ce qu’il est sorti du pays et estime que le retard de la tenue du procès de ce massacre est ‘’suspect’’.
Guinéenews : 28 septembre 2009, que vous dit cette date ?
Cellou Dalein Diallo : elle me rappelle des spectacles ahurissants dont j’ai été témoin au stade du 28 septembre. Ce jour, j’étais au présidium avec plusieurs leaders dont Sidya Touré, [Ahmed] Tidiane Traoré, Aboubacar Sylla, Mouctar Diallo, Bah Oury et d’autres. Nous avons vu les soldats entrer et tirer à bout portant sur les citoyens qui étaient sur la pelouse. Je n’en croyais pas mes yeux. Je pensais que c’était des balles à caoutchouc qu’on était en train de tirer. Mais j’ai vu des spectacles inimaginables. J’ai vu des hommes s’acharner contre les femmes, déchirer leurs pantalons. Ce n’est pas agréable de raconter ces événements.
Après, on est descendus et au moment où on arrivait sur la pelouse, Sidya était à terre saignant sur le visage. Les gens étaient en train de le rouer des coups et subitement j’ai reçu un coup sur ma tête. Mais avant j’ai entendu « où est Dalein, où est Dalein » ? Puis j’ai reçu un coup sur la tête. On m’a roué de coups et j’ai perdu connaissance. Ils ont marché sur mon corps. J’ai eu 4 cotes cachées. J’étais blessé à la tête, au visage dont les traces existent toujours. J’ai saigné de la bouche, du nez. Ils m’ont pris pour mort et abandonné là. J’ai été récupéré et mis dans la voiture du colonel Tiegboro. J’étais toujours en coma et c’est au camp Samory que j’ai retrouvé mes esprits. Là-bas, j’ai été pris en charge par des jeunes médecins. Après avoir effectué la radio, ils ont constaté que j’avais des côtes cassées. Quelques temps après, j’ai été transféré à la clinique Pasteur où j’ai trouvé Jean Marie, François Fall, Mouctar Diallo et d’autres. J’ai reçu encore des soins et vers le soir, j’ai témoigné sur la BBC. Cela a heurté la junte et les militaires. C’est ce qui a fait qu’on n’a pas voulu que je sorte du pays.
Guinéenews : l’ordre de vous chasser de la clinique est venu de qui ?
Cellou Dalein Diallo : Je ne sais pas, j’ai vu seulement les exécutants. Je ne sais pas d’où est venu l’ordre.
Guinéenews : pourquoi tous les autres sont sortis et sauf vous ?
Cellou Dalein Diallo : c’est parce que j’étais le plus atteint. J’avais 4 côtes cassées. Ce n’était pas facile. En plus, j’étais blessé partout sur la tête.
Guinéenews : étant le plus touché parmi les leaders qui étaient présents ce jour, pensez-vous que vous étiez spécialement visé ?
Cellou Dalein Diallo : écoutez, je ne peux donner une explication à cela. Peut-être que tous les leaders étaient visés et moi particulièrement parce que le mot d’ordre lancé a été bien entendu par les militants de l’UFDG à Conakry. Je ne peux pas attribuer cela aux velléités d’un autre leader, mais ce qui est évident, c’est que la capacité de mobilisation de l’UFDG gênait beaucoup de gens.
Guinéenews : on a appris qu’un de vos gardes a pris une balle qui vous était destinée, le confirmez-vous ?
Cellou Dalein Diallo : comme je vous l’ai dit, j’étais en coma après toute la barbarie sur mon corps. Mais, on m’a raconté ce qui s’est passé. C’est le garde Sankara qui était le chauffeur de Dadis Camara qui aurait pris son arme attachée au niveau de son genou et qui a tenté de tirer sur moi. Mais Abdoulaye Sylla, un de mes gardes du corps a pris la balle sur l’épaule. Ce dernier a été conduit à l’hôpital Donka où ils ont fait extraire la balle et lorsqu’il a témoigné sur les ondes, l’ambassadeur d’Allemagne à l’époque lui a offert un billet et un visa Schengen. Il est donc allé me retrouver en France et c’est là il m’a expliqué ce qui s’est passé.
Guinéenews : comment vous avez été évacué de la clinique Pasteur ?
Cellou Dalein Diallo : d’abord les jours qui ont suivi le rassemblement au stade du 28 septembre ont été extrêmement difficiles notamment pour moi. Parce que vers 1 heure du matin, des militaires nous ont trouvés à la clinique Pasteur pour nous demander de rejoindre la maison. Moi, j’étais sous perfusion et j’étais dans une douleur atroce. Je leur ai dit que c’est impossible que je sorte dans cet état-là. Il y avait des plaies partout sur ma tête avec des côtes cassées. Et le même jour, à 3 heures du matin, un groupe de militaires est venu ici chez moi et ils ont tout cassé, tout pris. Ils ont tiré sur le plafond, percé les tôles, vidé les armoires, cassé les lits. Ils ont tout emporté.
Pour revenir à votre question, le lendemain j’ai pu parler au président Abdoulaye Wade qui était un père, un ami et lui expliquer dans quelle condition je me trouvais. Il a décidé d’envoyer un avion me prendre. Il a dit à l’ambassade de la Russie de chercher l’autorisation de survol et d’atterrissage. Une chose qu’il n’a pas pu obtenir. Toute la journée du mardi, il a été impossible de me faire sortir. Mercredi, on a pris un billet d’Air France pour moi et on avait déjà fait une réservation dans un hôpital militaire de Paris. J’ai un ami ambassadeur qui m’avait fait comprendre qu’il n’était pas prudent d’aller à l’aéroport à cause des informations qu’il recevait. J’ai parlé de nouveau encore avec le président Wade qui m’a encouragé et il m’a dit qu’il a déjà discuté avec les autorités et que je peux partir. Comme j’avais le billet, j’ai donné mon passeport à Dr Maréga qui est membre du parti. Il est allé à l’aéroport pour faire les formalités. Ils ont confisqué le passeport et on lui a dit qu’il n’est pas question que je sorte. Ils l’ont brièvement arrêté.
J’ai appelé encore le président Wade pour lui expliquer la situation. Il a organisé par la suite une réunion de crise au palais présidentiel à Dakar avec l’ambassadeur de la France à Dakar, avec le représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, Said Djinnit, le chargé d’affaires de l’ambassade des Etats-Unis et d’autres personnalités. Abdoulaye Wade qui m’appelait à tout moment, m’a demandé d’aller à l’ambassade de France mais je lui ai fait comprendre que c’est impossible puisque la clinique était entourée de militaires.
Finalement le conseil religieux, l’ambassadeur du Sénégal sont allés au camp (camp Alpha Yaya Diallo, ndlr) et vers 1 heure du matin, ils ont décidé d’autoriser mon départ par l’avion présidentiel du Sénégal. C’est ainsi que le lendemain, j’ai pu aller à Dakar et être directement évacué vers Paris où j’ai reçu les traitements appropriés.
Guinéenews : vous avez été fortement touché physiquement et votre maison a été saccagée, mais après il y a eu un dédommagement. Pouvez rappeler ici comment ce fonds a été géré ?
Cellou Dalein Diallo : écoutez, lorsqu’ils sont venus détruire ici, le spectacle était désolant. Ils ont décidé de donner par la suite de l’argent à ceux dont les domiciles ont été saccagés. J’ai préféré prendre cet argent pour remettre à une fondation pour assister les victimes. J’ai perdu quand même beaucoup de choses précieuses, mais j’ai décidé de mettre 80 % de l’argent à la disposition de la fondation pour qu’elle assiste les orphelins, les victimes de cette barbarie.
Guinéenews : 10 ans après ces évènements, il n’y a toujours pas eu de procès. Quelle explication avez-vous à donner à ce retard ?
Cellou Dalein Diallo : je pense que cela a été trop long. Si la volonté y était, on aurait déjà fini avec cette affaire et entamer la réconciliation parce que la Guinée a besoin d’une réconciliation. Et pour cela, il faut d’abord tourner la page et pour la tourner, il faut la lire. Des actes condamnables ont été commis. Il faut donc montrer à ceux qui les ont commis que c’est une faute, c’est en violation des dispositions de la loi et ensuite essayer de voir comment se réconcilier avec le passé parce que les violences politiques sont nombreuses. On ne peut pas peut-être les sanctionner tous, mais il y a un exercice à faire, une lecture saine, sereine, objective des faits, relever celles qui ne sont pas dignes d’un peuple, d’un homme et essayer d’entrer dans un processus de réconciliation des Guinéens.
Il faut rappeler qu’il y a eu des rapports, il y a eu la commission d’enquête où moi-même j’ai témoigné et je pense que le procès a trop tardé et ça devient suspect.
Interview réalisée par Nassiou Sow et Bah Alhassane