Elle fait partie des membres de la CENI à avoir contesté la proposition de date des élections legistatives faite par le président de la CENI Me Salifou Kébé. Elle s’appelle Marie Helène Sylla, et elle revient sur les raisons de leurs divergences avec leur président dans un entretien avec Guineenews©.
Guineenews© : Le président de la CENI a déclaré que les élections législatives peuvent être organisées d’ici la fin de l’année. Cela est-il tenable ? Pourquoi ?
Marie Helène Sylla : Après la déclaration du Président de la république, le Premier Ministre a rencontré la CENI le 10 septembre. Suite à cette rencontre, une séance de travail a eu lieu à la CENI dans le but d’annoncer le lundi 16 septembre, une date indicative pour la tenue des élections législatives.
Ces travaux effectués en toute objectivité nous ont conduits au 06 avril 2020. Après compression des délais le jeudi 12 septembre, nous sommes arrivés au 20 mars 2020. Certains commissaires n’étant pas satisfaits de cette date du 20 mars, ont effectué un travail parallèle, démarche bancale qui a été dénoncée en plénière du vendredi 13 septembre. Leur travail les a menés au 22 décembre 2019 sachant qu’il ne respecte pas les exigences que nous nous étions fixés, comme la prise en compte intégrale des recommandations de l’audit du fichier et le respect des délais légaux. Nous avons donc décidé ensemble de retravailler sur le chronogramme le même jour, vendredi 13 septembre, ce qui fut impossible car nous n’étions plus d’accord sur l’outil de travail. Depuis Kindia et jusque maintenant, nous avons travaillé avec le logiciel Ms Project et le chronogramme du 20 mars a été élaboré dans cet outil, tandis que leur travail aboutissant au 22 décembre a été fait via Excel.
C’est ainsi que le Président de la CENI a constitué le vendredi 13 septembre au soir, une équipe composée de lui et uniquement des techniciens de la CENI sans les commissaires, pour effectuer un nouveau travail sur le chronogramme. Leur travail les a conduits au 28 décembre 2019. Ce travail a été présenté le samedi 14 septembre en réunion de travail de la CENI et a fait l’objet de beaucoup de critiques. Des incohérences ont été soulignées et nous avons fait l’impossible pour modifier le chronogramme en question, mais le débat était impossible. C’est là que nous avons compris qu’il ne s’agit plus de bien faire notre travail, il y a une volonté manifeste d’obéir à quelque chose.
A rappeler que lors de la retraite de Kindia au mois de mai dernier, un chronogramme avait été validé par la CENI et les acteurs présents. Ce chronogramme indiquait 235 jours pour l’organisation des élections législatives, à partir de la levée de toutes les contraintes financières, techniques et administratives. Le gouvernement était ou à ce moment ? Ce n’est qu’en septembre qu’il a décidé de faire face à ces contraintes.
Le calendrier qui nous a été imposé ne respecte pas les conclusions de la retraite. Le Président de la CENI accompagné d’autres commissaires s’appuient pourtant sur l’engagement pris à Kindia d’organiser les législatives en 2019, mais rejettent une partie de cet engagement sur le délai de 235 jours à partir de la levée des contraintes. Il y’a une incohérence et une mauvaise foi patente.
Finalement nous passons de 235 jours à moins de 100 jours si on veut que les élections aient lieu courant 2019. Ce qui n’est pas très sérieux et responsable.
Ils veulent nous faire comprendre que c’est un challenge et que nous devrions être capables de relever ce défi. Mais quel défi ? Exécuter les ordres du Président de la république et prendre le risque de se trouver coincé dans un processus biaisé ? Nous disons NON à des élections fantoches ! Je reste sur ma faim quand on rappelle au Président de la CENI que dans son calendrier, la loi est violée par le non-respect des délais légaux et qu’il réponde qu’il « est prêt à se fier à la décision des tribunaux ».
Je reste convaincue que cette date n’est pas réaliste si nous voulons respecter la loi et appliquer toutes les recommandations de l’audit. Selon les informations que nous avons, les kits d’enrôlement étaient censés arriver que lundi 16 septembre et tout n’est pas arrivé, le logiciel d’enrôlement fourni par INNOVATRICS ne sera disponible que le 1er octobre (étant donné qu’il doit être testé intégralement et installé sur environ 4000 kits, ensuite il faudra injecter les données des électeurs sur chacun de ces kits et par préfecture avant de les acheminer vers les sites d’enrôlement). Il était prévu 45 jours suite aux conclusions de la retraite de Kindia. Aujourd’hui, le Président de la CENI a décidé de 25 jours pour cette opération majeure. L’opération de dédoublonnage des électeurs devrait se faire en 25 jours selon l’opérateur, le Président de la CENI en a décidé 8. Il y’a un fort risque de bâcler cette opération importante et de se retrouver avec des doublons dans le fichier.
Cette date du 28 décembre ne m’engage pas. Avec six autres collègues commissaires, nous avions rédigé un communiqué dans lequel nous nous désolidarisons de cette date.
Guineenews© : Si tout le monde s’accorde sur le nom de l’opérateur technique, combien de temps prendra la révision du fichier ?
Marie Helène Sylla : Comme je l’ai dit plus haut, il était prévu 45 jours de révision suite aux conclusions des travaux de Kindia, délai ramené à 25 jours par le Président de la CENI , alors que les acteurs politiques voulaient 60 jours. Etant donné que depuis 4 ans il n’y a pas eu de révision et le fait qu’il y ait de potentiels doublons, beaucoup de mineurs devenus majeurs entretemps, je pense qu’il faut soigneusement réaliser cette opération.
Guinéenews© : le parti UFR parle de l’existence de plus d’un million de fictifs dans le fichier électoral. Qu’en est-il?
Marie Helène Sylla : Le problème est que dans le fichier actuel, il y a environ 1 million et demi de personnes qui n’ont pas de données biométriques (amputés, doigts abimés ou inexploitables, sans empreintes, etc.). Leurs données ne pouvant pas être comparées avec le reste des éléments du fichier, ils constituent de potentiels doublons et de potentiels fictifs. Donc, il faut les sortir du fichier sinon ils pourraient être comptés deux fois et dans ce cas ils seraient fictifs. En tous les cas, il est prévu d’appliquer dans son intégralité, la recommandation une « R1 » de l’audit du fichier électoral où on demande à tous les électeurs de revenir se faire enrôler, cela veut dire que celui qui ne revient pas n’est pas électeur. Même ceux qui existent dans la base, doivent revenir se faire confirmer. Pour les cas d’empreintes manquantes, il sera procédé à une reconnaissance faciale.
Guinéenews© : Combien coûtera l’organisation des élections législatives ?
Marie Helène Sylla : Je n’ai pas cette information encore moins celle sur le budget de la CENI. Rien n’a été présenté jusqu’à présent. En tant que Directrice de département, je ne connais aucune de mes lignes budgétaires sans parler du niveau de dépenses engagées. C’est le cas pour beaucoup d’autres nouveaux commissaires.