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Marchés du vivrier à Conakry: plongée dans un univers conquis uniquement par des femmes

Si les produits vivriers arrivent sur les marchés de Conakry et dans d’autres villes de la Guinée, c’est en grande partie grâce à la bravoure des femmes  qui ont ’’colonisé’’ les « Marchés de la Forêt’’ de Yimbaya, le grand marché de Matoto, celui  d’Enta, de Kaporo, de Tayoua, du grand marché de Madina et du marché Yinguema à Kaloum. C’est le lieu donc de reconnaître qu’en Guinée le secteur du vivrier est dominé par les femmes. Elles contrôlent ce domaine d’une main de maître. Comment ces femmes « analphabètes », pour la plupart sont-elles arrivées dans ce secteur ? Comment sont-elles organisées ? Que gagnent-elles ? Ce qu’elles apportent à l’économie  guinéenne ? Quelles sont leurs attentes ? C’est ce que nous avons voulu comprendre à travers cette plongée dans cet univers conquis par la gente féminine. Enquête.

Ce mardi 2 juin 2020. Le marché Yimbaya grouille de monde. Les commerçants hèlent, souvent à tue-tête, les clients qui se  faufilent dans les différentes allées du marché. Madeleine Delamou, vendeuse de banane plantain et de manioc frais, s’active derrière son étal. Depuis un quart d’heures, elle place des tas de bananes livrées la veille. Née, il y a 54 ans à Bignamou, dans la préfecture de Yomou, Mme Delamou est mariée et mère de sept enfants. Malgré son âge et ses nombreuses maternités, le temps n’a pas fait d’effet sur cette femme. Depuis une dizaine d’années, elle vend au marché de Yimbaya grâce à sa grande sœur, l’une des précurseurs du « marché de la Forêt ». Mais que de difficultés ! C’est connu de tous que la commercialisation des produits vivriers n’est pas chose facile. C’est un métier qui demande beaucoup d’efforts et de détermination. Il faut dormir dans les marchés ou se réveiller très tôt, souvent à 4 h du matin. Être loin de sa famille dans les différentes régions rien que pour s’approvisionner. Pis, drainer les produits jusqu’à la capitale, est un vrai parcours du combattant, faute de voies de communication praticables.

Initiée au commerce du vivrier très tôt, Madeleine ne s’imaginait pas faire carrière dans la vente du vivrier.

« Depuis 1997, je vends de la banane Loko (banane plantain, ndlr)», explique-t-elle. Mais c’est quelques années après, qu’elle s’est installée à son propre compte, avec le soutien financier de sa grande sœur. Selon elle, les premières années n’ont pas été faciles. Ses activités commerciales ont commencé à fleurir, seulement à la troisième année. «Ma tante était chargée de passer les commandes. Moi, je ne maîtrisais pas le circuit de l’approvisionnement. C’était difficile pour moi, les premières années, quand je me suis mise à mon propre compte. Il m’arrivait souvent de manquer de marchandises parce que je n’avais pas passé la commande à temps. Mais les choses ont commencé à s’améliorer et à marcher quand j’ai pu maîtriser le circuit de commandes », confie Madeleine.

Grâce au commerce du vivrier, l’analphabète qui, autrefois, était victime de raillerie, à cause de son français très approximatif, est aujourd’hui, propriétaire de plusieurs biens dont une grosse villa de 5 pièces, Sa première fille, qui a fini ses études à Londres, est en stage dans une des plus grosses structures du pays.

« Je n’ai pas été à l’école, mais le vivrier me permet de prendre ma famille en charge, et d’assurer la scolarité de mes enfants dans des écoles réputées, comme le font les grands cadres qui ont fait de grandes études », confie-t-elle.

Toutefois, la vendeuse de vivriers reconnaît que, depuis quelques semaines, son commerce n’est plus reluisant comme par le passé. «Ça ne marche pas comme avant. Avec l’avènement de cette pandémie (COVID’19 ndlr), nos bagages mettent du temps pour arriver ou les produits arrivent à Conakry et  pourrissent en cours de route », déplore-t-elle.

Pour  cette autre dame, Bountouraby Soumah, c’est en voulant faire comme sa mère, qu’elle est devenue vendeuse d’huile rouge en provenance de sa région (Boffa). Elle révèle que c’est en 2010, qu’elle a mis, pour la première fois, les pieds dans un marché. Sans une mise en train, l’adolescente, à cette époque, va passer par plusieurs étapes, avant de réaliser son rêve. «Je n’ai pas eu la chance d’aller à l’école. J’ai donc décidé de faire comme ma mère qui n’a pas eu la chance d’aller à l’école afin de me prendre en charge. Quand j’ai commencé au marché, je n’avais pas d’argent. Alors l’idée de porter les bagages des femmes venues faire le marché a germé dans ma tête. Petit à petit, j’ai pu mettre de l’argent de côté. Quand j’ai eu 150.000  francs guinéens, j’ai commencé à vendre des aubergines dans un plateau. Le plateau sur la tête, je me promenais dans tout le marché, pour proposer ma marchandise aux clientes. Un an après, j’ai commencé à vendre derrière un étal que je partageais avec une cousine venue de Kolissôôkhô, pour minimiser le coût de la location», relate Bountouraby.

La native de Boffa dispose désormais de cinq petits magasins. Elle est aidée dans son activité commerciale par trois jeunes filles qu’elle a fait venir du village natal(Kolissôôkhô) de sa mère. «Tous mes cinq enfants vont à l’école. J’ai refusé qu’ils soient analphabètes comme moi. Mon mari étant au chômage, c’est moi qui ai en charge la famille. Grâce au commerce du vivrier, j’arrive à m’occuper de ma famille», relate Mme Soumah. C’est avec fierté qu’elle parle de ses nombreuses réalisations à Conakry et dans sa région natale.

Ces deux vendeuses sont informées en temps réel, de tous les mouvements de ravitaillement opérés sur les marchés de Conakry. Chacune des femmes dispose d’un carnet d’adresses qui permet au groupe de ne pas être confronté à une rupture de stock, et perdre ainsi de l’argent et/ou de la clientèle.

Du circuit de  ravitaillement des différents marchés de Conakry 

Au dire de Mme Gbalamou, le gombo, l’aubergine, le piment, la tomate, l’igname, la banane, le manioc, le tarot … proviennent des champs cultivés par des producteurs installés sur l’ensemble du territoire national. « Quand la date de la maturité des produits arrive, nous nous déployons sur le terrain pour l’achat, le chargement et l’embarquement à bord des camions. Les marchandises sont acheminées sur la capitale et déchargées sur les marchés. C’est à ces endroits que les demi-grossistes et les femmes qui vendent en détail viennent s’approvisionner pour desservir les différents marchés », explique Mme Gbalamou, avant de déplorer le manque d’organisation. Pour elle, avant l’étape de ravitaillement, un travail minutieux devrait être fait en amont pour maîtriser la production.

« Ailleurs dans les autres pays, pour être détentrices légales des produits qui proviennent des productions, les semences des cultures sont fournies aux producteurs par les commerçants que nous sommes. Mettre à la disposition des cultivateurs des outils (dabas, machettes, limes, bottes, arrosoirs…), nécessaires au défrichage et à l’entretien des différentes exploitations de cultures vivrières. Nous devrions aller jusqu’à assurer le salaire des manœuvres qui travaillent dans les champs. Ici, la stratégie est de faire en sorte que quand la récolte arrive à maturité, les productrices te proposent, en premier, leurs produits. Tu es comme la propriétaire des produits. Avec cette méthode, tu es convaincue de disposer de produits frais et de qualité, pour ravitailler tes différents marchés de gros. Sinon, tu risques de te contenter de marchandises de seconde main. Cela est mauvais pour les affaires, et les risques de perte en matière de produits et d’argent sont énormes », avoue Madeleine Gbalamou cette vendeuse pétrie d’expérience.

A vrai dire, malgré les difficultés, les femmes impliquées dans le domaine du vivrier, comme dames Gbalamou et Bountouraby brassent de gros sous, et ont permis au secteur du vivrier d’enregistrer des millionnaires.

« Il y a de l’argent dans le vivrier. Même si le marché est saturé à cause du nombre important de femmes qui exercent en tant que vendeuse, le secteur se porte toujours bien. Ce sont des millions que nous collectons », reconnait-elle, dans un éclat de rire.

Toutefois, Mme Boutouraby dénonce une autre difficulté dans le transport des produits : le racket des forces de sécurité. Ainsi, elle souhaiterait, pour faciliter le convoyage des produits vivriers vers les villes, que les camions soient escortés par des éléments de la gendarmerie, en payant de l’argent  par escorte.

Un genre d’opération qui va porter sur le label «convoi spécial vivrier». Cette opération permettra de réduire, de façon drastique, la question du racket sur les routes guinéennes. «Il y a trop de rackets sur nos routes, des barrages implantés à chaque carrefour, nos camions sont bloqués pour un problème de paiement de barrage. Le racket est endogène. Un phénomène qui gangrène le secteur », se plaint Bountouraby.

 Nos deux  interlocutrices, pensent que l’Etat  doit mettre en place des structures pour les accompagner et valoriser leur secteur d’activité. L’État, disent-elles, doit faire des routes et mettre les moyens tels que des camions à leur disposition.

L’acquisition de ces véhicules contribuera, pensent-elles, à réduire les charges liées au transport des marchandises, de la brousse en ville, et à faire baisser, par ricochet, le prix du vivrier sur les marchés. « Nous demandons au gouvernement de voir le cas des routes, de nous aider à obtenir des camions, pour le convoyage des produits, des villages et campements vers les villes. C’est excessivement coûteux de louer des camions, pour le convoyage des produits sur de longues distances. Pour fixer le prix des produits sur les marchés, on est obligé de tenir compte des frais de location des camions. Or, si le gouvernement nous aide à avoir des camions, cela va agir positivement sur le coût des marchandises. Le prix des produits sera très abordable sur les différents marchés », plaident ces deux braves femmes spécialisées dans le vivrier.

Ces femmes demandent aussi que des espaces plus grands soient mis à leur disposition pour exploitation. «Je ne peux pas dire que le vivrier ne marche pas. C’est de la nourriture. Que tu le veuilles ou non, tu vas manger. Mais notre problème, c’est qu’on ne dispose pas d’espaces pour exposer nos produits. Cela pose un véritable problème et on est obligé d’occuper les emprises des voies publiques », regrettent les vendeuses, maillons essentiels de la distribution de vivriers dans les principales communes de la ville de Conakry.

Marchés du vivrier, un véritable vivier d’emplois

Ce matin pluvieux du 3 juin 2020, je me suis donc rendu à Yimbaya pour y rencontrer les femmes dans le marché. Cette rencontre s’inscrivait dans le cadre d’une enquête sur la vie de ces actrices du développement sur le lieu où elles exercent leurs activités. Il pleuvait sur Conakry ce jour et la brume rendait encore difficile les déplacements. Mais déjà, plusieurs d’entre elles étaient affairées à déballer leurs marchandises ou à assister au déchargement des camions de vivriers. Bravant la pluie, ces femmes réveillaient le marché qui ne désemplit qu’à la nuit tombée. Situé en plein cœur de la commune de Matoto, « le marché de la Forêt » a suscité assez de curiosité depuis sa création.

Créé par la volonté des femmes commerçantes issues des quatre régions naturelles du pays. Le marché du vivrier est une véritable opportunité d’emplois directs et indirects pour les jeunes. La vente de tickets, en passant par le nettoyage du marché et le déchargement des véhicules de vivriers sont autant d’opportunités d’emplois que ce marché offre à nombre de jeunes gens. Cette situation amène beaucoup d’entre eux à prendre attache avec une commerçante soit pour nettoyer son étal les soirs, soit pour veiller sur ses marchandises, une fois la nuit tombée, ou encore surveiller les magasins de ces femmes.

« Ces femmes sont comme nos mères. Nous gagnons notre pain quotidien grâce à elles », témoigne Mahamoudou Barry qui voue un respect sans borne à ces femmes.

Comme lui, plusieurs jeunes arrivent à justifier leur vie familiale et sociale grâce à leurs activités. Tous témoignent que c’est grâce à la détermination des commerçantes du « marché de la Forêt » que leur vie a un sens.

Alseyni Bah, fraîchement arrivé du village, a pu obtenir un travail bien rémunéré depuis le jour où il a rencontré dame Maciré Sylla au marché.

Retenons qu’en Guinée, la femme est depuis toujours l’élément qui soude la famille. Mères et épouses, ces braves femmes  donc participent  au développement de la femme guinéenne et à son autonomisation. Le modèle de développement proposé par ces femmes des marchés de Conakry, reste un modèle de développement unique en son genre. Traditionnellement dépendante de l’homme, la femme guinéenne se positionne de plus en plus comme un maillon important de l’évolution de notre pays et tout ceci à travers son autonomisation. Aujourd’hui, il est plus que temps de reconnaître le travail acharné de ces vaillantes femmes qui nourrissent tout le pays. Ces femmes du secteur vivrier, qui approvisionnent tous les marchés du pays, attendent un véritable soutien de l’Etat Guinéen, dans la commercialisation, la conservation et la transformation de leurs produits.

Une enquête de Louis Célestin

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