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Madina, plaque tournante des réseaux de trafic des femmes qui rêvent «travailler» au Koweït…

En plus d’être le plus grand centre commercial du pays, le marché Madina est aujourd’hui la nouvelle plaque tournante de trafics humains. Il est quasiment devenu le point de départ vers les pays du Moyen Orient. Ce plus grand centre d’affaires tire sa célébrité dans le trafic des candidates aux travaux domestiques dans cette partie du globe. Des réseaux bien organisés qui y sont installés incitent de nombreuses femmes à mettre tout en œuvre pour faciliter leur départ pour le Koweït, la Tunisie, l’Egypte et même pour le Liban. Ces femmes n’hésitent pas à vendre or, bijoux et autres objets de valeurs pour obtenir l’argent nécessaire pour les documents et les frais de voyage. C’est une question d’honneur pour elles. Ainsi à Conakry, une famille sur deux, a au moins un parent dans les pays du Golfe ou qui rêve de s’y rendre.

 Quels sont ces réseaux par lesquels passent ces jeunes femmes pour atterrir dans les domiciles pour les travaux pénibles ? Qui sont les promoteurs de ces réseaux clandestins qui expédient les femmes guinéennes dans le feu ardent des foyers koweïtiens ? Qui sont ces femmes et hommes qui entretiennent ce trafic qui exposent nos sœurs à l’exploitation abusive, à la maltraitance, à des punitions allant jusqu’à la privation de vivres, à la bastonnade, à la séquestration et parfois à l’esclavage sexuel ?  Enquête sur ce crime ignoble aux multiples visages qui sévit tranquillement.

Nous voici au quartier Madina-Boussoura, le week-end dernier, dans la famille Sylla. Dame …Yéni Sylla, tout en larmes retrouve enfin sa fille Raby, victime depuis trois ans de maltraitance et d’exploitation abusive à Koweït-City. Une atmosphère étreinte d’émotion qui marque l’épilogue d’une procédure entamée il y a quelques mois en arrière. Plus émotionnel le récit de l’aventurière Raby Sylla qui a subi toutes sortes d’humiliation et de souffrance à Koweït-City. Tenue parfois en esclave « sexuel » par ces « maîtres arabes » pour satisfaire leur « libido », Raby a échappé à « l’enfer » grâce aux multiples démarches entreprises par ses parents auprès de l’Ambassade de Guinée au Koweït.

« Je vendais des tissus dentelles à l’immeuble Koumi, à Madina, dans la boutique No 87. Un jour, une dame, je ne sais pas qui lui a parlé de moi, vient à la boutique pour les achats. Au fil de notre causerie, elle me demande si je connais des jeunes femmes qui désirent aller travailler au Koweït. Et que là-bas, on peut toucher 1.800 à 2.000 $ (soit 18 à 19millions de francs guinéens) par mois. Je ne savais même pas où situer Koweït. Elle m’a donné les explications et m’a convaincu, séance tenante. Je lui ai donné mon accord en lui promettant deux amies. Je lui ai donné mes coordonnées. Le lendemain, elle est venue me trouver avec mes amies. On lui a posé toutes sortes de questions sur le genre du travail et les conditions de voyage. Elle nous rassure qu’elle fera tout à notre place et qu’une fois arrivées au Koweit, nos premiers salaires lui seront reversés comme frais de remboursement. Ce qu’il fut fait. Et nous voilà au Koweït où nous avons subi toutes sortes d’humiliation », nous a-t-elle confié en sanglots en nous montrant les cicatrices sur son dos.

A Madina, au marché Avaria où nous nous sommes fait passer pour des candidats au voyage, on nous indique les agences spécialisées dans le domaine. Deux au centre commercial Mme. Barry, non loin de la gendarmerie et trois autres au niveau de la gare-routière de Siguiri à côté des magasins de vente des équipements sportifs. Au Rez-de-chaussée de l’immeuble du centre commercial Mme. Barry, c’est dans un réduit qu’on nous reçoit. Ici, c’est un jeune homme d’environ vingt-six ans qui nous égrène des conditions à remplir : un extrait d’acte de naissance, la Carte Nationale d’Identité, le Passeport, le Pass sanitaire, un certificat de test PCR. A défaut de ces pièces, une somme de 500$ ou 700$ comme frais de confection des documents de voyage ou un engagement signé par le postulant pour le remboursement à travers les salaires des premiers mois de travail. A qui appartient le bureau de recrutement ? Mystère ! Notre interlocuteur refuse de nous dire le nom du propriétaire ou de ses patrons. Harcelé par les questions, il nous prie poliment de sortir si on n’est pas prêt. Lors de notre passage, nous avons remarqué la présence par endroits de plusieurs jeunes femmes qui ont refusé de répondre à nos interrogations.

Cap sur la gare routière de Siguiri, un autre pôle du trafic des jeunes femmes. Quelle ne fut pas notre surprise de voir une foule de jeunes femmes en possession des chemises contenant des documents de voyage. Approchée, l’une d’entre elles saute sur l’occasion pour déverser sa colère sur les autorités.

« Nous n’avons pas de choix. Nous sommes pour la plupart des diplômées d’université. Beaucoup parmi nous ont des enfants à entretenir. Nous partons tenter notre chance là-bas. Il n’y a aucun espoir ici pour rester. Nos autorités ont abandonné la jeunesse pour ne s’occuper que de leurs enfants, leurs neveux et cousins. Nous partons à nos risques et périls ». Connaissent-elles les dangers qu’elles courent ? « …Qui ne risque rien n’a jamais rien. On préfère aller souffrir dans ces pays que de rester ici et souffrir devant nos pauvres parents ou de nous prostituer dans la rue », tranche-t-elle.

Sentant notre présence dans le coin, les promoteurs ont préféré fermer le bureau sous prétexte qu’il était l’heure de la pause. Selon certaines informations reçues sur le terrain, la quasi-totalité de ces réseaux appartiendrait à une certaine Djénabou T. Tantie Djébou serait dans ce business, selon nos informateurs, depuis une décennie. Peut-on avoir son adresse ? Personne n’a voulu répondre à notre préoccupation.

Non loin de là, vers le marché M’Ballia, nous nous sommes retrouvés nez à nez avec un démarcheur d’un autre réseau dirigé cette fois-ci par un Camerounais et un Ivoirien. Stéphane F. et son ami Ivoirien Drissa D. gèrent d’autres réseaux à Daloa et à Abidjan en Côte d’Ivoire. Ils sont installés à Madina depuis cinq ans. Plusieurs femmes sont employées à Tunis et au Koweït proviennent de leurs réseaux.

Leurs lieux de recrutement et leurs techniques ?

Ils sont fréquents dans les night-clubs et les maquis les plus fréquentés de la capitale. C’est là ils entrent en contact avec les femmes : « mes patrons sont des étrangers. Ils recrutent les clients sur les lieux de loisirs ou de plaisir. Moi, je suis chargé de me rendre aux domiciles de ces femmes et convaincre leurs parents. Arrivées ici, on leur demande les frais de dossiers de voyage. C’est nous qui cherchons tout. Une fois le passeport obtenu, on paye leur billet d’avion pour les faire embarquer à l’aéroport. On a notre représentante au Koweït qui les accueille à l’aéroport… Une fois sur le sol koweïtien, elles sont dépossédées de leurs pièces d’identité et de leurs passeports, y compris leurs téléphones jusqu’au terme de leurs contrats. Ce sont mes patrons qui perçoivent leurs salaires ici à travers les institutions financières », nous raconte MS, connu à Madina sous le sobriquet, ‘’petit M…’’.

En somme, le marché de Madina, comme il est mentionné ci-dessus, sert de plaque tournante pour le recrutement des travailleurs de maison dans les pays du Moyen Orient. Ainsi, de par sa position et le monde qu’il draine par jour, le crime organisé s’est infiltré et les trafics en tous genres s’y pratiquent. Le trafic d’êtres humains y est beaucoup développé. Au point de devenir presqu’une industrie. Dans les réseaux installés ici et là en plein cœur du marché, il n’est pas difficile d’appâter des femmes qui viennent des quartiers, des campagnes, qui ont généralement peu d’éducation, pas d’emploi et des enfants à nourrir. C’est le plus souvent une connaissance, un ami, un membre éloigné de la famille qui rassure et parle d’un salaire correct. Les méthodes de ces groupes sont bien rodées et redoublement efficaces pour transformer ces femmes en esclaves. Leurs papiers leur sont confisqués, on leur impose de grosses dettes à rembourser, soi–disant pour rembourser les frais de leur voyage. Elles sont violées à répétition, battues, séquestrées. Une fois au Koweït, elles peuvent être placées et replacées plusieurs fois.

En provenance des quartiers pauvres de Conakry et pour certaines des zones rurales, tantôt appâtées par des fausses promesses de travaux décents dans l’eldorado de Koweït-City et dans les pays de Pétrodollars, tantôt victimes de leur naïveté, ou poussées par la misère, elles se retrouvent piégées, sans repère ni soutien dans les filets de ces réseaux mafieux.

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