Le 24 octobre 2007, la Loi L2006/010/AN relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux en République de Guinée était promulguée. Comme son titre l’indique, cette loi se limitait à définir le cadre juridique de la lutte contre le blanchiment des capitaux. Le financement du terrorisme restait un vide juridique à combler. C’est chose faite depuis le 17 août 2021 par l’adoption de la Loi 2021/04/AN portant lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme qui abroge et remplace la loi de 2007.
La nouvelle loi a pour but de définir le cadre juridique relatif à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Si de nombreuses dispositions de la loi de 2007 sont reprises, la loi promulguée en août dernier se démarque par un dispositif plus répressif et un cadre réglementaire renforcé.
Son champ d’application est plus large. L’élément matériel pour chacune des infractions visées est entendu largement. La condamnation est possible sans qu’il soit nécessaire d’établir tous les éléments factuels ou toutes les circonstances propres à cette activité criminelle. L’élément intentionnel et la connaissance des faits requis pour établir la preuve de l’infraction de blanchiment de capitaux peuvent être déduits de circonstances factuelles. Concernant l’application spatiale, le critère retenu est la résidence en Guinée. La loi a par conséquent vocation à s’appliquer même pour les actes commis hors du territoire guinéen dès lors que la personne physique ou morale concernée est justiciable en République de Guinée. Les juridictions nationales jouent à cet égard un rôle central dans le dispositif. Le législateur admet leur compétence dès lors que l’infraction a lieu en République de Guinée, peu importe la nationalité et la résidence de l’auteur présumé des faits.
Les entités assujetties aux obligations prévues par la loi sont nombreuses. Les dispositions concernent entre autres les institutions financières, les prestataires de services d’actifs virtuels, les prestataires de services aux sociétés et fiducies, les sociétés immobilières, les apporteurs d’affaires, les personnes se livrant habituellement au commerce de pierres précieuses, de métaux précieux, d’antiquités et d’œuvres d’art ou organisant la vente de ceux-ci et plus généralement toute personne physique désignée par le Comité National de Coordination de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. En tout état de cause, le secret professionnel ne saurait être invoqué par les entités concernées pour se soustraire à leurs obligations en vertu du nouveau texte.
Une Cellule Nationale de Traitement des Informations financières (CENTIF) a été instituée par la loi de 2007. Il s’agissait pour le législateur de confier le contrôle du dispositif à une autorité chargée de suivre l’évolution des procédures anti-blanchiment des capitaux tant au niveau national qu’international et, de mettre en place un centre national pour la réception et l’examen des déclarations d’opérations suspectes relatives aux infractions de blanchiment de capitaux. La CENTIF procède donc à l’évaluation des déclarations d’opérations suspectes et, saisit le procureur de la République dès qu’elle constate des faits susceptibles de recevoir la qualification de blanchiment de capitaux. La nouvelle loi a étendu les attributions de la CENTIF aux infractions de financement du terrorisme.
Pour soutenir la CENTIF dans ses missions, la nouvelle loi a créé le Comité National de Coordination contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Cette nouvelle autorité est chargée d’évaluer, au niveau national, les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme auxquels la République de Guinée est exposée. C’est sur la base de ces évaluations que seront établies les politiques nationales anti-blanchiment des capitaux et anti-financement de terrorisme. L’article 95 de la loi attribue enfin à la Banque Centrale de la République de Guinée une mission de réglementation et de contrôle des institutions financières.
Trois autorités de contrôle chapotent aujourd’hui donc le dispositif : la CENTIF, le Comité National de Coordination contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et la Banque Centrale de la République de Guinée. Le législateur leur a attribué de larges pouvoirs pour l’accomplissement des missions qui leurs sont dévolues. Elles peuvent ainsi entre autres, accéder à tous les locaux à usage professionnel, procéder à toutes les opérations de vérification qu’elles jugent nécessaires, s’assurer de la mise en place des procédures et obligations prévues par la loi, se faire communiquer tous documents utiles pour l’accomplissement de leurs missions, entendre toute personne susceptible de leur fournir des informations et imposer des sanctions disciplinaires financières.
Le législateur a innové en mettant, cette fois, les institutions financières au cœur du dispositif, alors qu’elles étaient jusque-là écartées des procédures de contrôle et de vigilance. Celles-ci doivent adopter toutes les mesures permettant d’identifier et d’évaluer les risques de blanchiment de capitaux et de financement de terrorisme auxquels elles sont exposées. Des procédures de contrôle et d’atténuation des risques au niveau interne doivent également être mises en place.
Toute institution financière installée en République de Guinée est par ailleurs tenue à une obligation de vigilance sur sa clientèle. Ces mesures de vigilance s’imposent dès lors qu’elles établissent des relations d’affaires, qu’elles effectuent des opérations occasionnelles supérieures au seuil fixé par instruction du gouverneur de la Banque Centrale de la République de Guinée, y compris dans les situations où la transaction est exécutée en une seule opération ou en plusieurs opérations entre lesquelles semble exister un lien. Ces mesures de vigilance s’imposent également lorsque ces institutions effectuent des opérations occasionnelles sous forme de virements électroniques au-dessus du seuil fixé par instruction du gouverneur de la Banque Centrale de la République de Guinée, y compris lorsqu’il y a plusieurs transactions sous le seuil qui semblent être liées. Enfin, les mesures de vigilance s’appliquent lorsqu’il existe un soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, et lorsque les institutions financières ont des doutes sur la véracité ou la pertinence des données d’identification de leurs clients.
La déclaration d’opérations suspectes instaurée par la Loi L/2006/010/AN quant à elle demeure. Autrefois limitée aux infractions relatives au blanchiment de capitaux, elle est étendue aux infractions de financement du terrorisme. Désormais. Lorsqu’une institution financière suspecte ou ades motifs raisonnables de suspecter que des fonds ou autres biens sont susceptibles d’être associés au financement du terrorisme, elle doit en faire la déclaration auprès de la CENTIF. Cette obligation de déclaration s’applique à toutes les opérations suspectes quel qu’en soit le montant.
La nouvelle loi se démarque également en ce qu’elle pose les bases d’une coopération internationale accrue dans le cadre de la lutte des autorités guinéennes contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Depuis 2007, l’entraide judiciaire inclut le transfert de poursuites, la demande de mesures d’enquête et d’instruction, la demande de mesures de perquisitions, la demande de mesures conservatoires telles que les saisies, la remise d’actes de procédure, la comparution de témoins et les demandes d’extradition.
La section 5 de la loi instaure de nouvelles formes de coopération. L’accent est mis sur l’échange d’informations entre les autorités de contrôle. Ces dernières peuvent collaborer et échanger des informations avec les autorités étrangères exerçant des compétences analogues sous réserve de réciprocité et de confidentialité.
Ainsi, la CENTIF peut communiquer aux autorités de contrôle étrangères toute information en lien avec la nouvelle loi, quel que soit le type d’infractions dès lors que les autorités étrangères concernées appliquent le secret professionnel d’une part et que le traitement des informations communiquées garantit un niveau de protection adéquat d’autre part. De même, la Banque Centrale de la République de Guinée peut, à la demande d’autorités étrangères, effectuer des contrôles sur place dans les filiales ou succursales d’institutions financières.
Bien qu’absent de la majorité des dispositions de la loi, le service des douanes est associé à cette nouvelle forme de coopération. Cette collaboration se matérialise par l’échange d’informations avec les autorités étrangères exerçant des compétences analogues en matière de contrôle de la mise en œuvre des obligations de déclaration de transport d’espèces et de titres au porteur.
L’adoption de cette loi démontre la volonté du législateur de s’aligner sur les droits des États étrangers sur la prévention d’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Les autorités guinéennes doivent désormais concrétiser cette réforme et mobiliser les ressources humaines et financières permettant une application effective du dispositif mis en place.
Par Stéphanie Manguele, Avocate au Barreau de Paris, Collaboratrice Sénior Thiam & Associés.