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Les victimes d’accident se féminisent-elles en Guinée ? Les mises au point du patron de la gendarmerie routière

Pourquoi autant de femmes parmi les victimes d’accident de la circulation, ces derniers temps, en rase campagne ? Des éléments de réponse dans cet entretien avec le commandant du commandement de la gendarmerie routière. Lisez !

Cette question mérite d’être posée, d’autant que depuis un certain temps, l’on remarque une tendance à la hausse du nombre de victimes dans le rang de la gente féminine. C’est un constat simple qui étaye cette affirmation. Il est fait sur la base d’un décompte effectué après maints accidents survenus ces derniers temps sur nos routes, notamment en rase campagne, domaine de la gendarmerie. Cette situation retient notre attention. Elle vient de se confirmer à nouveau à travers un exemple fort illustratif. Il s’agit de l’accident mortel survenu le 16 septembre dernier dans la sous-préfecture de Manfran, préfecture de Kissidougou où 11 (onze) femmes dont l’âge varie entre 17 et 60 ans ont péri à la fois, quand le camion qui les transportait, de retour d’un marché hebdomadaire, est tombé dans un ravin.

Vu la place centrale qu’occupe la femme dans notre société, tenant compte de son rôle déterminant dans la gestion des ménages et l’éducation des enfants, l’on perçoit aisément les conséquences dramatiques que sa mort ou tout autre préjudice physique subi, peut entrainer sur son environnement immédiat.

C’est donc d’un sujet, tout à la fois important, urgent et sensible qu’il s’agit. Pour en parler, nous avons pensé à l’institution la mieux indiquée d’entre tous les potentiels interlocuteurs : la gendarmerie routière. Et c’est la première autorité en charge de cet important secteur qui accepte de nous entretenir sur le sujet. Le lieutenant-colonel Michel Koly Sovogui est le commandant du commandement de la gendarmerie routière. Il nous reçoit au siège de son unité à Cochery, au km 44, sur la route de Coyah avant de nous inviter à faire un petit tour en rase campagne en sa compagnie, comme pour nous faire vivre un pan de la réalité qui y prévaut au quotidien.

Guinéenews : bonjour, mon colonel et merci de nous recevoir à votre base, ici-même à Cochery. Peut-on connaître votre opinion sur cet important sujet qui attire de plus en plus l’attention des citoyens ? Nous voulons parler du décès en nombre croissant des femmes, dans les accidents que vos services, à l’intérieur du pays, enregistrent depuis un certain temps.

Lt-colonel Michel Koly Sovogui : je vous remercie du fait que vous vous intéressiez à cette question au point de venir nous voir pour en discuter. C’est un sujet de société très sensible. Vous n’êtes pas sans savoir combien les femmes sont importantes dans la vie de toute famille. Tout ce qui les touche reste important à nos yeux et nous pousse à réagir. Apprendre donc qu’elles sont fréquemment comptées parmi les principales victimes des accidents de la voie publique qui se produisent dans notre secteur, je veux parler de la rase campagne, mérite qu’on s’y intéresse tous, pour en comprendre les raisons. C’est d’une question transversale qu’il s’agit. Nous l’avons en partage avec d’autres services et acteurs, chargés de sa gestion. Mais, nous ne parlerons que de notre domaine et vous me permettrez de vous dire d’emblée que vous ne vous êtes pas trompé. Nous sommes directement concernés. L’exemple du 16 septembre dernier à Manfran-Kissidougou où 11 onze femmes ont péri à la fois est très illustratif. C’est une situation que nous déplorons et regrettons vivement. Elle nous interpelle au plus haut point.

Guineenews: vous confirmez donc, mon colonel, que la tendance est réellement à la hausse, telle que l’opinion veut bien nous la présenter?

Lt-colonel Michel Koly Sovogui : je vous réponds en deux temps. D’abord, quand vous parlez de tendance, je ne vous contredis pas. Le mot veut dire évolution de quelque chose. Et là, il est bien vrai que de plus en plus, des bilans d’accident nous donnent à admettre que  les femmes sont trop sujettes  à en être victimes. Bien souvent même, leur nombre est plus élevé que celui des hommes. Je viens de vous citer l’exemple des 11 femmes de Manfran. Il y en a eu d’autres en fin d’année 2019 et même cette année, dans nos préfectures, à l’intérieur du pays. Je vous en rappelle un ou deux : le 24 novembre de l’année dernière, nous avons enregistré 13 morts à Banian-Faranah, sur la nationale n0  02, parmi lesquels, 08 femmes et le 03 décembre suivant, 08 morts dont 07 femmes à Batè Nafadji-Kankan, sur la nationale n0 06. Soit, en moins de dix jours, un total de 21 morts parmi lesquels, 15 femmes. Ce qui est beaucoup, pour ne pas dire trop. Et je vous le dis, les exemples ne s’arrêtent pas là, mais vu les chiffres qui en sortent, on s’y perdrait à vouloir tous les citer. Sans compter qu’il n’est pas agréable, pensons-nous, de ressasser à l’infini des souvenirs tristes de morts violentes de femmes, parfois accompagnées d’enfants qu’elles allaitent encore. Vous conviendrez bien avec moi, qu’à l’énoncé répétitif de pareil bilan, l’on soit un tant soit peu, fortement marqué et même traumatisé. Cela peut conduire quelque fois à conclure de manière hâtive que les femmes meurent beaucoup que les hommes, dans les accidents en rase campagne.

Guineenews: et l’on pourrait bien comprendre ces gens, mon colonel, et admettre qu’ils ont raison !

Lt-colonel Michel Koly Sovogui : oui ! On peut l’admettre ainsi, dans un certain sens, quoique ce ne soit pas toujours bien fondé. Je vais vous le démontrer. Quand une tendance se poursuit, elle donne l’impression d’une réalité vraie, intangible, ce qui n’est pas toujours exact. Pour ce cas précis, il s’agit de l’évolution d’une situation dramatique qui survient de temps en temps et dont on a une explication assez claire. Tenez ! Nos statistiques annuelles de 2019 vont sans doute vous édifier. Elles montrent bien que dans l’ensemble, au plan national, les femmes sont moins victimes d’accident que les hommes :

Nombre total de victimes d’accidents survenus en rase campagne pendant l’année 2019 : 1854;

-Morts : 361, dont (Hommes : 245 ; Femmes : 116)

-Blessés Graves : 806, dont (Hommes : 507; Femmes : 299)

-Blessés légers : 687, dont (Hommes : 387 ; Femmes : 300)

Guineenews: les chiffres que vous nous montrez là, démontrent tout le contraire de ce qu’on affirme, sans effacer pour autant, la tendance à voir les femmes très portées à mourir par accident, ces derniers temps. Qu’est-ce qui explique selon vous, cette situation qui frise la dualité?

Lt-colonel Michel Koly Sovogui : l’explication est vaste. Je ne vous apprends rien en vous disant que les femmes sont le pilier central pour tous les ménages, quel qu’ils soient. Il y a même des cas où elles sont carrément cheffes de famille. Parmi elles, il y en a qui sont veuves, d’autres ont leur époux sans emploi, retraité, malade, vieux et sans ressources. Il y en a qui sont abandonnées par leur conjoint, avec des enfants en charge. Autant de  situations douloureuses, voire dramatiques qui les obligent à réagir pour faire face aux charges immenses qui les assaillent. Le fait qu’elles soient elles-mêmes illettrées, le plus souvent, ou très limitées dans le domaine de la formation et de la qualification pour prétendre à un quelconque emploi rémunéré, elles optent alors pour l’informel. C’est ainsi qu’on les rencontre nombreuses, dans les activités génératrices de revenus, comme le petit commerce. Elles achètent et revendent des fruits et légumes et bien d’autres choses encore. Il y en a qui prospèrent et se développent pleinement dans ces activités. Ces séries d’échanges et de mouvements, font d’elles des habituées des marchés hebdomadaires où, elles n’ont d’autre choix que d’emprunter les camions, seuls disponibles pour le transport de leurs produits de vente. C’est ça la vraie explication. Tout le reste part de là.

Guineenews: s’il vous plaît, mon colonel, soyez plus explicite. Que veut dire: tout le reste part de là ?

Lt-colonel Michel Koly Sovogui : c’est tout simple, tous les problèmes dont elles sont victimes dans la circulation partent de là. Vous savez et je vous le répète encore, les femmes, quand elles mènent leurs activités, surtout au niveau des marchés hebdomadaires, elles n’ont malheureusement pas le choix du véhicule à emprunter. Dans ces lieux, en raison surtout de l’état des routes ou peut-être d’autres considérations économiques, ne viennent en général que les camions. Ce sont eux qui peuvent prendre tous les colis épars et divers des ‘’dioulamoussou’’ (femmes vendeuses). C’est sur eux qu’elles jettent alors leur dévolu, faute de mieux. En plus, nous avons observé que ces femmes aiment voyager groupées. En plus, elles ont pour habitude de toujours accompagner leurs marchandises. C’est ainsi qu’elles sont souvent en nombre égal, sinon même supérieur aux hommes dans les marchés et à bord des camions. A cause de la pratique du transport mixte, en cas d’accident le nombre de victimes est toujours élevé, même si la vitesse du véhicule était moyenne ou faible. L’explication est simple : en tombant, les bagages qui étaient en dessous dans la carrosserie, retombent violemment sur les passagers assis dessus. En plus, l’impact étant égale au carré de la vitesse, de par la diversité de leur genres, formes et poids les bagages deviennent de redoutables projectiles qui étouffent, blessent, écrasent ou tuent le maximum de personnes placées dans la carrosserie.

Guineenews: le décès de toute personne dans un accident  constitue une éventualité que nul ne peut souhaiter.  Encore plus, quand il s’agit d’une femme. Qu’est-ce qui arrive justement quand c’est le cas ? A quelles conséquences s’attend-on quand une femme meurt des suites d’accident de la circulation ?

Lt-colonel Michel Koly Sovogui : c’est bien là un sujet pénible à évoquer. La mort par accident est toujours pénible à supporter, en ce sens qu’elle ne prévient pas. Elle est violente et brutale. Elle survient à un moment où on n’est pas psychologiquement préparé à l’admettre ou à l’intégrer, comme dans un cas de maladie grave ou de vieillesse avancée. Que ça soit un homme ou une femme, la mort crée toujours un vide difficile à combler. Mais, là où se trouve la grande différence, c’est  lorsque la femme qui meurt était veuve, sans ressources, sans toit propre à elle, avec beaucoup d’enfants en charge. Là, c’est vraiment le comble de la tragédie. Le dernier espoir de la famille nombreuse comprenant des enfants en bas âge s’en est allée à jamais. Le reste, épargnez-moi de vous le décrire. Ce sont des  conséquences bouleversantes qui vont suivre, que chacun de nous  peut imaginer….

Guineenews: comment mettre fin à cette situation ?

Lt-colonel Michel Koly Sovogui : la question est importante. Voilà, trente ans que nos services sont attelés à cela. Le phénomène n’est pas nouveau. Il remonte à de nombreuses années, depuis la première république. Son caractère gravissime a attiré l’attention des autorités qui l’ont interdit depuis 1990, par un arrêté du département des transports.

Guineenews: mon colonel, notre avis est qu’au regard de ce qui se passe sur le terrain, il y a encore beaucoup de chemin à faire pour en finir avec cette situation. Les lignes ne semblent même pas avoir bougé. Mais, tenant compte de vos obligations dans la gestion de la circulation en rase campagne, nous n’allons pas abuser de votre temps. On ne cesse de vous appeler, de partout. Nous vous reviendrons une autre fois, si vous le permettez, pour approfondir davantage le sujet évoqué et, pourquoi pas, en adjoindre d’autres dont nous conviendrons bien avec vous.

En attendant, permettez-moi de vous dire merci de nous avoir accordé une partie de votre emploi de temps chargé et surtout, précieux.

Colonel Michel Koly Sovogui : c’est à nous de vous dire merci pour le grand soutien que votre site guineenews.org apporte constamment à la gendarmerie routière, en portant loin et bien ses messages d’information, d’éducation et de sensibilisation des usagers, pour une meilleure sécurité routière en rase campagne.

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