Il se tient depuis mercredi 26 janvier 2022 au chapiteau du palais du peuple de Conakry un atelier de 3 jours intitulé :« Quels programmes pour l’employabilité des diplômés issus de l’Enseignement Supérieur ? ». Ancien directeur de « l’Observatoire de la population estudiantine et sur l’insertion socioprofessionnelle » de 1998 à 2002 et auteur d’une dizaine d’études sur la question de l’accès à l’enseignement supérieur et de l’insertion des diplômés, j’ai pensé, par cet article, élargir mon auditoire en partageant mes lectures limitées et mes réflexions inachevées.
Cet article pose et tente de répondre à trois questions : quelle est la situation de l’emploi des jeunes diplômés en Guinée, comment expliquez leur chômage et quelle politique pour faire face au phénomène ? Pour faciliter ma communication, je vais être didactique : à chaque question, je vais tenter une réponse.
Sur la question de la situation exacte de l’emploi des diplômés du système éducatif en Guinée, je ne sais, a priori, quoi répondre. Je vais même être prétentieux pour dire que personne en Guinée ne sait le faire avec certitude, tellement le problème est d’ampleur et complexe. Il y a des estimations, quelques indications chiffrées qui relèvent de sondages et de quelques études réalisées par les uns et les autres. Mais de façon réelle, actualisée avec des sources fiables, personne ne connait l’ampleur du phénomène du chômage en Guinée, encore moins celui des jeunes diplômés du système éducatif.
Ce que l’on sait avec certitude, parce qu’on le vit au quotidien à travers les membres de nos familles élargies, c’est que l’accès à l’emploi (jeunes, moins jeunes, diplômés ou pas) en Guinée est difficile, et même très difficile. Cette situation ne date pas d’aujourd’hui ni d’hier. Elle n’est pas conjoncturelle mais structurelle.
Sous la première République (1958-1984), la question de l’emploi se posait plutôt au pays en termes de celle du sous-emploi chronique dans le secteur moderne et la sous productivité dans la fonction publique et les entreprises publiques. L’accès à l’emploi était quasiment automatique pour les diplômés du système éducatif qui étaient tous directement intégrés dans la fonction publique et au sein des entreprises publiques et parapubliques dès la fin de l’université et des écoles professionnelles.
La question de l’accès à l’emploi et surtout de celui des diplômés du système éducatif (enseignement supérieur et professionnel) a pris une tournure plus aiguë sous la seconde République. L’adoption du libéralisme comme mode de fonctionnement économique se traduira par la fameuse politique dite d’ajustement structurel qui aura pour effet la réduction drastique du personnel de la fonction publique, qui va voir ses effectifs passés de 90 000 à 45 000 environ, la liquidation des entreprises publiques et l’arrêt systématique du recrutement à la fonction publique pendant près de 15 ans.
Ce que l’on peut avancer sur la base des recoupements, des extrapolations et des projections, dans une situation de rareté de données chiffrées, c’est qu’en 2000, 62% des diplômés de l’enseignement supérieur et 42% des diplômés de l’enseignement technique (âgés de 25 à 29 ans) étaient au chômage (AGUIPE, 2000). Certaines projections suggèrent même un taux de chômage de près de 65% des diplômés de l’enseignement supérieur en 2013. De ces 65% de diplômés du système universitaire guinéen, 19% se seraient découragés et ne chercheraient plus d’emplois.
Les 65% des diplômés qui n’ont pu obtenir un emploi dans le secteur moderne (emploi correspondant à leur niveau de qualification) sont confrontés à trois voies : se contenter d’un emploi décalé à faible qualification dans le secteur informel, créer leur propre emploi dans l’informel où alors rester au chômage.
Parmi les 35% qui travaillent, certains le feraient dans des secteurs qui ne sont pas en adéquation avec leur formation (par exemple, des historiens qui deviennent pompistes, des sociologues qui deviennent des DJ, etc.) ou en dessous de leur niveau de qualification et se sentiraient donc frustrés par leur niveau de rémunération, largement inférieur à ce qu’ils pouvaient espérer avec leur diplôme.
Ce que l’on sait avec certitude c’est que le chômage en Guinée est urbain, il touche davantage les jeunes de la tranche d’âge de 20-35 ans, surtout lorsqu’ils sont diplômés de l’enseignement supérieur.
On sait aussi qu’entre la sortie de l’Université et l’accès au primo-emploi, il se passe en moyenne deux ans. Pendant ces deux ans, les jeunes diplômés accumulent des stages souvent non rémunérés et parfois ils font des formations complémentaires comme des cours d’anglais et/ou d’informatique. Parfois même, ils font d’autres formations dans le supérieur et parfois dans le professionnel (certains diplômés de l’enseignement supérieur font les ENI dans l’espoir d’accéder à un emploi dans l’éducation).
On a aussi noté, lors de l’un des tests de recrutement à la fonction publique, que des jeunes installés confortablement dans le secteur privé (avocat, gestionnaire d’ONG et autres structures de même nature) ont postulé pour se faire engager au sein de la fonction publique.
Sur la première question, on peut conclure que la question de l’emploi est tendue et les migrations clandestines en sont la pointe de l’iceberg. Cependant, personne ne sait avec exactitude l’ampleur du phénomène, car les rares enquêtes qui se sont penchées sur le sujet n’en donnent qu’une image fragmentaire, irrégulière et le plus souvent avec des données non mises à jour, provenant souvent de sondages dont on peut s’interroger sur la validité des procédures d’échantillonnage.
Je vais essayer de donner des réponses pratiques, fondées sur la réalité du terrain telles qu’on peut la cerner dans les différentes études réalisées sur la question en Guinée. Je laisse aux économistes le soin de faire appel aux différentes écoles (les libéraux, les classiques et les marxistes) pour donner un sens académique à la question.
Depuis l’alignement de la planète sur le capitalisme triomphant, on sait que les emplois du service public (ceux de l’État) le sont en priorité pour assurer ses fonctions régaliennes (sécurité,défense et justice) et pour impulser et accompagner le secteur économique (santé, éducation, infrastructures, etc.).
Dans ce modèle libéral ou néolibéral, les emplois sont créés par des entrepreneurs économiques afin de faire produire par des hommes et des femmes (des employés) des richesses pour assurer « l’accumulation du capital ».
Pour qu’il y ait des emplois, il faut donc des investissements productifs, mais surtout que ceux-ci se fassent dans des secteurs à fort potentiel d’emplois. Cette nuance est importante et mérite d’être régulièrement dite pour éviter les attentes des demandeurs d’emplois qui ne peuvent trouver leur compte. Par exemple, on sait que la même quantité d’investissements génère plus d’emplois dans l’agriculture que dans les mines, quel quesoit le niveau du cycle de vie dudit projet. Un certain nombre de facteurs expliquent le chômage des diplômés de l’enseignement supérieur et de l’enseignement technique et professionnel.
L’insuffisance des investissements productifs est la première raison pour laquelle il n’y a pas en quantité des créations d’emplois en Guinée. Depuis l’indépendance, les investissements productifs nationaux sont faibles et ceux étrangers directs le sont aussi et oscillent entre 1% à 2% du PIB.
Sur la foi des données publiées par la Banque Mondiale, les investissements directs en dollars américains en Guinée ont été de 105 millions de dollars en 2006, 125 millions en 2007, 386 millions en 2008, 318 millions 2009, 141 millions en 2010, 101 millions en 2011 et 955 millions en 2012. Ces chiffres sont dérisoires, pour tout pays à plus forte raison pour celui qui a le potentiel de la Guinée. Ces investissements ne permettent pas une création soutenue d’emploi.
Pour l’essentiel, les investisseurs qui viennent en Guinée ne visent que les mines. Ces investissements permettent d’avoir un taux de croissance élevé mais pas d’emplois en quantité et en qualité.
En plus de la faiblesse des investissements directs étrangers, la Guinée se caractérise par une forte croissance démographique de l’ordre de 3%. D’après une étude réalisée par le démographe français Jean-Pierre GUENGANT (2011) ; « Comment bénéficier du dividende démographique », (Agence Française de Développement, France, Paris), la baisse de la natalité en Guinée depuis 1958 est de 0,1% et est l’une des moins importantes en Afrique. Les projections indiquent qu’au moins 200 000 adolescents guinéens atteignent 15 ans chaque année dont plus de la moitié deviennent des candidats potentiels sur le marché du travail. Face à un marché de l’emploi de type Bac + 3 restreint, les universités publiques et privées mettent sur le marché de l’emploi en moyenne 15 000 diplômés par an (ils étaient 17 000 en 2017 et ce chiffre serait en baisse depuis avec l’arrêt des orientations des bacheliers dans les universités privées).
Le troisième facteur macro-explicatif du chômage en Guinée est lié à la situation politique du pays. Depuis la modification aux « forceps » de la constitution guinéenne le 11 novembre en 2001 et la maladie du défunt président, la Guinée est dans une situation de fragilité institutionnelle consécutive aux troubles sociopolitiques de janvier et février 2007, de décembre 2008, de septembre 2009, de juin à décembre 2010 et de façon larvée du début de 2012 à la fin de 2013. Ce cycle, qui a repris avec amplitude depuis le référendum constitutionnel de 2020 et les joutes électorales qui ont suivi, s’est poursuivi.
Durant 2019 et 2020, en particulier, on aura même observé, aux pires moments la crise politique en Guinée, un curieux découpage de la semaine qu’on pourrait schématiser comme suit : deux jours (les lundis et mardis) tenant lieu de jours ouvrables ; deux jours (les mercredis et les jeudis) destinés auxmanifestations de l’opposition politique ; et trois autres jours réservés respectivement aux prières le vendredi, aux activités récréatives le samedi et enfin aux « affaires sociales » le dimanche.
Ces tensions politiques découragent les investissements productifs surtout dans des secteurs comme l’agriculture dont le retour sur investissement s’étale sur plusieurs années.
A ces facteurs d’ordre macroéconomique et macro-politique, il faut ajouter les facteurs liés au système éducatif. L’insertion professionnelle des jeunes diplômés se heurte à de nombreux obstacles parmi lesquels, on peut citer la faiblesse du secteur privé et l’insuffisance de compétences des sortants clamée souvent par les employeurs potentiels.
Pour les employeurs interrogés par l’Observatoire de la population estudiantine et sur l’insertion socioprofessionnelle, les diplômés du système éducatif guinéen, tout niveau confondu, ont un certain nombre de lacunes comme :
A ces lacunes qui résultent des faiblesses dans les enseignements et les apprentissages du primaire et du secondaire 1, il faut ajouter le sureffectif dans l’enseignement supérieur et le sous-effectif dans l’enseignement technique et professionnel, car c’est l’enseignement supérieur qui est valorisé en Guinée. Ceux qui s’inscrivent dans l’enseignement technique et la formation professionnelle le sont dans les filières tertiaires.
Aux difficultés de l’enseignement technique et professionnel à recruter, l’enseignement supérieur contraste par une surcapacitédes effectifs multipliés par 2,4 essentiellement en lettres et sciences humaines et en sciences politiques et juridiques. Les rares étudiants qui font l’option des sciences mathématiques et qui accèdent à l’université sont inscrits dans les programmes de sciences économiques et de gestion (21%) et seulement 13% dans les sciences et techniques.
Cet accroissement des effectifs dans l’enseignement supérieur s’accompagne d’un décalage entre les options offertes dans le système universitaire et les offres d’emplois dans le secteur formel. Par exemple, les secteurs porteurs de croissance comme les télécommunications et l’hôtellerie au niveau professionnel sont en déficit de demandeurs d’emplois alors que les sciences économiques, le droit et la sociologie sont en sureffectifs.
Dans les programmes d’études qui comportent des stages, les étudiants sont confrontés à d’énormes difficultés de placement à cause de leurs effectifs pléthoriques qui dépassent largement les capacités d’encadrement de la plupart des PME. En réalité,les relations Universités/Entreprises sont très faibles en Guinée.Les tentatives réalisées sur cette relation sont plus de la communication publique pour valoriser un ministre et/ou un recteur que pour résoudre la question de l’emploi.
Le système universitaire souffre aussi des insuffisances organisationnelles tant dans la présentation du produit du système de formation (c’est-à-dire des diplômés), que dans la collecte des informations pour les stages et les emplois. Par exemple, les diplômés sortent avec une sous-information sur les réalités du marché du travail et la façon de l’aborder (rédiger un CV, une lettre de motivation, se présenter et répondre à des questions lors d’un entretien d’embauche).
En fait, la connexion entre le marché de l’emploi et le système universitaire reste faible. Les universités forment, mais ne vendent pas suffisamment bien leur produit aux employeurs. Les employeurs ne connaissent donc pas les formations disponibles dans le système. Dans cette situation, il n’est pas étonnant que les rares postes disponibles soient offerts aux étrangers et aux guinéens diplômés des universités étrangères.
Sur les 53 institutions publiques de l’enseignement technique et professionnel, rares sont celles qui ont été rénovées. Si l’on en croit aux données contenues dans les documents officiels du ministère de l’enseignement technique et professionnel, par exemple, la construction et/ou la rénovation ne concernerait que 19 des 53 institutions.
Certes, des Écoles Régionales d’Art et de Métiers (ERAM) ont été construites, certaines équipées et des enseignants formés au Maroc. Mais aucune n’est encore fonctionnelle et aucune information n’est encore disponible sur le profil d’entrée et de sortie. Comment les ERAM se positionnent par rapport aux écoles professionnelles poste-primaires, les centres de formation professionnelle qui recrutent au niveau dusecondaire, les écoles de type A et B?
Les formations professionnelles et techniques, les métiers et autres activités manuelles attirent très peu d’étudiants. Lorsqu’ils en existent, il n’y a pas d’enseignants qualifiés et de matériels pédagogiques adaptés. En dépit de la faiblesse des effectifs de l’enseignement technique et professionnel, la seule école publique qui place facilement ses produits sur le marché du travail reste l’École Nationale des Arts et Métiers (ENAM).
Avec un fort taux de natalité, l’autre secteur qui a un potentiel réel d’offre d’emploi est celui de l’enseignement (maternel, primaire et secondaire). Pourtant, les Écoles Nationales d’Instituteurs et l’Institut Supérieur des Sciences de l’Éducation(ISSEG) peinent à recruter en nombre suffisant pour combler les besoins du système éducatif.
Dans le Monde, il y a eu maintes initiatives essayées pourrésorber et/ou limiter le chômage des diplômés du système éducatif. Ces initiatives sont souvent identiques (les uns s’inspirant des exemples réussis des autres), parfois spécifiques en fonction du tissu économique, des contraintes budgétaires et des enjeux politiques du moment.
Ce qui a été constant dans ces différentes politiques c’est la volonté d’agir soit sur des facteurs structurels (pour affecter les fondements de l’économie) soit sur des aspects conjoncturels en attendant, par exemple, la reprise de la croissance économique mondiale pour soutenir des exportations et par ricochet la production industrielle. Comment inverser la tendance ? Je propose la mise en place de réformes structurelles accompagnées par des mesures conjoncturelles ciblées.
Les Guinéens doivent se convaincre que c’est le secteur privéqui est le créateur de l’emploi. Personnellement, je ne suis pas un libéral, mais un pragmatique. Je ne crois pas aux Lois du marché pour réguler de façon satisfaisante l’offre et la demande en matière d’emploi, mais l’État « employeur » n’a pas fait la preuve de sa capacité. Donc et en attendant de voir surgir un modèle concurrent à celui du monde libéral et occidental, il ne reste que le secteur privé qu’il ne faut ni aimer ni détester, mais encourager et encadrer.
Pour amener le privé à créer de l’emploi, il faut assainir l’environnement du pays (les facilités pour l’investissement, la fiscalité, le crédit, l’amélioration des infrastructures, la réduction de la corruption, la paix sociale et politique, etc.). C’est facile à dire, mais difficile à faire surtout lorsqu’on compte sur la classe politique (ceux qui dirigent et ceux qui aspirent à le devenir) pour apaiser le climat social et rompre avec la culture de « l’échec de l’autre est plus important que ma réussite ».
L’amélioration de l’attrait de la Guinée pour les investisseurs nationaux et internationaux réside moins dans les discours (les mauvais propos ou les propos déplacés ont plus d’effets que les bonnes paroles) que dans l’effectivité de la mise en œuvre des politiques par une meilleure utilisation des ressources de l’Étatpour faciliter les investissements (infrastructures et ressources humaines).
Parallèlement à cet effort sur l’environnement du pays pour encourager les investisseurs nationaux et attirer ceux étrangers, il faudra redéfinir la finalité de l’école guinéenne. Car les déscolarisés de l’école et les diplômés du système éducatif sont plus problématiques en matière d’emplois que les non scolarisés : « Les premiers quittent l’école sans qualification et les seconds avec des qualifications théoriques, des compétences limitées et des ambitions démesurées ».
L’école guinéenne doit se reformer pour cesser d’être simple pourvoyeuse de demandeurs d’emplois afin de participer à la création des créateurs d’emplois avec notamment la mise en place de nouvelles écoles tournées vers l’auto-emploi comme les écoles de métier adaptées aux secteurs productifs.
Ces écoles, si un jour elles étaient créées et rendues fonctionnelles, devraient éviter de viser la massification des effectifs et le populisme pour se concentrer sur l’efficacité et l’efficience. Il est préférable d’avoir vingt diplômés qui montent des entreprises et les font fonctionner que d’avoir une masse de diplômés sans avenir qui ne connaissent que les cafés, les maquis, le bavardage politique et la rue.
Étant donné la désaffection de l’enseignent technique et professionnelle par les populations guinéennes et l’intérêt pour le pays d’avoir le plus grand effectif de ses enfants dans ce sous-secteur, il est temps de changer de stratégie. L’une des pistes pourrait être d’intégrer l’enseignement technique et professionnel dans le parcours linéaire de l’enseignement général actuel.
D’autres pays comme le Canada ont déjà réussi ce schéma. Cette intégration de l’enseignement technique et professionnel dans le parcours « normal » vers l’université devrait permettre de rompre sa marginalité et l’idée qui s’y rattache selon laquelle « l’enseignement technique et professionnel est une voie de recours pour ceux qui ont échoué ».
Naturellement, je sais que cette proposition n’a aucune chance de retenir l’attention, car l’intégration de l’enseignement technique et professionnelle dans le dispositif global de l’enseignement général signifie la fin d’un ministère et donc d’un ministre, de son cabinet, des directions, de leurs cadres et des budgets qui s’y rattachent.
En faisant cette mutation de l’école guinéenne, la Guinée s’inscrira dans la vision de l’UNESCO qui, lors de sa 32èmesession en septembre et octobre 2003, encourage les décideurs à reformer le système éducatif afin de former au niveau du supérieur, non seulement des chercheurs d’emplois, mais également des créateurs d’emplois.
Cette révolution de l’école guinéenne passe aussi par une utilisation judicieuse des maigres ressources de l’État pour encourager certaines filières porteuses d’emplois et réduire le trop plein vers d’autres. Au lieu de réserver les bourses d’entretien aux secteurs porteurs qui impactent le futur de la Guinée, on continue à « vacciner » les étudiants pour acheter la « paix ».
Dans cette nouvelle école guinéenne, il faudra s’assurer d’avoir une meilleure adéquation avec des métiers émergents et les besoins des partenaires du monde du travail. La connaissance du futur et des besoins des partenaires exigent la mise en placed’une et/ou de plusieurs structures de recherche comme le centre d’étude et de recherche sur les qualifications (CERQ) enFrance qui doit jouer le rôle d’interface d’aide aux stages et à l’emploi. On va me dire qu’il y a l’Agence Nationale pour la Promotion de l’Emploi (AGUIPE), je vais y ajouter qu’elle n’a ni les moyens ni les ressources financières, matérielles et humaines pour jouer ce rôle. En plus de la mise à disposition de moyens, il est essentiel d’accompagner le développement de cette agence par une assistance technique conséquente et durable pour asseoir une culture d’aide au stage et à l’emploi.
De même qu’il est nécessaire d’avoir des formations pointues pour répondre à des demandes précises et à la nécessité du renouvellement des élites, il est aussi indispensable de proposer des offres de formation associées à un éventail de métiers le plus large possible pour tenir compte de la nécessité d’une flexibilité et d’une polyvalence que recherche souvent le marché de l’emploi. Cette idée questionne le LMD dans soncaractère disciplinaire qui facilite les enseignements mais pose des problèmes d’utilisation des diplômés en dehors de la discipline pour laquelle ils ont été formés. Peut-être des Licences bi-disciplinaires, comme sous la première République, seraient envisageables.
La professionnalisation des formations a commencé timidement dans l’enseignement supérieur. Cependant, la création de nouvelles filières de formation est tributaire de ressources humaines capables d’enseigner et d’encadrer. La création de nouvelles filières, même lorsque le besoin existe, exige la formation des ressources humaines. La Guinée a un besoin pressant de démographes, de criminologue, de psychologue (les effets des épidémies sur les individus le prouvent), mais il n’y a aucune politique de formation au second et au troisième cycle pour ouvrir ces formations.
Ce qui n’est pas fait et qui semble difficile au système éducatif guinéen est l’optimisation de l’information et de l’orientationd’abord des élèves au lycée et des étudiants à la rentrée à l’enseignement supérieur.
Des tentatives de partenariat avec le marché du travail existentaussi avec certaines entreprises comme la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG) et l’Institut polytechnique, mais le processus est timide et manque d’ampleur pour briser la chaîne de méfiance de deux institutions (formations et employeurs). Pourtant, l’ouverture au monde socioéconomique n’est pas seulement une question de placement des diplômés dans le circuit de production, c’est aussi une condition pour actualiser et rendre pertinent les formations offertes dans le système.
Il faudra aussi encourager le système éducatif (universités et écoles techniques et professionnelles) à organiser des journées de l’emploi chaque année. Ces acteurs doivent apprendre à aller chercher les employeurs, les amener dans leurs propres campus, montrer les compétences de ses étudiants et apprenants en expliquant aux employeurs les formations assurées. Il ne s’agit pas de la « mamaya » organisée au palais du peuple pour vendre le visage d’un ministre à la presse. Il s’agit d’un processus plus professionnel et plus interactif entre employeurs, formateurs et demandeurs d’emplois.
Le monde de l’entreprise doit être au courant des compétences qui sont développées par le système éducatif (universités et écoles techniques et professionnelles). Cela passe en partie par une plus grande présence du monde du travail dans les Conseils d’administrations des universités, Écoles et autres institutions de formations, mais aussi par une utilisation judicieuse des professionnels dans les formations. Il semble que cela aussi est dans les textes, reste la mise en œuvre, comme toujours en Guinée.
La problématique de l’emploi est aussi une question de politique publique. Pour une plus grande efficacité, il y a obligation de cohérence. En Guinée, les politiques publiques en matière d’emploi sont prises en charge par trois ministères différents (le Ministère de la fonction publique et du travail en charge des emplois dans la fonction publique, celui de lajeunesse et de l’emploi des jeunes et de l’enseignement technique et professionnel) d’où la question de la synergie et de l’efficacité entre les différents services techniques. A mon avis, l’intégralité de l’emploi devrait rester à l’intérieur d’un seul ministère.
En Guinée, la tendance des gouvernements successifs de la République de Guinée a été souvent d’agir sur des facteurs conjoncturels avec des projets destinés aux jeunes. On peut citer dans le vrac :
Cependant, en dépit de ces différents projets mais aussi en dépit de l’action volontariste de l’État par des recrutements significatifs dans la fonction publique (surtout depuis 2006), la question de l’emploi et celle plus spécifique des diplômés de l’enseignement supérieur et des écoles professionnelles et techniques guinéen reste entière.
On peut et doit faire le reproche à l’État guinéen et aux partenaires techniques et financiers l’absence de synergie d’actions dans le montage et la mise en œuvre de ces différentes mesures conjoncturelles. Certaines de ces mesures conjoncturelles ont même eu de la difficulté à dépenser les fonds mis à disposition en raison de la faiblesse du montage des projets.
Pour les diplômés en situation de chômage, il est souhaitable demonter et de mettre en œuvre un projet conjoncturel pour rendre plus employable et très rapidement les diplômés actuelsavec des dispositifs de contrats d’insertion professionnelle en entreprise et des initiatives innovantes comme des contrats de stage.
Un projet de cette nature a été tenté, mais je ne suis pas certain des résultats obtenus. Enfin, je concède que plusieurs de ces mesures ici présentées par moi ne sont ni nouvelles ni originales ni nécessairement miennes, mais elles ont le mérite d’avoir été éprouvées.
CONCLUSION
Le chômage est un phénomène planétaire. Il caractérise la situation des tous les pays du monde de ce XXIème siècle. Dans un monde où existe un divorce entre la possession de la force de travail et la propriété des moyens de production, il s’opère nécessairement un commerce : celui de la force de travail.
En ce sens, on peut dire que le chômage est intrinsèquement lié à l’idée de salariat, c’est-à-dire d’un contrat entre un travailleur et un employeur. Dans le système capitaliste dominant, le chômage apparaît donc comme une composante du système : il baisse pendant les périodes de croissance et monte en période de stagnation économique et de décroissance.
Le chômage est une donnée mondiale, mais tous les pays ne sont pas à la même enseigne. Chaque pays est un cas, même si les paramètres qui l’expliquent se recoupent souvent. Néanmoins, on peut admettre que le chômage dans n’importe quel pays est un révélateur de la situation économique et un indicateur de la nature des secteurs économiques dominants (industrie, services, agricole ou informel).
Dans le cas de la Guinée et de la quasi-totalité des pays africains, il faut ajouter à ces paramètres, dans le cas des diplômés du système éducatif, les failles du système éducatif, la faiblesse des enseignements apprentissages de l’enseignement pré-universitaire, la faiblesse de l’enseignement technique et professionnel et les dysfonctionnements de l’enseignement supérieur.
Pour dompter le chômage des jeunes, il est essentiel d’avoir des mesures structurelles et des mesures conjoncturelles. Les mesures structurelles sont lourdes et ne donnent des résultats qu’après plusieurs années. C’est pour cette raison qu’il faut avoir plusieurs mesures conjoncturelles segmentées pour palier à la lenteur des effets des mesures structurelles.
D’après les informations vérifiées, la Guinée possèderait une politique nationale de l’emploi. On peut aussi dire que, pour plusieurs raisons, cette politique n’a pas été en mesure de résoudre la question de l’emploi. Il me semble qu’on pourrait commencer par une évaluation de la mise en œuvre de cette politique pour déterminer, avec rigueur et objectivité, les succès, les échecs, les contraintes et les blocages.
A la suite de cet exercice qui doit combiner des regards internes et ceux externes, il sera possible de récrire une nouvelle politique de l’emploi qui devra distinguer les mesures structurelles et les mesures conjoncturelles. Cette politique devra aussi développer des stratégies différentes en fonction des segments des populations concernées par la problématique de l’emploi (jeunes sans instruction, jeunes déscolarisés, jeunes en formation et diplômés de l’enseignement technique et du supérieur).
Pr. Alpha Amadou Bano BARRY (Ph. D ; Sociologie)
barybano@hotmail.com