Les comptes bancaires ouverts par les ministres, les hauts dignitaires et hommes d’affaires du régime déchu d’Alpha Condé, seraient jusqu’ici gelés. Il faut rappeler que le Chef de l’Etat et ses hommes avaient demandé à toutes les banques opérant sur le marché guinéen, le gel des avoirs de tous ces gens qui se sont illustrés dans le « pillage » organisé pendant ces dix dernières années…Dans la foulée, il a été décidé l’arrêt du paiement des contrats des entreprises privées. Toutes ces décisions ajoutées au gel des comptes et au verrouillage de la chaîne de dépense, ont plongé les populations dans la misère qui s’est généralisée. Les chefs des entreprises prestataires ont du mal à s’adapter à la transition. Ils broient aujourd’hui du noir. Beaucoup commencent à mettre la clé sous le paillasson, avec pour conséquence fâcheuse, des milliers de travailleurs au chômage. Peu importe ! Le Colonel Mamadi Doumbouya et ses hommes « bandent toujours les muscles » et comptent aller jusqu’au bout. A juste raison, quand on sait les dégâts causés par les fossoyeurs de notre économie durant la décennie écoulée.
Même si le gouvernement Béavogui avait promis d’assurer la continuité des projets. D’ailleurs, lors de la cérémonie d’ouverture du Forum de l’industrie 2021, Lanciné Condé, ministre de l’Economie et des finances, n’avait-il pas indiqué que « les bailleurs multilatéraux avaient recommencé à décaisser des fonds » et que « le président de la transition avait déclaré que tous les engagements seront tenus » ? Le ministre avait dit ce jour-là que le gouvernement de transition se doit d’assurer la continuité des projets en cours. Pourquoi donc ce blocus ?
Quatre mois après, les choses n’ont pas bougé. C’est le statu quo. Nombreux sont aujourd’hui des chefs d’entreprises et des opérateurs économiques guinéens redoutant le gel prolongé des investissements étrangers et le paiement de leurs factures qui pourrait menacer leurs projets. « Le secteur privé guinéen continue d’être confronté à d’énormes défis qui l’empêchent de jouer pleinement son rôle de moteur de la croissance économique. Or, c’est lui qui tire tous les secteurs d’activités du pays. Avec le secteur privé, le potentiel de réduction de pauvreté est immense. Si l’Etat bloque le paiement des entreprises, on va tout droit vers le chaos », nous apprend un patron d’une entreprise de construction agacé par la lenteur avec laquelle les nouvelles autorités traitent les dossiers au ministère du Budget.
Les banques privées sous le poids du gel des comptes
Contrairement au voisin malien, la Guinée n’a pas été sanctionnée suite au coup d’Etat du 5 septembre dernier, mais la situation sociopolitique et le retard dans le paiement des factures des entreprises privées, ne sont pas sans incidence sur la vie économique. Entre l’appréciation du franc guinéen face au dollar, le ralentissement des transactions et la tension sur les liquidités, les banques tentent de gérer.
Le secteur bancaire guinéen connaît une certaine morosité en raison du non paiement des factures des sociétés privées et le gel des fonds de plusieurs hommes d’affaires. Les agences bancaires ouvrent quotidiennement leurs portes espérant réaliser de meilleures performances que le jour précédent. « Les activités bancaires se poursuivent normalement, mais les volumes des transactions ont baissé. Les acteurs économiques sont dans un certain attentisme. Après observation, nous nous rendons compte qu’ils n’ont recours à la banque uniquement si cela est vraiment nécessaire. Autrement, ils s’en passent. D’ailleurs, nous observons actuellement une petite tension sur les liquidités en monnaie locale », explique Ousmane D, un banquier rencontré devant un établissement bancaire de la place, qui pense que les récentes actions de gel des comptes pourraient partiellement expliquer la fébrilité des épargnants face aux établissements de crédit. « Je pense que beaucoup se tournent plus vers la thésaurisation de la monnaie », ajoute notre interlocuteur.
Au plan monétaire, le franc guinéen s’est apprécié de 700 points face au dollar depuis le mois de janvier dernier, passé à 8080 franc guinéen pour un dollar actuellement, contre 9 800 franc guinéen en septembre, octobre selon les données du secteur bancaire. Mais le ralentissement des importations ne permet pas aux acteurs économiques de tirer parti au mieux de ce fait conjoncturel. « Les entreprises ont besoin des devises étrangères pour couvrir leurs importations. Mais en raison du climat de méfiance, il n’y a pas eu de grosses importations en fin d’année contrairement à la tendance habituelle. Conséquence corollaire : il n’y a pas eu une forte demande en devises étrangères, principalement le dollar », explique le banquier.
La Guinée compte 21 établissements de crédits dont 17 banques commerciales, deux banques de développement et deux établissements de leasing. Le secteur a été un peu mouvementé en 2021 avec l’arrivée de Vista Bank de l’homme d’affaires burkinabè Simon Tiemtoré suite à son deal avec BNP Paribas. Mais depuis le renversement d’Alpha Condé, et alors que la transition politique est en cours, le secteur doit composer avec quelques changements comme le récent changement à la tête de la Banque Centrale et la mise en examen de l’ancien gouverneur.
De plus, l’effectif bancaire pourrait être prochainement revu à la baisse. En difficultés depuis plusieurs années, l’une des banques de développement du pays est au bord de la faillite, apprend-t-on d’une source bien introduite.
Excepté quelques nouvelles récentes telles que l’octroi de la licence 4G à MTN ou le lancement prochain des activités d’exportation de la Société des bauxites de Guinée, l’activité économique nationale est peu dynamique ces derniers mois. Si le coup d’Etat du 5 septembre 2021 n’a pas conduit -contrairement au Mali voisin- à des sanctions de la CEDEAO, les institutions régionales et internationales ont appelé au retour à l’ordre constitutionnel. La Banque mondiale conditionne d’ailleurs à cela la relance de ses activités dans le pays, suspendues il y a quelques semaines.
En attendant que le gouvernement de transition et les partenaires de la Guinée trouvent un terrain d’entente, les banques vont devoir multiplier les équations intelligentes pour mobiliser les acteurs économiques.
Les entreprises privées dans la tourmente
La pression des banques, le poids des charges, les salaires impayés etc. ça sent le chaos dans les entreprises privées de la place. Les BTP, les entreprises prestataires bref ! Tous ceux qui ont des contrats avec l’Etat vivent aujourd’hui une situation peu enviable. Si rien n’est fait d’ici là, beaucoup d’entre elles risquent de fermer. Les promoteurs immobiliers, les entreprises engagées sur les pistes rurales et dans la construction des routes sont tous bloqués et asphyxiés financièrement. Le comble. C’est le refus de certains cadres des départements ministériels d’autoriser le paiement des factures des entreprises contractantes. Le dernier cas en date est celui de la Soguise détentrice d’un contrat en bonne et due forme. Une affaire qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive, ces dernières semaines. Cette entreprise engagée sur les pistes rurales dans la région de Kouroussa et Dabola a du mal à se faire payer à cause du refus du directeur départemental de Route chargé des Travaux Publics. Ce dernier apprend-t-on, aurait qualifié, le contrat de cette société de faux avec surfacturation. Et pourtant au vu des dossiers qu’il nous a été donnés d’examiner, rien de tout ce que raconte sieur Sackho dans la presse. Le contrat est bel et bien signé par les ministres des départements et les directeurs services concernés.
En ces temps qui courent, il serait important que le colonel Mamadi Doumbouya et son équipe se penchent sur les dossiers de ces entreprises nationales. La vie de beaucoup de Guinéens en dépend. Il faut déverrouiller la chaîne de dépenses afin que l’argent circule et travaille.
Les inquiétudes des populations
Faut-il continuer à applaudir les nouvelles autorités pour avoir pris des mesures comme le gel des fonds des anciens dignitaires ? Certainement pas, les applaudissements, il y en a assez eu. Le temps de grâce est passé, accéléré par certains faits et gestes. Il faut maintenant des actes, et les preuves des actes.
Pour beaucoup de personnes, les Guinéens se réjouiraient davantage s’ils recevaient les chiffres des montants gelés. Et il serait en outre de bon ton d’indiquer au peuple les montants et les banques qui gèrent ces comptes. Quoi de plus normal ! « La confiance n’exclut pas le contrôle », dit-on. « La population a bien envie de connaître les noms de ces dignitaires qui ont vu leurs comptes gelés. Si ces comptes ont été gelés, c’est certainement parce que l’argent était de provenance douteuse, de l’argent mal acquis. En la matière, on attend donc des poursuites judiciaires afin de voir clair dans l’affaire », soutient un observateur
Il est impérieux que les nouvelles autorités donnent les gages de leurs bonnes volontés à traquer et restituer au peuple guinéen ce qui lui est dû. « Après 10 ans de pouvoir et de pillage organisé, il est de bon ton que les avoirs et les biens mal acquis des membres des différents gouvernements d’Alpha Condé et leurs familles, ainsi que ceux des principaux dignitaires de son régime soient gelés, récupérés et restitués au Peuple. Des réformes profondes et pertinentes doivent également être opérées en vue de poser les jalons d’une gouvernance saine », ajoute un économiste qui se dit confus devant l’attitude du colonel Mamadi Doumbouya et ses compagnons.
Et il continue :« C’est seulement à ce prix que les autorités de la transition pourront enfin convaincre que les annonces qu’elle fait, n’ont rien de populistes, mais découlent d’une réelle volonté de rompre les chaînes des anciennes pratiques pour qu’au-delà des discours, mais surtout dans les actes, on sent réellement que plus rien ne sera plus comme avant ».
Passons le mauvais coaching dans les nominations, oublions les tergiversations autour de la restitution des biens de la famille de l’ancien Président, feu Ahmed Sekou Touré, de la récupération des domaines bâtis ou non bâtis de l’Etat, n’épiloguons pas non plus sur les passages de tel ou tel dignitaire de l’ancien régime devant la CRIEF. Mais pour continuer à mériter la confiance des Guinéens et respecter la mémoire des martyrs tombés pour le changement, les nouvelles autorités doivent jouer la carte de la transparence si c’est vrai qu’elles sont du côté des Guinéens qui les ont applaudis le dimanche 5 septembre 2021 pour caresser le rêve d’un changement, véritable, sans calcul.