En Guinée, ce pourrait bien être le calme avant la tempête. Élu pour la première fois en 2010, le président Alpha Condé achèvera son second mandat en 2020. Bien que la constitution guinéenne de 2010 prévoie une limite de deux mandats, les partisans de Condé ont accroché le mois dernier une bannière à l’Assemblée nationale qui l’encourage à changer la constitution pour effectuer un troisième mandat. Nombreux sont les activistes de la société civile et les membres de l’opposition politique à être convaincus que c’est ce qu’il va faire.
Les partis d’opposition guinéens sont opposés à une modification de la constitution, laquelle exigerait au préalable la tenue d’un référendum, ou l’approbation de la majorité des deux tiers de l’Assemblée nationale. « Préparez-vous au combat, parce qu’il va arriver», a mis en garde le 3 avril Sidya Touré, chef du parti de l’Union des forces républicaines (UFR), alors que les partis d’opposition et des organisations de la société civile ont fait cause commune pour faire barrage à une réforme de la constitution.
Tout effort visant à modifier la constitution est susceptible de déclencher des manifestations de rue. La Guinée a une longue histoire de violences électorales, y compris lors des scrutins présidentiels de 2010 et 2015.
À la suite d’élections locales contestées en 2018, une série de manifestations et de grèves de l’opposition avaient donné lieu à des affrontements fréquents et violents entre manifestants et forces de sécurité. Les manifestants ont érigé des postes de contrôle improvisés, brûlé des pneus, et lancé des projectiles, parfois à l’aide de frondes, contre les forces de sécurité. Les forces de l’ordre ont utilisé des gaz lacrymogènes, des canons à eau, des matraques et, dans certains cas, des armes à feu pour disperser les manifestants. Douze manifestants ou passants ont été tués à Conakry en 2018, des manifestants ont tué un gendarme et un policier.
Les affrontements de 2018 ont incité le gouvernement guinéen, au nom de la préservation de l’ordre public, à restreindre la liberté de réunion, en interdisant fréquemment les manifestations publiques. Ces mesures ont poussé les partis de l’opposition et des organisations non gouvernementales à accuser le gouvernement d’imposer une interdiction générale.
Le gouvernement nie l’existence d’une interdiction totale, et il a n’a pas empêché les journalistes guinéens de manifester pour la liberté de la presse le 2 avril. Toutefois, depuis juillet 2018, les partis d’opposition ont porté à la connaissance de Human Rights Watch plus d’une dizaine de lettres dans lesquelles des responsables locaux interdisent les manifestations au prétexte de troubles à l’ordre public.
La gravité des violences de 2018 a également conduit le gouvernement, en novembre dernier, à déployer des unités militaires dans les zones les plus sensibles de Conakry, pour la plupart situées dans les quartiers de l’opposition. Le président Condé a déclaré que cela était nécessaire pour « protéger la population contre les fauteurs de troubles » et « dissocier les manifestants qui revendiquent des droits des casseurs dont le seul but est de semer le désordre dans notre pays ».
Des organisations guinéennes de défense des droits humains soutiennent que ce déploiement viole la loi de 2015 sur le maintien de l’ordre public, qui limite le rôle de l’armée dans le maintien de l’ordre. « C’est une dérogation claire à la loi », a estimé Fréderic Foromo Loua, éminent avocat guinéen des droits humains. Loua craint également que la présence de l’armée n’empêche la tenue de manifestations pacifiques légitimes.
Les mesures de dissuasion ont peu de chances de se pérenniser. Si Condé annonce son intention de briguer un troisième mandat, des manifestations généralisées par l’opposition contraindraient le gouvernement soit à tolérer au moins une forme de protestation, soit à imposer les interdictions sous la menace d’armes.
Le gouvernement guinéen devrait agir rapidement pour améliorer le respect de la liberté de réunion.
Tout d’abord, il devrait indiquer clairement et publiquement qu’il n’existe aucune interdiction générale des manifestations publiques et qu’il n’interdira ces manifestations qu’en l’absence de toute autre option pour garantir l’ordre public. Le gouvernement devrait ensuite définir et rendre publics des critères, conformes au droit international des droits de l’homme, pour permettre aux responsables locaux de déterminer les situations dans lesquelles ils peuvent interdire des manifestations.
Ensuite, le gouvernement devrait tendre la main aux partis d’opposition et aux organisations de la société civile pour former avec eux un groupe de travail, composé de responsables gouvernementaux nationaux et locaux, de responsables des forces de sécurité, d’activistes et de membres de partis politiques, pour discuter des moyens d’organiser et d’encadrer les manifestations pacifiques. Les partis d’opposition guinéens doivent participer de bonne foi et s’abstenir de toute rhétorique, en ligne ou dans les médias, qui serait de nature à inciter à des abus violents.
Enfin, afin de tenir les auteurs d’abus commis pendant les manifestations comptables de leurs actes, le Président Condé devrait établir un panel judiciaire spécial, formé de juges, de policiers et de gendarmes, et chargé d’enquêter sur les actes illégaux pendant les manifestations et d’ouvrir des poursuites. Les bailleurs de fonds internationaux devraient prêter à ce groupe une assistance en matière de formation et d’expertise médicolégale.
Le gouvernement guinéen doit comprendre que la répression de la liberté de réunion n’est pas une solution durable à la montée des tensions politiques. Il devrait clairement s’engager à respecter le droit de manifester avant qu’il ne soit trop tard.
Corinne Dufka est directrice pour l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch.