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L’enfer des planteurs d’hévéas et de palmiers de Diecké : « nous sommes traités comme des esclaves »

Quand le nom de Diecké résonne, on voit la SOGUIPAH, cette société guinéenne de palmiers et d’hévéas qui mène des activités agricoles depuis maintenant 35 ans. C’est un bijou pour les populations des sous-préfectures de Diecké et de Bignamou (Youmou), ou plutôt c’était un bijou, comme le soulignent les planteurs de palmiers et d’hévéa de Diecké.

Mais d’abord, c’est quoi la SOGUIPAH ? 

Les activités de cette société ont démarré en juillet 1987 par la mise en place du jardin à bois de greffe et de la première pépinière d’hévéas, puis celle des premières plantations d’hévéa en septembre 1988 et de palmiers en décembre de la même année.

La SOGUIPAH, c’est près de 5 000 employés directs, 4 700 exactement en mars 2022, 6 000 planteurs indirects et de nombreux sous-traitants.

Pour mener ses activités, la société dispose de plantations industrielles et familiales. Selon la SOGUIPAH, elle dispose de 6 083 ha de plantations industrielles d’hévéa, pour un rendement de 1,7 à 2,3 tonnes de caoutchouc sec à l’hectare ; 2 838 ha de palmiers pour un rendement de 15 à 17 régimes par hectare.

S’agissant des plantations familiales d’hévéas et de palmiers, mais aussi des planteurs privés, la superficie est de 4 900 ha.

Pour transformer ces différentes productions, la SOGUIPAH possède trois unités industrielles. Il s’agit de la savonnerie (avril 1992) avec une capacité de production de 10 tonnes par jour ; l’huilerie (octobre 1996) dont la production de mars à juin peut atteindre les 12,5 tonnes par heure ; et l’usine de traitement du caoutchouc (juin 2001) qui produit 2 tonnes de caoutchouc sec par heure.

La SOGUIPAH ou le paradis devenu l’enfer

Les trois unités industrielles de la SOGUIPAH permettaient aux citoyens de la préfecture de Yomou et d’autres, d’avoir de l’emploi directement, mais aussi de vendre leurs productions d’hévéas et de palmiers à la société. Ce qui permet aux coopératives de faire des réalisations pour le développement de leurs communautés.

« La SOGUIPAH, c’était un bijou pour nous. Au début, tout allait très bien », se souvient, Yon Joël Maomy, président de l’Union des planteurs de Gbinson. Une chose que confirme l’ancien sous-préfet de Diecké, le lieutenant-colonel Idrissa Camara : « Avant, plus tard, le 5 de chaque mois, la société donnait aux planteurs l’argent de leurs productions d’hévéa. Et au niveau des palmiers, c’était chaque deux semaines.»  Six mois d’impayés, c’est ce que la SOGUIPAH doit aux planteurs d’hévéas et de palmiers à huile au mois de mai 2022, selon le sous-préfet.

 « A un moment donné, il y a eu des problèmes. C’était en 2013. Après l’année là, ça a commencé à évoluer et tout d’un coup, le temps de Michel (Michel BEIMY, ancien Directeur général de la société, ndlr), ça a été bloqué. Il y a le retard de paiement des planteurs. Actuellement (mois de mai 2022, ndlr), nous sommes à 6 mois sans paiement. Donc toutes les activités des planteurs sont bloquées. La SOGUIPAH a récupéré presque 70% des forêts qu’on avait. Le reste, c’est là-bas que les populations ont planté, mais ces productions-là ne sont plus payées à temps. Il n’y a pas de calendrier de paiement. Des fois, on peut dire on paie tel mois demain. Nous sommes traités comme des esclaves, alors que nous ne sommes pas des employés de la société. Nous sommes des commerçants. C’est un produit qu’on donne à la société et elle doit nous payer», explique Joël.

Les planteurs recevaient des ristournes qui leur permettaient de contribuer au développement de leurs communautés en  faisant certaines réalisations pour les villages. Mais cela aussi a été coupé depuis 2013, affirme Joël Maomy : «Depuis 2013, on ne donne plus de ristournes, alors que les planteurs avaient entamé des activités notamment des dispensaires, des écoles, des maisons de jeunes. Ils ont fait les fondations, mais ça ne bouge plus. Depuis l’arrivée de notre frère, Michel, tout est arrêté. On a toujours réclamé, mais à date, il n’y a rien. Les enfants de certains planteurs ne vont plus à l’école, parce que les parents n’arrivent plus à payer les frais de scolarité. »

Pour le président de l’Union des planteurs, l’autre problème auquel ils font face, c’est l’intimidation dont ils sont victimes : « Le problème qui est là, c’est l’intimidation. Et cela même au niveau des travailleurs de la société. Si les gens revendiquent, on informe le préfet de Yomou, le gouverneur de N’Zérékoré. Ainsi, ils mettent la pression. C’est une sorte de dictature contre nous. »

Des travailleurs licenciés pour avoir réclamé de meilleures conditions de travail

En décembre 2021, les travailleurs mettent en place un collectif pour mettre en place une plateforme revendicative comprenant 28 points. Un avis de grève est lancé, mais la Direction générale de la SOGUIPAH n’en fait pas son souci. Alors la grève éclate, rappelle Ousmane Sagno, chef de la Division Analyse et Evaluation de la SOGUIPAH : « Nous avions adressé un avis de grève depuis décembre 2021. La Direction n’a pas répondu au collectif des travailleurs. C’est ainsi que nous avons déclenché une grève le 7 décembre. Nous avions 28 points de revendication. Nous avions demandé qu’il y ait des équipements de protection individuelle et collective, puisque nous sommes une entreprise agricole. Les gens sortent à partir de 6h pour rejoindre les plantations. Alors ils doivent être munis de bottes, de casques, d’imperméables pour que les conditions de travail soient favorables. Nous avons demandé également qu’il y ait des gants pour les travailleurs au niveau des unités industrielles. Il y a des gens qui manipulent des substances chimiques alors qu’ils ne sont pas protégés. Et s’ils tombent malades, il n’y a pas de prise en charge».

La tenue d’une réunion d’information des travailleurs au sein de l’entreprise n’a pas plu à la Direction générale, qui a sorti une note interdisant un tel acte, puis mettant à la porte les meneurs de la grève. Le lendemain, à 6h du matin, ils sont arrêtés et envoyés à N’Zérékoré située à plus de 60 Km de là.

« La Direction générale s’est fâchée et a sorti une note de service que les manifestations ou les réunions au sein de l’entreprise sont interdites. Cette note est sortie pendant que nous étions réunis pour parler des problèmes de l’entreprise. Ce n’était pas une réunion pour parler des problèmes de la ville, mais ceux de la SOGUIPAH. Ils ont sorti une note de service pour licencier 18 travailleurs membres du collectif. Et  le lendemain ils sont venus nous arrêter à 6h du matin pour nous déporter à N’Zérékoré où nous avons passé trois jours », explique Ousmane Sagno.

Au tribunal de première instance de N’Zérékoré, selon Ousmane, il y avait quatre chefs d’accusation, notamment des faits de rébellion, d’insubordination caractérisée, attroupement illégal non armé. « Et c’était, dit-il, le Directeur général et le Directeur de la comptabilité et de l’administration qui ont porté plainte contre nous. Nous avons dit que nous sommes des travailleurs d’une société qui est une personne morale, mais ce sont des personnes physiques qui ont porté plainte contre nous.L’ex-directeur, Michel Beimy, nous a fait boire de l’acide ici à la SOGUIPAH parce que sa gestion était infernale».

L’attroupement illégal non armé a été retenu contre eux et ils ont été condamnés à 6 mois d’emprisonnement avec sursis.

Pour le Lieutenant-colonel  Idrissa Camara (actuellement préfet de Kouroussa, ndlr), les travailleurs de Diecké ne devraient pas être licenciés à cause de cette grève, vu qu’à Conakry, il y a un mouvement pareil : « Les charges retenues contre eux, c’était le fait d’avoir tenu des réunions au sein de la société. Comme certains l’avaient fait à Conakry et que ceux-ci n’ont pas été licenciés, je crois que l’Etat a jugé utile de les rétablir dans leurs droits. »

Plus loin, il estime que la SOGUIPAH a un problème de gestion doublée d’une immixtion de la politique dans les affaires de la société : « Le CNRD a hérité de ce problème. J’ai toujours dit que la SOGUIPAH a un problème de gestion. Ce que je dis n’engage que moi. Avant le CNRD, l’immixtion de la politique dans la gestion de cette société a fait qu’au lieu que des solutions adéquates soient trouvées, les choses n’ont fait qu’empirer. »

Des avantages supprimés pour sauver la société

Les travailleurs de la SOGUIPAH avaient de nombreux avantages par le passé. Mais confrontée à de nombreuses difficultés, la société a supprimé ces avantages pour éviter que des emplois soient supprimés. A l’époque, c’est l’ancienne ministre de l’Agriculture, Mariama Camara, qui en était la Directrice générale.

« Au temps de Mme Camara, lorsque la faillite de la société s’est fait sentir, il a été décidé qu’au lieu de licencier certains travailleurs, de suspendre certains de leurs intérêts. C’est-à-dire les primes de logement, de transport, de véhicules, etc. », confie-t-il.

Des produits des usines de la SOGUIPAH exportés vers les pays voisins

Le caoutchouc, l’huile et le savon, c’est ce que produit la SOGUIPAH. L’huile était localement vendue à des femmes notamment qui, à leur tour, l’envoyaient vendre dans les autres préfectures du pays. Mais de nos jours, des caoutchoucs frais sont vendus au Libéria et de l’huile à la Sierra Leone, selon le lieutenant-colonel Idrissa Camara : « Avant, l’huile-là servait beaucoup aux populations locales, notamment les femmes qui achetaient cette huile pour la revendre aux autres villes du pays. Mais aujourd’hui la société vend l’huile-là en Sierra Leone. Comme c’est le même prix, au lieu de négocier à l’extérieur, alors que l’huile s’achetait ici, pourquoi ne pas vendre aux pauvres populations guinéennes ? Mais ils ont négocié avec une société léonaise qui vient avec des citernes charger à partir de l’usine. Mme Camara avait refusé cela aux sociétés étrangères qui venaient.  […] Aujourd’hui ils vendent du caoutchouc frais au Libéria. Il y a une partie que l’usine traite, et une autre qui est du caoutchouc frais. Cette partie traitée est envoyée en grande partie en Occident. Ce qui n’est pas usiné, est vendu aux Libériens. »

Le principal client de l’unité de traitement du caoutchouc (UTC), c’est le géant du pneu Michelin, confie un cadre de l’usine.

Pour résoudre les problèmes à la SOGUIPAH, Ousmane Sagno demande au nouveau Directeur général de créer des conditions pouvant permettre à les responsables de se réunir pour proposer des solutions : « Ce que nous demandons au nouveau DG c’est de créer des conditions d’interactivités, de proactivité, des conditions qui permettront à l’ensemble des travailleurs ou aux directeurs sectoriels de se réunir autour de la table pour proposer des solutions de sortie de crise afin que l’entreprise puisse bouger. C’est tout ce que nous pouvons lui demander aujourd’hui. »

Le silence des responsables de la SOGUIPAH

Le 27 mai, nous nous sommes rendus au siège de la SOGUIPAH. Le responsable personnel nous conduit chez le Directeur de la comptabilité et de l’administration. L’accueil était chaleureux, mais personne ne veut ou ne peut parler, vu qu’un directeur intérimaire vient d’être nommé. « Vous avez un ordre de mission », demande Gnam Gamys, le Directeur de la comptabilité. Quand il a lu l’ordre de mission, il nous a envoyé dans un autre bureau avant d’appeler le nouveau qui « effectue sa première mission » à N’Zérékoré. Quelques minutes après, il revient pour dire que le Directeur général a dit qu’ils vont nous appeler le lendemain pour faire l’entretien. « Puis-je prendre des images de l’usine ? » « Non, pas pour l’instant. Il faut que je demande au DG. Quand il donnera son Ok on vous rappellera », répond-il.

Environ une heure après, le Directeur de la comptabilité nous rappelle pour nous dire qu’on peut aller prendre des images à l’usine, mais pas d’entretien. Le service de communication a été mis à contribution pour faciliter cet accès à l’usine.

Malheureusement, l’entretien n’a jamais eu lieu. De nombreux appels téléphoniques jusqu’à début juillet, la réponse a été toujours la même : « Je vais demander à tel de se tenir prêt, rappelez-moi demain. Ou encore, celui qui doit parler est un peu souffrant ».

C’est aussi ça la SOGUIPAH. Mais avec la nomination de nouveaux responsables de la société, il y a de l’espoir que tout aille mieux pour les planteurs et les travailleurs.

 

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