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L’effondrement récurrent des immeubles à Conakry : A qui la faute ?

Les immeubles s’érigent partout à Conakry à la grande joie des populations en quête du logement, mais la série d’effondrement qui suit ces derniers temps, vient rappeler que le non respect des normes de construction conduit à la catastrophe. Nous en voulons pour preuves, l’effondrement d’un immeuble R+5, en construction au quartier Coronthie, dans la commune de Kaloum en 2018, avec 4morts, celui de Ratoma-CERESCOR en 2019 avec son lot de 6 morts et celui qui vient de se passer à Yimbaya-Tannerie avec encore des pertes en vies humaines. Une triste réalité maintes fois mise sur la table, mais jamais solutionnée malgré des multitudes  décisions prises par les autorités.

L’effondrement de ces bâtiments en plein jour parfois tard la nuit amène à s’interroger. La faute vient-elle de l’Etat, qui délivre les permis de construire sans aucun contrôle par la suite ? Ou bien doit-on porter un doigt accusateur aux constructeurs qui n’utilisent pas les matériaux  de qualité ? C’est la faute aux propriétaires? Au moment où nous nous posons cette question, les populations de Yimbaya-Tannerie pleurent leurs morts, ensevelis sous les décombres depuis lundi 10 juillet dernier.

L’étonnement et la colère des populations

Il est 18 heures 50 minutes, ce lundi 10 juillet 2023 à Yimbaya-Tannerie, dans la commune de Matoto quand les Pompiers appuyés par des volontaires et autres riverains font sortir la première victime des décombres de l’immeuble R+6 qui vient de s’effondrer. Entre pleurs et angoisse, les populations sont sous le choc. Parmi les victimes encore sous les décombres, se trouvaient de très jeunes ouvriers du chantier. Au milieu de ces décombres, les pompiers aidés par des populations riveraines ont fouillé pendant trois jours sans relâche. Mais disons que l’attente fut longue pour les proches des victimes qui, minute après minute n’arrivaient  pas à garder leur calme. Parfois, l’impatience se mêle la colère, car pour eux, l’opération de sauvetage n’allait pas vite. De leur côté, les pompiers se hâtaient  mais hélas : Les espoirs de retrouver d’autres survivants  se sont amenuisés. Devant la tragédie, les populations venues sur les lieux du sinistre ne s’en sont toujours pas remis de leur étonnement de voir un immeuble en chantier sous la supervision des responsables d’une agence de l’Etat, s’effondrer  de la sorte. Ce jour-là, impossible de retenir des larmes qui s’entremêlaient à la colère.

A Conakry, l’effondrement des immeubles est devenu un phénomène aux ampleurs tragiques. Ces dernières années, près de 70% des immeubles construits sans permis ont causé la mort de plusieurs personnes. . Cette onde de choc est ressentie par l’ensemble du pays. La ville de Conakry s’étend jour après jour  et les constructions se multiplient avec de nouveaux quartiers dont beaucoup sortent de terre à la va-vite. Ce qui fait le lit des drames. Des drames révélateurs d’un secteur de BTP anarchique gangréné par la corruption et l’irresponsabilité. Problème de politique de construction, problème de matériaux de construction ou absence de conscience citoyenne ? Enquête sur ces effondrements d’immeubles à Conakry qui endeuillent des familles.

Des matériaux de construction : fer «spaquetti » à la place du « fer à béton »

Pendant notre enquête, nous nous sommes intéressés aux usines de fabrication et aux vendeurs des matériaux de construction, maillons importants dans la construction d’un immeuble. Certes, nous n’avons pas pu avoir accès aux usines qui ont hermétiquement fermé les portails à notre passage, mais nous sommes arrivés à nous entretenir avec quelques  vendeurs du fer à béton, du ciment, des briques et autres matériaux de construction. Lesquels commerçants nous apprennent que 80% des constructeurs ont porté leur choix sur les matériaux de mauvaise qualité. « Il y a vingt ans en arrière, personne n’entendait parler de l’écroulement d’étage. Nous sommes ici à Dixinn-gare, depuis 1973. Les matériaux qui ont servi à construire la plupart des bâtiments de Conakry, venaient d’ici. C’est nous qui les vendions.  Ce sont  des fers, des clous…qu’on importait de l’Allemagne de l’Est, de la Russie, des pays d’Europe. Ce sont des matériaux qui résistaient aux poids, aux climats et au temps. Le ciment était de qualité !….Aujourd’hui, quand les gens viennent, et qu’on leur propose des matériaux de qualité, ils trouvent que ça cher. Ils vont acheter le moins coûteux en banlieue de Conakry où sont implantées de nouvelles usines appartenant aux Indous et aux Chinois. Or, le moins coûteux n’est pas la qualité. Dans le but de détourner l’argent mis à leur disposition, ils optent pour les fer spaquetti, comme on le dit, au lieu de vrai fer à béton», nous apprend le vieux commerçant, El Hadj N’Faly Cissé .

 Non loin de lui, un autre vendeur qui pense que certains maçons font de mauvais dosage de ciment quand il s’agit de faire des briques « Les gens font de mauvais dosage. Ils mettent une petite quantité de ciment sur une brouette de sable. Ils économisent du ciment pour le revendre après dans les quartiers. Résultat. Les premières pluies emportent tout sur son passage et fait des morts. Après on accuse l’Etat, le ministère de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire, l’Ordre des Architectes et que sais-je encore. Même le plus souvent le maitre d’ouvrage est contourné. C’est la malhonnêteté  et l’inconscience », lâche le sexagénaire.

Les enquêtes sont engagées à la direction de l’AGUIFIL

Au ministère de l’Habitat, on nous a renvoyés au niveau de l’Agence Guinéenne de Financement de Logement. Ici, le Directeur général adjoint interrogé par notre reporter dès les premières heures, rapporte que, leur Direction a été informée de l’effondrement de deux immeubles en construction à la Cité Nord France, à Matoto. « Immédiatement, la Direction générale et l’ensemble de ses collaborateurs se sont rendus sur les lieux pour faire le premier constat. Notre ministre, ainsi que la Gouverneure de la ville de Conakry, l’ensemble des services communaux et tout le personnel de l’Aguifil se sont retrouvés sur les lieux. La priorité des autorités et de l’Aguifil est avant tout de sauvegarder les vies humaines », a indiqué M. Karim Bah.

Selon le DGA de l’agence, les investigations sont en train d’être menées sur le site à l’effet de situer les causes et les responsabilités. « Les résultats sortiront très bientôt et feront l’objet d’une communication officielle de la part des autorités supérieures », a-t-il annoncé, ajoutant que les logements sociaux livrés récemment ne sont pas concernés.

 Les parents des victimes, eux, continuent de faire le deuil de leurs morts en attendant les résultats des investigations.

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