Par Youssouf Sylla, analyste à Conakry.
Il hérite du fiasco de la politique africaine de Sarkozy, notamment en Libye et en côte d’Ivoire. Connaissant peu l’Afrique, il n’échappe pas, lui aussi, au début de son quinquennat (2012-2017), à la règle qui consiste pour chaque nouveau président français, à promettre la fin des réseaux parallèles qui dominent depuis les années « 60 », en toute opacité, les relations franco africaines. Crédit photo : challenges.fr.
Les déclencheurs de l’engagement français
Il s’agit principalement des risques de partition du Mali et du génocide en Centrafrique, deux anciennes colonies françaises. En 2012, le président de Centrafrique, François Bozizé demande urgemment à Hollande d’agir pour contrer la rébellion Seleka, composée essentiellement de musulmans, et qui est sur le point de s’emparer de Bangui, la capitale. Bozizé est ensuite renversé et Michel Djotodia, musulman, est installé comme président. Situation qui fait révolter les milices d’autodéfense chrétiennes, les anti-balakas, qui engagent un combat meurtrier avec la rébellion Seleka. Le combat est d’ordre politique et confessionnel, avec un risque accru de génocide dans le pays. Avec le feu vert de l’ONU, la France lance l’opération Sangaris de 2013 à 2016 pour pacifier et stabiliser le pays.
Au Mali et dans toute la bande Sahélo saharienne, le contexte sécuritaire s’emballe avec la forte pression militaire des djihadistes islamistes qui ne reculent devant rien. La présence du terrorisme islamique dans cette partie de l’Afrique menace les intérêts français, au sens large du terme. Le laisser faire est donc exclu et la France sous Hollande se voit dans l’obligation d’agir pour endiguer le mal.
Entre 2013, Hollande lance l’opération Serval pour sauver le Mali d’une partition. Les djihadistesavaient déjà réussi un exploit, en mettant sous leur contrôle, le nord du pays. La crainte d‘extension de ce contrôle sur tout le pays était donc redoutée, sans compter le risque de contamination des voisins. En 2014, l’opération Berkhane est, lancée toujours par Hollande, et remplace Serval dans la bande Sahélo saharienne. Elle vise à y lutter contre le terrorisme avec l’appui de cinq Etats de la zone : le Mali, le Burkina Faso, le Tchad, la Mauritanie, et le Niger, tous membres du G5 du sahel.
Selon le site web du ministère des Armées françaises, » La stratégie sahélienne de la France vise à ce que les États partenaires acquièrent la capacité, d’assurer leur sécurité de façon autonome. Elle repose sur une approche globale (politique, sécuritaire et de développement) dont le volet militaire est porté par l’opération Barkhane, conduite par les armées françaises ».
Le G5 Sahel est institué sur la base d’un accord interétatique conclu en décembre 2014 entre ses cinq Etats membres. C’est une organisation qui dans ses objectifs fait le lien entre la sécurité (lutte contre le terrorisme et le crime organisé) et le développement, le tout soutenu par la démocratie. Le G5 Sahel semble pleinement prendre conscience que sans l’élévation du niveau de vie des populations, et le respect des principes démocratique, il sera aléatoire de vaincre durablement le terrorisme et le crime organisé.
Poussant vers la constitution du G5 Sahel, F. Hollande a réussi, à aider à la mise en place d’un mécanisme institutionnel africain de règlement des conflits dans la bande sahélo saharienne. C’est la concrétisation d’une vieille idée qui a émergé dans les esprits, lors du sommet franco-africain de Biarritz en 1994, après le génocide rwandais.
Les raisons de l’engagement de F. Hollande
En Centrafrique, les raisons de cette intervention sont plus humanitaires qu’économiques. A ce propos, Vincent Jauvert, journaliste de l’Obs, dit ceci : «Bien que Paris y soit le premier investisseur, les intérêts économiques français en Centrafrique sont désormais peu importants. Les échanges commerciaux s’élèvent à peine 50 millions d’euros. A part France Télécom qui s’est installé à Bangui en 2007 et l’inévitable Bolloré (qui gère le terminal porte-containeurs du port de Bangui), les grands groupes français ne s’intéressent plus guère à ce pays. Aréva, qui avait signé en 2008 un accord pour l’exploitation d’une mine d’uranium dans l’Est du pays, y a renoncé, après la catastrophe de Fukushima ».
En ce qui concerne le Mali en revanche, les raisons peuvent être trouvées dans l’analyse de la nature territoriale de certains conflits. En effet, dans la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale (2017), avec la préface de Macron, il est écrit que la France est exposée à ce type de conflit à raison du fait que » la contraction de l’espace géopolitique, résultat de l’accroissement des interdépendances, facilite la propagation rapide des effets des crises, mêmes lointaines, jusque sur le continent européen ». En ce qui concerne plus précisément l’espace sahélo saharienne, la Revue poursuit, en disant que, cet espace est « porteur d’enjeux prioritaires pour la France en matière de lutte contre le terrorisme ». Car cette zone « connaît un risque d’enracinement durable des mouvances djihadistes ». Ce qui se passe dans cette zone constitue donc une menace réelle pour la sécurité de l’Europe et de la France.
Hollande, homme de rupture ?
Il avait promis dans sa campagne de rompre avec la Françafrique. La promesse finalement est non tenue, car par réalisme, il a reçu à l’Elysée les autocrates africains. Il avait besoin d’eux pour le succès de sa politique sécuritaire dans le continent.
Malgré les critiques suscitées par l’action militaire française pour empêcher, d’une part, l’extension du contrôle des djihadistes sur tout le Mali, et possiblement sur ses voisins, et d’autre part, la répétition de la tragédie rwandaise en Centrafrique, cette fois-ci, entre musulmans et chrétiens, on se demande qu’allait être la situation sécuritaire dans ces pays sans cette intervention ?
Ceci dans un contexte d’indifférence des pays les plus puissants du monde, et d’impuissance desorganisations régionales africaines à relever les défis sécuritaires. Même si l’intervention française ne peut être exempte d’intérêts géostratégiques et économiques, elle a eu le mérite de protéger l’intégrité territoriale du Mali, ce qui est loin d’être une mince affaire, et d’éviter au Centrafrique un génocide.
De ce point de vue, Hollande en s’engageant dans le conflit de Centreafrique se distingue de Mitterrand, socialiste comme lui. Ce dernier avait plutôt cherché à protéger les génocidaires hutus. Il se distingue aussi de certains de ses prédécesseurs, de la droite, qui agissaient lançaient des opérations militaires en Afrique pour rétablir au pouvoir des chefs d’Etats amis.
Lire ou relire : Les faux espoirs de la politique africaine de Mitterrand