Dans une contribution précédente, nous avions fait un essai de reconfiguration de la démocratie guinéenne en proposant de substituer à notre régime présidentiel caduc et improductif, un fédéralisme des régions naturelles autonomisées avec une présidence tournante au sommet de l’État fédéral entre les huit Conseillers nationaux issus des huit régions administratives du pays.
Dans la présente contribution, nous nous intéressons à la question de la répartition des richesses nationales entre les quatre États fédérés de la Guinée Maritime, de la Moyenne Guinée, de la Haute Guinée et de la Guinée Forestière. Il est évident que chacune de ces régions dispose de ressources naturelles immenses et très diversifiées. Toutefois, malgré cette évidence, il existe une disparité notoire entre elles en ce qui concerne certains types de ressources.
Par exemple, la Guinée Maritime abrite la plus ancienne filière extractive de bauxite du pays, mais aussi la plus facile à exploiter du fait de la proximité des gisements de la côte atlantique et des larges fleuves. Tandis que la Haute Guinée a un sous-sol riche en or et en diamant dont l’exploitation industrielle est en cours depuis maintenant deux décennies. De même, la Moyenne Guinée regorge d’un bassin hydrographique impressionnant, les fleuves du Sénégal et de Gambie y tirent leur source sur les hauteurs du massif du Fouta Djalon. Et la Guinée Forestière dispose à son tour d’un important potentiel en minerais de fer, avec les monts Nimba (1752 m) et Simandou (1600 m), deux gisements de fer de classe mondiale.
Ce tableau montre bien l’ampleur et la variété des ressources dont dispose chacune de ces régions de notre pays. À cela il faut ajouter leur grande capacité agricole, avec d’immenses superficies de terres propices à l’agriculture. On en compte plus de 2.7 millions d’hectares en Haute Guinée, 1.4 million en Guinée Forestière, 1.3 million en Guinée Maritime et 800 mille en Moyenne Guinée.
Ainsi, dans la configuration d’une fédération d’États autonomes, comment organiser la distribution des ressources naturelles entre ces derniers afin de permettre un développement équilibré de l’ensemble du territoire et d’éviter ainsi que ne naissent des frustrations et un sentiment d’injustice chez les populations des États les moins favorisés ? Au canada par exemple, qui est une fédération de dix provinces et trois territoires autonomes, le gouvernement fédéral a mis en place un mécanisme qu’il appelle la « péréquation » pour assurer une meilleure redistribution des revenus tirés de l’exploitation des ressources naturelles du pays. Voyons ce que cela signifie et de quelle manière s’y référer dans le contexte de la Guinée.
La péréquation comme un moyen de répartition des richesses entre les États fédérés de la Guinée
Vu sous l’angle canadien, la péréquation est un programme fédéral qui permet aux gouvernements provinciaux de disposer de fonds suffisants pour assurer à l’ensemble des Canadiens « des services publics de niveau comparable et moyennant des taux d’imposition comparables ». Ces fonds sont fournis par le gouvernement fédéral et déterminés par la formule de péréquation qui vise à calculer le montant théorique nécessaire à une province pour assurer ses services publics. À l’instar de la manière dont cela fonctionne au Canada, voici exposé ci-dessous comment nous envisageons l’appliquer en Guinée.
En effet, le gouvernement fédéral guinéen, à partir des impôts et des taxes de tous les Guinéens, ainsi que de ceux de toutes les entreprises qui opèrent dans le pays, aura la charge d’administrer ce programme et de verser de l’argent aux régions qui ont besoin d’augmenter leur niveau fiscal. Le montant à allouer à ce programme sera fluctuant en fonction du nombre d’habitants et des écarts de richesse entre les régions. De plus, les versements seront calculés par habitant. Ainsi, plus la démographie augmente, plus le total des versements devrait d’augmenter. Cela dit, si les écarts de richesse sont réduits entre les 4 régions, les paiements devraient baisser aussi. Aussi, il sera plus adéquat dans un système où l’on cherche à réduire les inégalités que les régions plus riches ne reçoivent pas ou reçoivent très peu de péréquation et que ce soient celles les moins riches d’en recevoir davantage.
À titre d’exemple, la Moyenne Guinée couvre 26% du territoire national pour une population d’un peu plus de 2 millions d’habitants. Elle est aussi dépourvue de ressources minières contrairement aux trois autres régions beaucoup plus dotées en ressources minières. Alors que la Basse Guinée compte plus de 5 millions d’individus et occupe une superficie équivalente à 15% du territoire national. Elle a l’avantage, en plus de disposer de la plus grande réserve de bauxite au monde, d’être aussi le chef-lieu de la capitale nationale, ce qui lui confère une position privilégiée pour les affaires. Quant à la Haute Guinée, elle occupe la plus grande portion du territoire national, soit 39% et compte près de 3.5 millions d’habitants. C’est le berceau des métaux précieux. Enfin la Guinée Forestière a une population d’environ 2 millions d’habitants pour une superficie égale à un cinquième du territoire national. L’énorme gisement de fer et l’immense étendue de végétation dominée par des forêts primaires dont elle est dotée lui confèrent une place privilégiée dans la fédération guinéenne.
Voilà autant d’éléments qui devront être pris en considération dans le programme de péréquation qui s’appuie davantage sur la capacité des États fédérés à aller chercher des revenus fiscaux, sous forme de taxes et d’impôts, auprès de leurs citoyens et des entreprises se trouvant sur leurs territoires. Pour calculer la capacité fiscale (capacité à générer des revenus), on fait comme au Canada. C’est-à-dire que le gouvernement fédéral établit des taux moyens sur les impôts des particuliers, les impôts des entreprises, les taxes à la consommation et de douane, 50 % des redevances sur les ressources naturelles non renouvelables et les impôts fonciers.
En fonction de la richesse de l’économie d’une région, sa capacité sera plus élevée que la moyenne ou plus faible. Les régions qui sont en-dessous de la moyenne reçoivent des paiements, tandis que celles qui sont au-dessus n’en reçoivent pas. Ainsi, la péréquation ne dépend pas des services publics à payer, mais de la capacité d’une région à tirer des revenus fiscaux de ses habitants et des sociétés privées qui exercent sur son territoire.
Voilà en définitive la réponse que nous apportons aux préoccupations de ceux d’entre nos compatriotes qui se demandent comment, dans l’hypothèse d’un État fédéral en Guinée, les ressources nationales seront réparties entre les entités fédérées. Telle est ainsi la voie que notre pays peut emprunter désormais pour se libérer de la pesanteur d’un régime présidentiel qui fait de nos chefs d’États des « demi-dieux » au-dessus des lois et qui a montré toutes ses faiblesses.