L’annonce de la suspension des travaux sur le projet Simandou par le ministre des mines revèle encore une fois de plus la complexité de la gestion des projets miniers en Guinée dans une atmosphère de crise économique et d’incertitude politique.
En effet, le chef de la junte militaire Colonel Mamady Doumbouya a exigé, lors de sa rencontre avec les miniers le 9 avril 2022, que les compagnies minières – notamment celles qui extraient la bauxite – viennent avec des plans de transformation des minerais en Guinée au lieu d’exporter la matière première brute sans valeur ajoutée. Le délai a été fixé fin mai 2022.
Sauf qu’aucune compagnie n’a respecté l’ordre du président qui a prolongé le délai de 19 jours. Et de nos jours rien n’a officiellement filtré de la réponse officielle des miniers face à l’ultimatum présidentiel.
La Guinée est très dépendante des revenus miniers qui constituent l’écrasante majorité des revenus perçus par l’Etat guinéen. En 2018 selon le rapport 2017 de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) les mines ont rapporté plus de 500 millions de dollars. En 2018, le secteur minier a apporté au Trésor public 544 millions USD, soit plus de 30 % du budget de l’État. L’ITIE révèle que la contribution du secteur minier dans l’économie nationale est de 15% du Produit intérieur brut (PIB), 32% des recettes de l’Etat guinéen et 78% des exportations pour le pays. Les chiffres pour les années suivantes ne sont pas disponibles mais sont logiquement plus élevés vu l’augmentation de la production.
Les responsables de ces compagnies sont tous unanimes que ce n’est pas la première fois qu’on leur demande d’implanter des usines de transformation de minerais sur place ici en Guinée. Tous les régimes qui ont précédé celui du CNRD ont plusieurs fois dénoncé l’absence de ces plans de transformations des matières premières du pays. Comme quoi cet ultimatum du colonel Doumbouya n’est pas nouveau. « C’est un vieux disque longtemps écouté dont le son semble inaudible désormais » ironisent les critiques. Les régimes viennent et passent sans jamais voir germer une usine de transformation des minerais guinéens.
Pourquoi les compagnies minières telles que la CBG, Chinalco, SMD… qui sont présentes en Guinée depuis des décennies n’ont pas transformer la bauxite en alumine ou aluminium et remonter la chaîne des valeurs se contentant de creuser la bauxite pour la transformer ailleurs? Aucune réponse précise de la part des responsables de ces grosses boîtes.
Guinéenews a enquêté:
La majeure partie des mines, notamment la bauxite – dont la Guinée détient 40 % des réserves mondiales – appartiennent à des multinationales qui ont une chaîne bien intégrée d’approvisionnement de leurs propres raffineries.
Guinéenews a passé en revue les différentes entreprises opérant dans le domaine de la bauxite et analyse leur capacité de passer à l’étape de transformation en alumine qui demande entre autre beaucoup d’énergie. Aucun interlocuteur n’a voulu nous parler directement
- RusAl – Il est connu que RusAl – une multinationale russe – traverse une crise sans précédent pour cause de sanction contre la Russie dans la crise sur l’Ukraine. La bauxite de Dian Dian qui devrait être transformée en alumine à Nikolaev en Ukraine est actuellement transportée vers l’Irlande. RusAl n’aura probablement accès à aucune source de financement occidentale donc il est peu probable que RusAl construise une usine d’alumine en Guinée. Curieusement, RusAl est la seule multinationale qui possède à Fria – une unité de transformation de bauxite en Guinée qu’elle a acquise en 2006 pour officiellement 21 millions de dollars avec promesse de moderniser et doubler la capacité de 600.000 tonnes à 1,2 millions de tonnes. Ce qu’elle n’a jamais fait, au contraire prétextant des conflits de travail, RusAl va fermer l’usine en avril 2012 mettant au chômage des milliers d’employés pour la relancer seulement en juin 2018 avec une très faible capacité.
- CBG – Le grand pourvoyeur d’emplois et de devise de la Guinée, la Compagnie des Bauxites de Guinée est un partenariat entre l’état guinéen qui détient 49 % des parts de la société, le reste appartenant au consortium Halco Mining créé par la société américaine Alcoa et la société Rio Tinto – Alcan toutes deux géantes de l’aluminium. Quoique la CBG ait envisagé la transformation de l’alumine depuis son entrée en exploitation en 1973 dans son plan directeur, la compagnie ne l’a jamais fait et il est difficile dans les conditions actuelles de la voir changer de cap car l’objectif a été toujours d’alimenter leur usines outre mer. Et comme l’état guinéen est actionnaire à 49% c’est sur que la compagnie va demander que le gouvernement guinéen contribue à ce projet en terme d’argent comptant ce qui sera difficile vu l’état des finances guinéennes et l’incertitude économique.
- GAC – La compagnie canadienne Guinea Alumina Corporation – comme son nom l’indique devrait être une société de construction d’une aluminerie en Guinée. GAC a acquis les droits de la concession du projet de construction d’aluminerie qui sera vite abandonné après son rachat par Mudabala et Dubal Alumina en 2013 avec l’accord du gouvernement guinéen pour une compensation de 50 millions de dollars négociée par le président de l’époque Mr Alpha Condé. Comme Global a une usine d’alumine flambant neuve à Dubaï, il est très peu probable qu’elle s’engage dans un autre investissement en Guinée après un investissement de 1,4 milliards de dollars pour la mine de Boké.
- Chinalco – Quoique la multinationale chinoise géante de l’aluminium a pris des engagements – non contraignants – de construire une usine d’alumine en Guinée, Chinalco exporte la bauxite guinéenne depuis janvier 2020 et avait promis à l‘époque de construire une usine d’alumine en Guinée en fin d’année. Ce qui n’est jamais arrivé. Les années suivantes entre pandémie et coup d’état Chinalco mettra sous veilleuse cet engagement et se concentrera sur le projet de mine de fer de Simandou ou elle est co actionnaire avec Rio Tinto. Chinalco présentement environ 13 millions de tonnes de bauxites par an vers les usines d’alumine chinoise et il est très peu probable qu’elle s’engage dans le moyen terme à rediriger cela vers la Guinée.
- SMB – La Société minière de Boké dirigée par le dynamique guinéen Fadi Wazni est de l’avis de tous les spécialistes la seule compagnie qui prend au sérieux la transformation de la bauxite en alumine puis aluminium en Guinée. Ayant réalisé en un temps record l’exploit de devenir le premier fournisseur de bauxite de la Chine avec 30 millions de tonnes par an, la SMB a réalisé le premier chemin de fer minéralier en Guinée depuis des décennies. Un investissement ferroviaire de 1 milliard de dollars pour 135 kilomètres depuis la zone de Télimélé au port minier de Dapilon a été construit en temps record et en période de pandémie. Mais le plus significatif est qu’en février 2021, la UMS, la filiale logistique a achété l’usine d’alumine d’Alteo à Gardanne en France. L’objctif étant la sinergie avec le projet de raffinerie en Guinée qui a été entériné dès 2018 dans le cadre du Projet Boffa-Boké de la SMB, bien avant que UMS envisage le rachat d’Alteo. La SMB est aussi impliquée dans le projet d’exploitation du mega gisement de Simandou qui était en bonne marche avec la construction du chemin de fer transguinéen par le consortium Winning Simandou de 600 kilomètres maintenant stoppé sur ordre du gouvernement .
- L’ANAIM – L’Agence Nationale d’Aménagement des Infrastructures Minières – chargée dès la gestion des participations minières de la Guinée – est la seule entreprise entièrement contrôlée par l’état guinéen. L’ANAIM devrait être celle qui aurait dû piloter la transformation des minerais à l’exemple de Vale au Brésil qui d’entreprise est devenue une multinationale qui joue d’égal à égal aux autres géants miniers. Hélas l’ANAIM est restée une société de rentes aux nominations politisée qui se contente de recueillir auprès des multinationales les dividendes guinéennes sans investir massivement en infrastructure comme sont mandat l’indique. Les bénéfices qui sont versés dans les caisses opaques de l’état guinéen toujours à court d’argent.
Silence total chez les miniers
Rendus dans les locaux des directions de certaines de ces compagnies, aucun interlocuteur fiable. Partout, c’est le silence radio sous prétexte que le pays traverse une période sensible avec la gestion de la junte militaire au pouvoir : « Ce n’est pas le moment de parler à la presse. En ces temps qui courent c’est risqué de s’étendre dans les médias. Avec les militaires aux affaires, il faut être prudent surtout quand on est minier. On se rappelle toujours de la fameuse rencontre du feu Patchenko, l’ex patron de RUSAL et le chef de la junte d’alors, le capitaine Moussa Dadis Camara. Les images sont encore là, présentes. Même si on explique les raisons, il faut savoir que le plus souvent ce sont des intentions exprimées par les chefs dans des discours publics. Ce souhait n’est jamais formalisé pour remonter l’information au siège des compagnies. Un chef vient, il parle, il dénonce et après l’autre vient il propose et il menace… Et puis bon après, il s’en va », soutient d’une manière évasive, un travailleur d’une société minière sous couvert d’anonymat.
Pour cet autre cadre d’une société minière basée en Haute-Guinée, croisé dans une banque de la place, c’est à cause de l’instabilité politique de ces treize dernières années que les compagnies minières n’ont pas le courage de construire les usines de transformation : « La Guinée est victime de l’instabilité politique. Les argentiers n’ont pas confiance en notre pays. Trop d’incertitudes. Et vous savez bien que l’argent n’aime pas le bruit. Les changements perpétuels de régimes, les séries de manifestations politiques n’encouragent pas les investisseurs ! Les compagnies minières qui évoluent dans nos mines, sont conscientes qu’il faut installer des unités de transformation. C’est même bénéfique pour elles. Mais tant que la stabilité ne revient pas, ces gens-là n’auront pas confiance », tranche-t-il.
Dossier réalisé par Boubacar Caba Bah et Louis Célestin pour Guinéenews©