La tomate, le gombo, le piment, l’oignon, l’aubergine, la banane, le riz du pays, le fonio, le chou et le concombre qui atterrissent chaque jour et chaque soir dans nos assiettes proviennent des villages parfois lointains. D’autres sont récoltés dans les zones environnantes de la capitale. Mais si nous connaissons le parcours de ces produits avant d’arriver dans nos cuisines, nous oublions ou faisons semblant d’ignorer ces courageuses femmes qui bravent nuit et jour le soleil, la pluie et le froid pour approvisionner les marchés. Et pourtant que ces femmes sont confrontées à des difficultés au quotidien pour se procurer de ces denrées nécessaires à la vie.
En plein cœur de Conakry, les marchés de Matoto et celui de Yimbaya. Des marchés connus de tout le monde. Pendant la journée, ces endroits grouillent de monde, commerçants et clients y discutent les articles, chacun espérant en tirer le meilleur prix. Mais la nuit tombée, c’est tout un autre monde qui se révèle loin des yeux du consommateur guinéen.
A minuit, comme à leur habitude, plusieurs commerçants se sont massés pour attendre leurs marchandises livrées dans des camions en provenance de l’intérieur. S’engage alors une véritable bataille entre les amazones du marché des vivriers. C’est à celle qui obtiendra la meilleure place pour récupérer sa marchandise le plus rapidement possible pour espérer gagner quelques précieuses heures de repos après une longue journée de travail. « Quand les camions arrivent, chacun lutte pour récupérer ses bagages. Si tu n’es pas forte, on te fait quitter. C’est la jungle. C’est le plus fort qui gagne ici », lâche dans la foulée une jeune commerçante venue prendre ses bagages ce jour-là.
A cette heure, le marché, un lieu de commerces devient un lieu d’habitation. La grande majorité est constituée de femmes. Sur des bancs où à même le sol, elles sont contraintes de passer les nuits pour minimiser le coût des transports et veiller sur leurs étals. « C’est à cause de l’argent ! On dort ici, pour ne pas dépendre des gens. Comment on va faire ? Il faut se prendre en charge et s’occuper des enfants pour soutenir nos maris…Je vends du piment jaune. Voici les sacs. Ce piment est apprécié par les clientes. Si je ne veille pas sur les sacs, ils vont me les voler», soutient Nana Camara, vendeuse de piment au marché Yimbaya. Et c’est vrai. Le vol des marchandises, c’est l’une des plus grandes craintes pour ces femmes qui peuvent passer plusieurs semaines dans les marchés. « Notre travail est trop. On doit se réveiller à 4 heures pour travailler. Dormir à la maison, n’est pas possible », tient à préciser dame Nana.
Effectivement pour assurer leur protection, une équipe de sécurité qui sillonne chaque nuit les dédales et les environs. « Notre rôle, c’est de veiller sur ces femmes. C’est elles que nous protégeons », dit-elle. « Elles sont avec leurs enfants bagages et souvent même avec leurs enfants », déclare Henri Haba, le chef de la sécurité. Des patrouilles nocturnes régulières qui pourtant sont loin de dissuader les voleurs. Cette nuit-là, à notre présence, la sécurité a mis main sur un voleur d’une denrée particulière. Cet individu a été appréhendé avec un sachet de viande sèche (boucanée) de singé. « Il pouvait vider le sac de la viande de singe ou d’agouti…C’est un habitué connu de tout le monde ici. Mais nous allons le maitriser et le remettre le matin à la propriétaire de la marchandise», nous apprends Chef Haba.
Alors que la ville de Conakry se réveille tranquillement, dés les premières heures, les marchés du vivrier, eux, grouillent la vie. Ce matin-là, les camions viennent d’approvisionner en banane plantain le marché de Tannerie. Ces bananes, Tantie Suzanne, vendeuse de gros se la procure à N’Zérékoré, à plus de1000 kilomètres de Conakry. Une fois par semaine, elle vient pour les livrer à ses clients. Lors de notre enquête, ce sont 20 tonnes qui sont arrivées.
« Nous partons loin pour se procurer des produits. Il n’y as de route. Tout est dégradé. Les zones de productions sont enclavées. Nous partons en brousses avec des brouettes à pied », nous apprend la vendeuse.
Les zones de productions enclavées et inaccessibles
A l’intérieur de la Guinée, dans les villages, la terre est fertile. On y produit du café, de l’hévéa, du palmier à huile, de l’anacarde, du cacao ainsi que du riz, du manioc, du mais, de la pomme de terre, de l’arachide, de l’igname, du piment de l’aubergine, de l’oignon, de la banane plantain et de la banane douce. Bonne nouvelle donc en principe pour l’autosuffisance alimentaire. Cependant, faute de voiries praticables, ces produits périssent en brousse.
Parti de Conakry à Yomou. Il faut un minimum de deux jours de route : crevasse, boueuse en ces temps de grandes pluies, pentes glissantes, ponts de fortune, voies sinueuses…Tout semble réunit les trajets pour en faire les routes du calvaire où règnent les chauffards avec les vieux camions datant des années 60-70. « Pas de routes. Le déplacement des produits est difficile ». Tous les villages guinéens sont des greniers par excellence. En plus des produits de rente, on y trouve toutes les cultures vivrières. Spécialités des femmes organisées en groupement qui, cependant, ne peuvent tirer profit de leur dur labeur.
Faute de voies praticables pour l’écoulement, ces produits sont vendus en brousse à viles prix un frein donc à leur autonomisation. « Tout se vend moins cher à l’intérieur du pays. Surtout dans les villages. Et ça n’arrange pas du tout. Les femmes travaillent, elles produisent mais comment drainer leurs produits sur les grands marchés ? Le problème est réel et entier dans les villages », nous apprend dame Suzanne.
Ceux qui disent que la route précède le développement n’ont pas menti. L’un des problèmes guinéens reste et demeure les voies de communications à travers le pays. Cette triste réalité est aujourd’hui un frein au développement du pays. Et ce qui est regrettable, ce sont les pays frontaliers à la Guinée qui bénéficient des efforts de nos braves paysans.