Il y a un nom qui revient très souvent dans l’histoire de la préfecture de Labé en général et celle de la sous-préfecture de Popodara en particulier. Emile Cissé puisque c’est de lui qu’il s’agit aurait véritablement marqué la vie de cette préfecture pendant les années 60, 70. Éminent professeur, Emile Cissé a eu la chance de diriger le collège de Khalidou qui fut la toute première école normale de la Guinée. En plus de l’éducation que la cité de Khalidou proposait aux meilleurs élèves, Emile Cissé aurait mis en place une petite armée avec laquelle il aurait même tenté de renverser le régime d’alors.
Pour cerner ce pan de l’histoire de la commune rurale de Popodara, Guinéenews est parti à la source où monsieur Tely Oury Diallo, instituteur à la retraite basé à Pétel Popodara a bien voulu partager ses souvenirs avec nous à travers cette interview.
Guinéenews : d’où est venu le nom Khalidou et comment Emile Cissé a atterri ici ?
Tely Oury : c’est Emile Cissé qui a donné ce nom Khalidou lorsqu’il a été affecté à Popodara comme directeur d’école. Donc, il allait à Labé dans les différents collèges, il recrute des enfants les meilleurs ; les meilleurs élèves et il les a regroupés à la cité. Il a aussi cherché à avoir les meilleurs professeurs pour les envoyer à Popodara ici. Quand il est venu, il a d’abord rénové le bâtiment où il habitait ; il a rénové les établissements qu’il a trouvés ; il a fait assez de petits bâtiments pour loger certains professeurs. Par ailleurs, il y avait la porcherie, la boulangerie et les dortoirs. Donc, de 1968 à 1970 il enseignait ici, c’était lui le maître de la cité. Les élèves qu’il a choisis, je vous dis qu’il a seulement choisi les meilleurs élèves. Quand il est arrivé, il a fait un concours. Tous les mauvais élèves, il les a renvoyés ; il n’a gardé que les meilleurs seulement. Les vilaines filles aussi n’étaient pas de son goût. Il choisit les jolies filles et ils les envoient ici. Pour vous dire, là où il logeait il y avait 6 filles ; 6 plus belles filles de la cité. Il logeait avec celles-ci.
Guinéenews.org : ces filles, c’étaient ses épouses ?
Tely Oury : Ah ; je vous dis que c’étaient ses élèves. Il n’avait qu’une seule femme la nommée Djiwoun Kallé. Maintenant, les filles qui étaient à côté de lui, c’e sont des filles qu’il a choisies pour rester à côté de son dortoir. Six (6) filles je vous dis.
Guinéenews : donc Khalidou est venu du nom de Djiwoun Kallé ?
Tely Oury : exactement, c’est à partir de son nom qu’on a tiré Khalidou, c’est Djiwoun Kallé ; elle est de Popodara, c’est la fille d’El Hadj Souleymane Popodara, fils de l’ex-chef de Canton.
Guinéenews : à part l’éducation, Emile Cissé faisait de la politique ?
Tely Oury : oui, parce qu’on ne savait pas qu’il était en train de préparer un coup pour le chef de l’Etat à l’époque c’était le président Ahmed Sékou Touré. Il a effectué même des missions pour Dakar et Abidjan. Il avait assez d’éléments ici comme un certain Tafsir de Koulidara (Telidjé) qui était là spécialement pour l’accoutrement des élèves. Emile a envoyé ce dernier à Dakar pour rencontrer les contre-révolutionnaires disait on en ce moment. Il est revenu et il en a préparé un autre aussi qui est allé à Abidjan. Il a envoyé beaucoup de missionnaires un peu partout pour se camoufler.
Guinéenews : a-t-il une fois attenté à la vie du président d’alors ?
Tely Oury : j’en viens quand il a voulu assassiner le président, il l’a invité et Sékou Touré est venu. Il lui dit de visiter la porcherie ; pour aller à la porcherie dans ce grand arbre que vous voyez ici, le tireur d’Élite du camp Elhadj Oumar y était camouflé par Emile Cissé. Mais en sortant de la résidence, Sékou Touré a refusé d’aller visiter la porcherie. Il avait un autre qu’il avait préparé dans la case que je vous ai montré tout à l’heure ; une case qu’Emile Cissé disait vouloir construire pour Sékou Touré et il l’a invité à la visiter mais Sékou a dit qu’il ne visite pas. Face à cela Emile l’a invité au champ de tir qui se trouve vers la colline à Dioulasso. Une invitation que Sékou Touré a accepté, il a été et les enfants ont fait une démonstration parce que Emile Cissé les avaient entrainées, je vous dis qu’il y avait un tireur d’Élite. Donc, le coup n’a pas réussi car même Labé Sékou Touré n’a pas accepté de durer avant de demander la route parce qu’il était avec une mission américaine. Donc, ils sont revenus et se sont directement embarqués.
Guinéenews : donc le président Sékou l’avait démasqué ?
Tely Oury : oui Sékou Touré a compris qu’il lui préparait un coup. Donc, quelques mois après il le mute à Labé comme inspecteur régional de l’éducation. Emile dit qu’il ne reste pas à Labé. Face à ce refus, on l’a amené à Kindia où il a voulu faire la même chose mais ça n’a pas duré et il a été pris par la déposition d’Alhassane Diop, à sa 4eme déposition dans laquelle il a parlé d’Emile Cissé ; de là-bas on l’a arrêté et on l’a envoyé au camp Boiro.
Guinéenews : on a appris qu’il y avait aussi des cachots ici et qu’Emile Cissé était un tortionnaire de Sekou !
Tely Oury : Emile Cissé n’a enfermé ici que ses propres élèves. Ceux qui déroutent ou bien ceux qui se rendent impolis. Ce sont ceux-là qu’il a enfermés ici.
Guinéenews : pour bon nombre de personnes, c’est Emile Cissé qui avait aussi bitumé la route Labé – Popodara pour la toute première fois !
Tely Oury : Il avait bien réfectionné la route que nous avions empruntée pour venir ici mais ce n’est pas lui qui avait mis le goudron, c’est un autre Emile Condé, un ingénieur qui était en ce moment Gouverneur de Labé.
Guinéenews : si je comprends bien la cité de Khalidou a existé bien avant Emile Cissé ?
Tely Oury : je vous dis que la première école normale de la Guinée fût ici à Popodara. Dans cette école, il y avait les Thialla Gobaye, les Cheikh Oumar, … qui étaient les élèves de l’école normale. Mais nous étions de tout-petits enfants.
Guinéenews : donc après Emile Cissé, la cité de Khalidou a été abandonnée ?
Tely Oury : non non ! ils ont envoyé un autre instituteur qui a dirigé l’école pour un bon moment avant de partir.
Guinéenews : comment se fait-il alors que la cité a aujourd’hui cette image, tout est à l’abandon ?
Tely Oury : au temps d’Emile Cissé si vous veniez ici, vous alliez dire que c’est ici la ville parce que tout était éclairé. Il y avait des poteaux, il y avait de l’électricité ; il y avait tout. Partout où vous passiez ici, il y avait de la lumière. Mais quand il a quitté, c’est un certain Maxim qui l’a remplacé. Lui, il a enseigné un peu et finalement il n’y a pas eu de suite favorable.
Guinéenews : finalement doyen que retenez-vous d’Emile Cissé ?
Tely Oury : Je ne peux rien dire sur Emile Cissé parce que s’il était venu seulement pour l’éducation, pour enseigner, pour former des élèves pour le futur, j’allais l’apprécier. Mais à partir du moment où il était venu pour préparer un coup contre le chef de l’Etat d’alors, je ne peux le traiter que d’un traître. Pour l’éducation, il a été positif à Popodara parce que comme je vous l’ai dit il ne recrutait que les meilleurs élèves.
Des propos recueillis par Alaidhy Sow de retour de Popodara pour Guinéenews.org