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La souveraineté africaine à l’épreuve de la privatisation de sa défense (par Youssouf Sylla, analyste)

Acculés par différentes menaces sur l’intégrité de leurs territoires respectifs, certains pays africains parmi lesquels on peut citer la Centrafrique et le Mali en ont eu recours aux paramilitaires russes du groupe Wagner dans le but de reprendre le contrôle de leur territoire. L’appel de Wagner à la rescousse dans ces pays intervient après la mise en cause des accords de défense qui les liaient à la France depuis les années 60, ou après l’échec des forces armées françaises de les protéger efficacement contre les attaques djihadistes, notamment dans le Sahel. Si le recours de certains États africains au groupe Wagner est intervenu dans le double contexte de retour en force de la Russie dans le continent noir depuis la grande retrouvaille russo-africaine qui a eu lieu à Sotchi (Russie) en octobre 2019, et le rejet du paternalisme infantilisant de l’ancienne puissance coloniale (la France), il ne faudrait cependant pas perdre de vue que le fait pour un État souverain de déléguer par un contrat, la défense de son territoire à une société militaire privée, de surcroit étrangère, est une question complexe et de très haute sensibilité qui mérite quelques constats et interrogations.

Constats

Il faut tout d’abord observer que les parties (État souverain et société militaire privée) à ce contrat ne visent pas les mêmes objectifs. Si l’État vise un objectif politico-militaire dans le contrat, une société militaire privée vise quant à elle, un objectif marchand. Pour elle, il s’agit donc de faire du business en matière de défense pour accroitre son chiffre d’affaires. En plus de cette différence, force est également de constater qu’une société militaire privée, quelle que soit sa taille ou son importance, n’est pas soumise au droit international. Elle n’est pas, comme un État ou une organisation internationale interétatique, un sujet de droit international. Il est par conséquent impossible pour l’État contractant de mettre en cause la responsabilité d’une société militaire privée sur le terrain du droit international public, comme il l’aurait fait si le partenaire en face était un État comme lui. En effet, face à une société militaire privée, le règlement d’un contentieux ou d’un désaccord persistant, comme on vient de le voir avec la rébellion du groupe Wagner contre l’État Russe, son employeur, peut tourner au vinaigre, et se terminer par les armes. Pour ce qui est des États africains, la revendication justifiée ou injustifiée par une société militaire privée d’un droit pourrait se terminer par une prise en otage de l’État lui-même. D’où l’ultime nécessité pour les États africains, économiquement exsangues et militairement fragiles, de réfléchir dix fois avant de conclure un contrat avec les sociétés militaires privées surarmées, et collaborant avec des agents sur formés.

Interrogations

Les domaines couverts par un accord de défense entre un Etat africain souverain et une société militaire privée, ainsi que les modalités de rémunération de cette société (espèces sonnantes et trébuchantes, richesses naturelles ou autres), sont autant de questions qui doivent interpeller les dirigeants africains qui confient la défense de leur territoire aux acteurs militaires privés. Mais étant frappés du sceau du secret, il est difficile pour le grand public africain d’avoir accès aux informations contenues dans ce type de contrat, qui engagent pourtant la vie d’une nation. Dans une société démocratique, telle qu’ambitionnée en Afrique, il est important pour les populations de connaître, et de donner par l’intermédiaire de leurs élus, leurs avis, les principaux segments des accords de défense conclus avec les sociétés militaires privées. Seraient-ils des accords qui se mêlent des affaires intérieures d’un État africain, qui autrement viseraient à sauver un pouvoir en proie à des difficultés internes, des accords qui protègent l’intégrité territoriale d’un État contre une agression extérieure, ou enfin des accords qui assurent la formation des éléments nationaux en charge de la défense nationale ? Si l’Accord de défense entre un État africain et une société militaire privée vise à autoriser celle-ci à se mêler des affaires internes de l’État pour venir par exemple en aide à un régime qui souhaite illégalement se maintenir par la force au pouvoir, on serait tenté de s’interroger sur les raisons qui avaient objectivement justifié dans certains pays africains, le tollé qu’il y a eu contre certains accords de défense avec la France. Des accords qui contenaient les mêmes clauses. On pense notamment à l’Avenant du 26 août 1992 relatif l’Accord particulier d’assistance militaire du 18 juillet 1975 entre le Rwanda et la France, qui donnait aux forces armées françaises, le droit de rétablir l’ordre public au Rwanda. Chacun sait que c’était pour protéger le régime hutu contre les tutsis.

Nouvelles approches en matière d’accords de défense

Au regard des dangers qu’un accord de défense entre un Etat africain fragile et une société militaire privée tentaculaire fait courir à la souveraineté du premier en cas de désaccords persistants entre les deux, il peut être recommandé aux États africains de recourir en matière d’accords de défense, aux seuls acteurs étatiques, strictement liés par les règles de droit international. Au nom de sa souveraineté, chaque État africain est libre d’envisager sa coopération en matière de défense avec un État de son choix, pourvu que cette coopération soit compatible avec son indépendance et le renforcement de ses capacités défensives. Cette approche de diversification de partenariat en matière de défense au service du renforcement des capacités de la défense collective africaine, sous l’égide de l’Union Africaine et des organisations sous-régionales comme la CEDEAO, est justement celle qui doit être promue aujourd’hui par les dirigeants africains, pour aller vers une véritable autonomie stratégique du continent. Toutefois, cette piste ne peut être utilement explorée qu’à travers une approche stratégique des enjeux de la défense nationale et régionale dans le continent, et non à travers les réactions émotionnelles conduisant un État africain à sauter des griffes d’un autre État prédateur vers les griffes d’une société militaire privée imprévisible et non régie par le droit international.

En définitive, pour un État africain responsable, la question n’est pas tant de savoir avec qui coopérer en matière de défense, mais de savoir comment coopérer sans prendre le risque de compromettre irrémédiablement sa souveraineté et sa liberté d’action dans le monde, comme par le passé.

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