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La pratique médicale en Guinée, entre archaïsme et nécessité de refondation du système de santé

Auteur : Youssouf Sylla, juriste/analyste

Les circonstances du décès de M’mah Sylla étaient si dramatiques (viol, avortement illégal et traitement inhumain et dégradant infligés par des médecins) qu’elles nous ouvrent brutalement les yeux sur une certaine pratique abominable de l’art médical dans notre pays. Si le cas de cette patiente retient l’attention d’un grand nombre à raison de sa forte médiatisation, n’ignorons pas cependant que de nombreux patients meurent dans nos hôpitaux publics et privés ou en sortent profondément affectés par suite de mauvais soins, de négligences et d’incompétences. Ceci, dans la plus grande indifférence des pouvoirs publics et dans l’impuissance complète des proches des victimes. L’irresponsabilité médicale est totale en Guinée. Or, sans cette responsabilité, point de salut pour les malades. L’irresponsabilité est à l’impunité ce que le levain est à la patte, elle l’a fait gonfler tout en renforçant sa consistance.

Les victimes de nos hôpitaux sont si nombreuses que si leurs ayants droit devaient porter plainte devant les tribunaux, nous assisterons littéralement à leur engorgement par d’interminables procédures. Aux Etats unis, face au nombre de victimes des hôpitaux, on aurait certainement assisté à la mise en place par les victimes d’une procédure judiciaire appelée «class actions », autrement des actions en groupe qui consistent à obtenir une réparation adéquate et exemplaire devant un juge. De telles procédures, si elles existaient en Guinée, auraient pour effet de pousser le corps médical vers plus de responsabilités compte tenu des couts financiers de la sanction.
Toutefois, derrière les pratiques criminelles de certains médecins (refus de porter une assistance médicale à des personnes démunies en danger de mort, viol des patientes et administration de soins fantaisistes) en Guinée, se cachent de nombreuses autres problématiques de fond. Le cas M’mah Sylla est comme l’arbre qui cache une immense forêt entretenue par des décennies de politiques et de pratiques irresponsables, ayant largement contribué à la dégradation de notre système de santé. Les premiers à manquer totalement confiance dans ce système sont les hauts dignitaires de l’État, ceux-là mêmes qui sont censés le qualifier. Ils préfèrent même pour une sinusite aigüe se faire soigner à l’étranger, plutôt qu’en Guinée. Comment espérer dans ce cas qu’un simple citoyen puisse faire confiance dans le système ?

Problèmes de fond de notre système de santé

Ils sont si nombreux qu’à elle seule, cette contribution ne prétend pas en dresser la liste exhaustive. Cependant, il est possible d’évoquer quelques-uns, les plus frappants sous forme de questionnement. Il y a la question de l’obligation de l’inscription préalable de chaque médecin pratiquant au tableau de l’ordre des médecins. La pratique médicale étant réglementée en Guinée comme ailleurs, les actes médicaux ne peuvent être posés que par ceux qui y sont habilités, sinon on est face à l’exercice illégal de la médecine, ce qui est une infraction pénale. L’ordre des médecins a-t-il les moyens d’exercer son pouvoir de contrôle sur l’étendue du territoire national dans le but de s’assurer, dans l’intérêt ultime des patients, que tous les médecins pratiquants sont inscrits au tableau ? Existe-il une liste de médecins facilement consultable avec des numéros de référence pour permettre à un patient, en cas de doute, de savoir si le médecin qui le traite est autorisé à le faire ? Qu’en est-il de l’obligation de formation continue des pratiquants autorisés et quelles sont les mesures prises à l’encontre de ceux qui ne se soumettent pas à cette obligation ?

Les cliniques médicales privées ne peuvent être ouvertes en Guinée, qu’après avoir obtenues des autorisations délivrées par les autorités sanitaires, en occurrence le ministère en charge de la santé publique. Au regard de la prolifération dans le pays de telles cliniques, est-on sûr que toutes ces cliniques ont des autorisations ? Pour celles qui en disposent, peut ont dire qu’elles répondent toujours aux conditions posées par la loi ? en ce qui concerne les facultés de médecine dans les universités privées, elles ne peuvent aussi être ouvertes qu’après autorisation de l’ordre des médecins. Dans un passé récent, une forte dispute a éclaté entre l’université Kofi Annan, qui voulait mettre en place une telle faculté, et l’ordre des médecins qui estimait qu’elle n’en remplissait pas les conditions. Peut-on dire que les universités qui abritent de telles facultés disposent d’une autorisation en bonne et due forme de l’ordre des médecins ? De plus, on constate aussi que nombre de médecins exerçant dans le secteur public servent aussi dans le secteur privé. Étant donné que les médecins du secteur public sont des fonctionnaires, la question se pose de savoir si les règlements de la fonction publique permettent une telle pratique, lorsqu’on sait qu’il est interdit à un fonctionnaire de l’État, sauf dans de très rares cas, d’exercer une autre activité professionnelle. Sur toutes ces questions, l’ordre des médecins a des responsabilités légales. Le code de déontologie médicale de 1996 dans son article 1er le charge de veiller au respect des dispositions du code et prévoit aussi que sa violation relève de la juridiction disciplinaire de l’ordre. Dès lors, on est en droit de s’interroger sur les actions initialement entreprises par l’ordre des médecins pour éviter la répétition des pratiques criminelles en matière médicale ?

Politique d’autruche de l’ordre des médecins
Au lieu que le cas M’mah Sylla lui serve de motif d’introspection, de méditation et de rectification de certaines pratiques constamment reprochées aux médecins, l’ordre des médecins semble se lancer, en choisissant de se constituer partie civile dans le procès de cette dame contre ses médecins traitants, dans une stratégie d’autodéfense corporatiste. Il essaie de se déresponsabiliser, ce qui est de bonne guerre, en se positionnant comme une victime dans cet épineux dossier. Peut-être qu’il réussira son pari. Mais devant le tribunal de la conscience, c’est le corps médical qui est en cause. Que fait concrètement l’ordre des médecins pour protéger les patients qui se rendent dans les hôpitaux pour se soigner ? Devant ce tribunal de la conscience, le corps médical risque d’aggraver son cas en choisissant la politique d’autruche. Il risque de renforcer le mur de défiance entre les médecins et leurs patients. Il aurait été plus décent de voir la famille de M’mah Sylla et les associations de défense des droits des malades se constituer partie civile, que de voir l’ordre des médecins le faire pour deux raisons toutes simples : c’est le tour des victimes des hôpitaux de parler aujourd’hui non celui des médecins, ceux-ci doivent plutôt écouter et tirer les leçons. Ensuite, le public a besoin de savoir ce qui n’a pas marché dans le fonctionnement de cet ordre et de toutes les autres structures étatiques, à commencer par le ministère en charge de la santé publique ?

Quid de l’État
Les gouvernements précédents ont nettement failli en matière d’offre de soins de santé de qualité pour tous en Guinée. Les résultats parlent d’eux-mêmes. Les nouvelles autorités de la transition ont ainsi un gigantesque défi à relever. Elles doivent renouveler l’action publique en matière de santé publique, plus exactement poser les bases solides d’une refondation de notre système de santé afin de doter la Guinée d’un système de santé robuste, adapté et compétitif qui fera la fierté de ses habitants. Elles tiennent cette obligation dans les dispositions pertinentes du code de la santé publique. Au titre de l’article 5 de ce code, l’État doit toujours s’assurer de la primauté du secteur public sur le secteur privé qui en est un complément et s’engager résolument dans la mobilisation des ressources humaines, matérielles, financières, budgétaires et extrabudgétaires en vue d’appuyer les programmes en matière de santé publique. C’est seulement à ce prix que la responsabilité des médecins, surtout ceux du secteur public, prendra tout son sens. Sinon que peut-on attendre logiquement de centres hospitaliers publics sans moyens de travail et sans un personnel hautement qualifié ? La santé de la population est trop importante pour être l’affaire des seuls médecins traitants. Compte tenu de ses implications, notamment sur le plan socioéconomique, la santé de la population doit engager en tout premier lieu l’État. C’est à celui-ci de définir une politique globale et d’orienter les différents acteurs du système vers l’atteinte des résultats, à travers une démarche éminemment concertée.

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