Par Youssouf Sylla, analyste à Conakry.
La France d’Emmanuel Macron se veut clairement différente de celle de ses prédécesseurs dans ses relations avec l’Afrique francophone en particulier. Elle entend rompre avec une certaine forme de proximité, dans ses relations avec certains dirigeants du continent. Une proximité faite de codes, d’usages, de deals et autres pratiques peu recommandables entre partenaires souverains qui se respectent et qui entendent donner une base saine et transparente à leurs relations.
L’ambition affichée par Macron est claire, elle frise même l’indifférence dans certains cas. Mais le temps et un peu de prudence restent les juges suprêmes pour tirer les bonnes conclusions, tant certains de ses prédécesseurs avaient tenu la même promesse, sans jamais la réaliser.
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Quels ont été alors les points forts des politiques africaines des prédécesseurs de Macron, et comment ces politiques ont-elles influé sur l’évolution démocratique des États francophones du continent, avec lesquels la France entretient des relations privilégiées ?
Bref survol des politiques antérieures
Tout commence avec le général De Gaulle, premier président, de 1959 à 1969, de la cinquième République en France. C’est sous son autorité que commence l’accession à l’indépendance des anciennes colonies françaises en Afrique, des colonies qui au cours de la deuxième guerre mondiale, avaient largement contribué à l’effort de guerre aux cotés des français.
Pour la France, les fondements de la nouvelle coopération avec les nouveaux Etats indépendants d’Afrique se trouvent dans une loi constitutionnelle du 4 juin 1960. Cette loi ouvre ainsi une nouvelle ère, celle de la coopération dans tous les domaines (militaire, économique, politique, culturelle, etc.) entre la France et les Etats africains.
La décolonisation n’a pas mis fin pour autant aux interventions directes de la France dans les affaires intérieures des jeunes Etats africains. Sans nul doute que pour De Gaulle, la France devait avoir le contrôle sur le destin politique de ses anciennes possessions même devenues indépendantes.
Cette doctrine trouve son éclatante démonstration dans l’opération de réinstallation du président gabonais Léon M’BA au pouvoir, après sa brève mise à l’écart par ses opposants. « Le coup de Libreville est né de la volonté de M. M’BA de museler toute opposition et d’instaurer un parti unique » écrit le Journal Par L’EXPRESS dans son édition du 27 février 1964. Le sauvetage de M. M’BA par l’armée française est justifié par un accord de défense signé entre les deux pays et demeuré « Top secret ». Le gabonais n’est pas une exception, car d’autres accords de défense de même nature lient encore la France à certains Etats africains. L’acte posé par De Gaulle au Gabon donne ainsi aux présidents africains liés à la France par les accords de défense, qu’ils peuvent compter sur l’aide française en cas de menace de toutes sortes.
La volonté du général De Gaulle d’avoir une main mise sur l’évolution de la situation politique au sein des Etats francophones d’Afrique, devenus indépendants, se justifie en grande partie par sa de renforcer la position de la France dans une Afrique qui dispose d’importantes matières premières. Des raisons géostratégiques et économiques justifient ainsi la mise en place d’un système de contrôle des politiques en Afrique. Un homme s’en charge, il s’agit de Jacques Foccart, patron de la Cellule africaine de l’Elysée et mystérieux personnage. « Les yeux et les oreilles de De Gaulle en Afrique » dit le Journal Jeune Afrique dans son édition du 15 septembre 2017. Pendant neuf ans, de 1960 à 1969, poursuit le journal, « Foccart a été reçu par de Gaulle tous les soirs, pendant une vingtaine de minutes. Au menu, les dossiers les plus sensibles, notamment les affaires africaines ».
La doctrine du général De Gaulle a largement influencée les politiques africaines de ses successeurs à la tête de l’Etat français, surtout ceux qui se réclamaient d’une manière ou d’une autre de lui, en matière de politique étrangère. Ceux-ci ont donc poursuivi les interventions directes dans les politiques intérieures africaines, dans le but constant, de créer des situations politiques en leur faveur. Cette pratique qui dans les faits ressemble à un refus d’indépendance des anciennes colonies, a les Etats francophones d’Afrique sous influence française de développer sur le plan interne, des dynamiques politiques propres à eux.
Dans la continuité de la vision gaullienne, on peut citer Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac et Nicola Sarkozy.
Georges Pompidou. Très proche collaborateur du général De Gaulle depuis plus d’une vingtaine d’années, devient ensuite son premier ministre, avant d’être élu à son tour, président de la République, de 1969 à 1974. Fidèle parmi les fidèles, il le restera également dans le domaine de la continuité de la politique africaine du général De Gaulle malgré quelques tentatives d’ouverture sur l’Afrique non francophone.
Dans son ouvrage « De Gaulle, Pompidou et l’Afrique (1958-1974) » paru en 2010 aux éditions les Indes Savantes, à Paris, l’auteur, Turpin Frédéric, décortique la politique africaine de G. Pompidou autour de trois axes : l’aide au développement, la protection militaire et l’allégeance diplomatique. Les deuxième et troisième axes qui intéressent notre réflexion, visent d’une part, à multiplier et renforcer la coopération militaire avec le continent, et d’autre part, à se servir de la masse d’Etats africains pour amplifier la voix de la France dans le monde.
Valéry Giscard d’Estaing. Il vient après G. Pompidou, et est président de 1974 à 1981. Il entretient à son tour des relations d’une trop grande proximité avec certains chefs d’Etat africains, parmi lesquels on peut citer Oumar Bongo, président du Gabon et Jean Bedel Bokassa, président de Centrafrique. Les liens sont si forts que Bongo a pu se permettre en 1975 et en 1979 de choisir l’ambassadeur de France dans son pays, dit Daniel Bach dans « Politique africaine de Valéry Giscard d’Estaing : contraintes historiques et nouveaux espaces économiques ». Avec Bokassa, Giscard ira trop loin. Le Journal satirique français, le Canard enchaîné, révèle qu’en 1973, alors qu’il était ministre des finances, Giscard et ses deux cousins germains avait reçu des mains de son ami Bokassa, une plaquette de diamants, des cadeaux empoisonnés, donc compromettants pour un officiel de son rang. Daniel Bach rappelle par ailleurs quelques dates clefs, correspondant à l’intervention de l’armée française sous Giscard en Afrique. En 1977 et 1978, elle intervient à la fois au Zaïre et en Mauritanie, en 1978 au Tchad, et en 1979, en Centrafrique pour renverser l’ancien ami de Giscard, Jean Bedel Bokassa, sacré empereur un an auparavant, avec la bénédiction du même Giscard.
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