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La mort d’une grande dame. Que retiendra t-on de Hadja Bobo et de sa déposition à Boiro ?

Une grande figure féminine de la Guinée, s’est éteinte, le mercredi, 23 avril dernier.

Née en 1930 à Diari, Labé, Hadja Djenabou Bobo Diallo, va rejoindre, ce vendredi, 26 Avril, sa dernière demeure, à Labé.

Hadja Bobo, comme connue pour les intimes , n’a pas joué un rôle politique ou administratif de premier plan, mais a laissé son empreinte historique dans la vie du pays, après l’indépendance.

Sa vie a été intimement liée, à celle de son frère, Saifoulaye Diallo, politicien guinéen bien connu, avant et après l’indépendance, et président de l’assemblée territoriale, au moment de l’arrivée du général De Gaulle, en septembre, 1958.

Dans sa famille, le père Alpha Bacar était un grand chef de canton, collaborant avec l’administration coloniale. Le frère Saifoulaye, était lui compagnon fidèle de Ahmed Sékou Touré dans le PDG, un parti qui s’était justement fixé pour mission, d’abolir la chefferie.

Dans la Guinée de la fin des années 50, il y avait d’autres acteurs politiques, et non des moindres, comme Barry Diawadou, Yacine Diallo (mort en 1954), Fodé Mamoudou Touré, l’Union des Métis, l’Amicale Gilbert Vieillard, etc..

Le vieux Alpha Bacar n’était pas un grand fan du PDG.,tout comme la plupart des formations politiques de cette époque. C’est impuissant qu’il a assisté à la percée du PDG, dans le paysage politique guinéen.

Sa fille comme la plupart des femmes de son époque, n’avait pas droit à  l’éducation, à “l’école française“, seulement à l’école coranique. Elle ne pouvait que se marier et fonder une famille.

Sentant sa mort venir, le chef de canton de Diari, convoqua Sékou et Saifoulaye, pour leur prodiguer ses derniers conseils.

Les deux hommes firent le voyage de 450 kilomètres, pour se faire dire par le vieux patriarche qu’il voyait, le destin de son fils et celui de Sékou, lié, jusqu’à ce que mort s’en suive , et qu’il bénissait leur amitié.

Dès après leur départ de Diari, le vieux Alpha rendit l’âme. C’était le 22 Septembre, 1958, six jours avant l’indépendance.

Le reste est connu: entre 1958 et 1961, les deux hommes se partagent le pouvoir, selon la constitution d’alors.

En 1961, après le congrès de Foulaya, Ahmed Sékou Touré devient maître absolu de la Guinée et le poids de Saifoulaye est réduit . Sans compter que sa santé se détériorait  en même temps.

Un complot dit des enseignants est dévoilé la même année.Les purges commencent ainsi au rythme, d’un complot, aux deux ans. Tous les bons cadres civils, militaires,les hommes d’affaires, sont arrêtés. Ceux qui ne le sont pas , prennent le chemin de l’exil.

Saifoulaye à la vie sauve, mais sa soeur cadette n’allait pas épargnée.

En 1976, Telly Diallo, premier secrétaire général de l’OUA, est arrêté et accusé de diriger un complot Peul, financé de l’extérieur, par Henry Kissinger, le secrétaire d”État américain d’alors.

Hadja Diallo Bobo est arrêtée dans cette vague.

Au camp Boiro où elle est détenue, le principe est qu’il faut lire une déposition écrite par les bourreaux, accuser d’autres cadres et reconnaître les faits.

Commerçante dénonçant l’abolition du commerce privé et connue pour son franc-parler, elle constituait une grosse prise pour le régime, a défaut de son frère.

Après quelques jours de détention, arrive son tour pour lire et enregistrer les aveux, présentés par la Révolution.

Les bourreaux utilisaient des méthodes importées de l”URSS et de la Tchécoslovaquie, pour arracher les aveux d’innocents individus, dans des opérations dites contre-révolutionnaires, au moyen de torture à l’électricité, ou la privation de nourriture ou d’eau.

Une fois dans la salle, Hadja Bobo demande à dire toute la vérité sur les raisons pour lesquelles, elle détestait le PDG et son système.

Les bourreaux l’écoutent, l’enregistrement et elle dit exactement ce qu’ils voulaient entendre.

Contrairement aux aveux extorqués sous la torture, on n’oublie de la photographier avec l’ardoise ayant son nom.

Dans sa déposition, elle fait un vrai réquisitoire sur la gestion du pays, en disant, à propos de l’expropriation des éleveurs de leurs bœufs que: “les vaches sont egorgées au Foutah et on ne réserve que les os et la peau aux paysans. La viande qui est envoyée à Conakry est destinée aux dirigeants “.

Ousmane Ardo Bâ, un de ses codétenus, dans “‘l’abominable agonie””, parue dans les éditions Harmattan , Paris 1986, avait résumé cette déposition en ces termes:

‘“’Un véritable réquisitoire dans lequel elle avait dénoncé tous les maux dont souffrait le peuple martyr de Guinée. Elle avait parlé de la crise économique que traversait le pays, du manque de denrées alimentaires, du manque de tissu, du manque de médicaments, des inégalités sociales, seuls certains responsables politiques ayant droit au ravitaillement en sucre et en viande”’’.

Le comité révolutionnaire avait mal fait de la laisser s’exprimer librement. Sa déposition fait des echos et n’est diffusée à la radio, qu’une seule fois, au lieu de sept fois, comme avec les autres détenus.

Ce qu’elle dénonçait n’était que le vécu quotidien du peuple, à commencer par les pénuries de toutes sortes comme le sucre, le riz,et les autres denrées, en passant par les barrages érigés et le manque de liberté de circulation et de parole.

S’exprimant sur ce sujet dans un hommage rendu, à la vaillante femme, à l’annonce de sa mort, Bashir Bah, du site Mémorial Camp Boiro, écrit d’elle: ““Elle dit sans détours ce que nul n’osait murmurer à l’époque “‘.

L’enregistrement audio qui avait plu aux interrogateurs du Boiro n’était pas du goût de Sékou Touré, qui y voyait des vérités crues, pouvant faire prendre au peuple une certaine prise de conscience.

Avait-il écouté l’enregistrement ou coordonné, avec le comité révolutionnaire chargé de l’interrogation de la soeur de son compagnon? On ne le saura peut-être jamais.

Il faut signaler qu’à cette époque, il y avait, de nombreux autres détenus à torturer, à enregistrer sur des cassettes, et à faire passer à la Voix de la Révolution.Tout un travail.

Toujours est-il que pour Hadja Bobo, la réaction du Responsable Suprême de la Révolution fut hystérique.

Sékou Touré ne répondait pas toujours au cas par cas, mais pour Hadja Bobo, il avait tenu à répondre, point par point, allant de la chefferie aux prélèvements des impôts en nature et à l’expropriation des éleveurs de leurs bœufs.

L’intervention du président Sékou Touré n’avait fait qu’aggraver le problème car,

un an  et un mois après sa déposition de juillet 1976, les femmes se révoltèrent contre la police économique et son régime, le 27 Août, 1977.C’était la seule fois que Sékou Touré avait réellement été ébranlé.

A sa sortie de prison, la brave femme vit sous la peur d’une nouvelle arrestation, et sous surveillance, jusqu’au changement de régime, en 1984.

Son frère Saifoulaye,meurt, le 25 septembre, 1981, tandis que Ahmed Sekou Touré lui, rendit l’âme, le 26 mars, 1984. Les prédictions du vieux Alpha Bacar sur le sort commun de ces deux compagnons, n’étaient pas totalement sans fondement. Avait-il vu juste? La réponse semble oui, mais ça s’est une autre question.

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