La Guinée est non seulement un scandale géologique mais aussi et surtout un scandale touristique. Elle est la synthèse des potentialités touristiques du monde. Elle est dotée de mer, de fleuves, des vallées, des montagnes, des chutes d’eaux, des lieux hautement historiques qui aujourd’hui se meurent, une faune et une flore exceptionnelle, une culture riche et très variée. Des espèces animales et végétales d’une rare richesse. Malheureusement, ce secteur aussi est laissé pour compte.
Cependant, des pays moins dotés que le nôtre vivent essentiellement de ce secteur. Sous d’autres cieux, ces merveilles auraient été des points d’attraction touristique énormes avec des retombées économiques toutes aussi importantes. Mais hélas ! Les sites touristiques à l’intérieur du pays ne sont pas aménagés. Ils sont enclavés et laissés pour compte.
Ceci étant, l’on est en droit de se poser un certain nombre de questions à savoir : pourquoi la Guinée peine à mettre en valeur ces richesses, ces cadeaux que dame nature a bien voulu lui offrir ? Pourquoi ce secteur n’est-il pas une préoccupation ? Comment fonctionnent les directions régionales ? Pourquoi ce secteur n’a-t-il pas de représentation dans les autres préfectures de la région administrative de Labé ?
Pour tenter de trouver des pistes de réponse à ses préoccupations soulevées, la rédaction locale de Guinéenews à Lélouma, a joint Fodé Ismaël Camara le directeur régional de l’hôtellerie, du tourisme et de l’artisanat de Labé.
C’est plutôt un directeur régional en perte de repères et qui se demande à quel saint se vouer pour pouvoir promouvoir et valoriser ce secteur, que nous avons eu au bout du fil. Lisez !
Guinéenews : en tant que directeur régional de l’hôtellerie, du tourisme et de l’artisanat de Labé, dites-nous comment se porte aujourd’hui ce secteur au niveau de la région ?
Fodé Ismaël Camara : tout d’abord, sachez que Labé regorge d’énormes potentialités touristiques. Quand je dis Labé, c’est le Fouta. On dit que le Fouta est le château d’eau de l’Afrique Occidentale. Donc nous disposons des chutes d’eaux, des montagnes, des vallées, des sites historiques qui sont là et qui sont inexploités. Sur le plan de l’hôtellerie, du tourisme ça ne va pas encore. Et comme les opérateurs économiques de la région ne s’intéressent pas au secteur de l’hôtellerie, il fallait dont les intéresser au tourisme. Les sites touristiques sont un don de Dieu. C’est la nature. En principe, c’est l’État qui doit faire la promotion de ce secteur pour attirer les investisseurs. Afin que ces derniers puissent vraiment s’y intéresser et y investir. Mais voilà depuis que je suis à Labé, il y a environ trois ans, nous n’avons aucun crédit de fonctionnement. Et pour faire le développement du tourisme, il faut les viabiliser. Et pour ce faire, il faut se déplacer. Donc tout cela nécessité des moyens. Je sais que ce n’est pas à l’État d’aménager ces sites touristiques mais c’est à l’État de faire la promotion. (…). Et quand je dis l’État, c’est mon ministère de tutelle. Mais depuis que je suis là, je n’ai jamais vu un cadre du tourisme qui vient pour dire que » je suis venu voir les sites touristiques. Cependant, le secteur se meurt, les sites se meurent alors que les potentialités sont énormes.
Guinéenews : voulez-vous dire que l’État ne s’intéresse pas du tout au secteur du tourisme à l’intérieur du pays ?
Fodé Ismaël Camara: ce que je veux dire par là c’est que si par exemple vous prenez les échelles de Djinkan dans Lélouma, c’est un site très prisé qui attire des touristes. Tout d’abord l’accès est très difficile. Ensuite le lieu n’est pas aménagé. Mais pour que le lieu soit aménagé, il faut l’implication de l’État. C’est l’État qui doit vendre l’image de ce site pour intéresser les investisseurs. Et pour cela, il faut mettre les moyens à notre disposition pour qu’on puisse faire visiter ces lieux. Mais nous n’avons aucun moyen. Pas de moyens de déplacement. Moi je suis directeur régional, je dois couvrir cinq préfectures et je n’ai même pas un petit vélo. Comment dans ce cas je peux dire que l’État s’intéresse au secteur ? (…). Lorsque le président burkinabè est venu tout récemment à Conakry, j’étais très content que le président de la République ai pris son homologue pour le faire visiter les cascades de Soumba. Un site vraiment merveilleux. Il y en a plein de ces sites au Fouta et qu’on doit faire voir. C’est-à-dire vendre la destination » Guinée « . Et s’il n y’a pas de moyens, on est à Labé… On s’assoit, on croise les bras. Et ce n’est pas du tout ce qu’on nous a demandé. Et laissez-moi vous dire quand on parle du tourisme, c’est à l’intérieur du pays et non à Conakry. Mais si l’intérieur est oublié, c’est dire que tout est voué à l’échec. Nous représentons l’État à l’intérieur du pays. Et pour se déplacer aller voir la Dame de Mali, il faut se confondre à la population, emprunter un taxi et dire que je suis le directeur régional de ce secteur, c’est tout simplement déplorable. Quand vous parcourez la région de Labé, même sur le plan écotourisme, voir le paysage seulement, c’est rentable. Les sites existent mais non-aménagés et ne bénéficient d’aucune promotion.
Guinéenews : Et l’office national de la promotion du tourisme et de l’artisanat dans tout ça ?
Fodé Ismaël Camara: c’est une direction en principe qui doit faire la promotion des sites touristiques. Mais depuis que je suis à Labé, je n’ai pas encore reçu un membre de cette direction. Et pourtant la Guinée est la synthèse des potentialités touristiques. Nous avons tout. Pourquoi on ne veut pas montrer ça et attirer du monde ? Tout récemment j’ai reçu un touriste franco-sénégalais et lorsqu’on s’est rendu au niveau des chutes d’eau de Saala à Diari, il était ébahi. Et il m’a demandé : » mais qu’est-ce que la Guinée attend ? ». Ça fait mal que nos sites soient enclavés. On n’a pas les moyens pour les faire découvrir. Alors que de l’argent est mis pour ces causes.
Guinéenews : selon vous le budget destiné aux bureaux régionaux du tourisme est utilisé à d’autres ?
Fodé Ismaël Camara : je ne saurais répondre à cette question… Je me pose aussi la question à savoir où va ce fonds. Même les films que je réalise, c’est sur fonds propres. J’ai réalisé un film de dix minutes sur le Fouta. C’est passer à la télévision il y a quelques mois. Je sais combien cela m’a coûté. Je ne peux pas continuer à sacrifier mon salaire pendant que j’ai une famille à nourrir. Alors qu’une direction régionale a droit à un budget.
Guinéenews : donc vous n’avez aucun budget, aucun crédit de fonctionnement?
Fodé Ismaël Camara : pas du tout. Je le dis haut et fort et défie quiconque de me démontrer le contraire. Je n’ai pas de budget. Pas moi seul, tous les directeurs régionaux.
Guinéenews : le Fouta regorge énormément de sites touristiques. Aujourd’hui, quels sont ceux qui sont répertoriés et quels sont les plus visités ?
Fodé Ismaël Camara: je commencerai tout d’abord par la Dame de Mali. C’est l’un des plus importants. Les gens quittent le Mali, le Sénégal, la Guinée-Bissau même parfois sur motos pour venir contempler cette merveille du monde. Quand vous venez à Labé, nous avons la chute de Saala. Ce sont des chutes d’eau merveilleuses. A Lélouma, vous avez les échelles de Djinkan. Un lieu vraiment fantastique. A Tougué, vous avez la grotte de Tangali et les soldats termitières, des lieux hautement historiques. Je ne fais que donner juste quelques-uns de ces sites. Il y en a énormément dans la région.
Guinéenews : quels sont les moyens que vous disposez vraiment pour valoriser et faire la promotion de ce secteur au niveau de la région administrative de Labé ?
Fodé Ismaël Camara: je n’ai aucun moyen logistique. Aucun moyen, je vous le dis.
Guinéenews : selon vous, pourquoi ce secteur serait donc laissé pour compte. Notamment à l’intérieur du pays ?
Fodé Ismaël Camara: je vous renvoie au département de tutelle pour votre réponse. Il y a des ministres à la tête des différents secteurs. Et ces derniers font des comptes-rendus. Le ministère du Tourisme, de l’Hôtellerie, ce n’est pas seulement aller dans les hôtels pour dire qu’on a fait ceci ou cela… Il faut aller à l’intérieur du pays pour faire découvrir ces sites. Vendre cette image pour faire intéresser notre pays aux visiteurs.
Guinéenews : quels sont les avantages la région peut-elle tirer de ces sites s’ils sont valorisés ?
Fodé Ismaël Camara : c’est une retombée économique pour le pays. Cela permet non seulement de viabiliser ces sites mais aussi permet d’attirer du monde. Le Fouta allait être une attraction touristique. Mais je n’ai même pas de représentant dans les autres préfectures. C’est de l’argent, des avantages qu’on est en train de perdre. Sur le plan social, ça allait créer des emplois et diminuer le chômage. Économiquement, l’argent qui rentre, pourrait contribuer à développer la localité où se situe le site. On pourrait aussi travailler les routes avec et aménager les sites qui pourraient engranger des recettes énormes. Certains artistes même peuvent s’y produire et faire leurs clips. Je veux vraiment développer ce secteur au Fouta vu les potentialités touristiques et historiques. Mais sans moyen, c’est quasi impossible.
Guinéenews : quel est votre mot de la fin ?
Fodé Ismaël Camara: c’est encore un appel que je lance à nos autorités et surtout à mon ministère pour viabiliser ce secteur. Le ministère doit savoir que le secteur du tourisme est plus que les mines. Il faut qu’on se lève pour avoir les moyens et viabiliser ce secteur.
Entretien réalisé par Abdourahamane Barry pour Guinéenews