Auteur : Youssouf Sylla, juriste, analyste.
L’Etat guinéen avait déjà franchi ses 20 ans d’existence lorsque cette constitution est arrivée. Elle tirait les leçons de ces années d’exercice du pouvoir et de l’orientation socialiste et révolutionnaire du régime en place. Une orientation qui visait à mobiliser tout le peuple autour des idéaux du parti démocratique de Guinée (PDG) et de sa défense. Dans son article premier, la constitution prévoyait que « La République Populaire Révolutionnaire de Guinée est dirigée par le Parti Démocratique de Guinée, expression suprême de la force politique du pays ». Il s’agissait d’un véritable « centralisme démocratique » (article 32) qui ne laissait place à aucune autre forme d’expression politique.
A la différence de la constitution de 1958, où l’assemblée nationale pouvait légiférer sur tout, la constitution de 1982, procède en ce qui la concerne, à une répartition de compétences entre les pouvoirs exécutif et législatif (articles 49 et 66). Le pouvoir suprême revenait au PDG qui était au-dessus de l’État lui-même. Dans son préambule, il est admis sans aucune ambiguïté que c’est le PDG « qui a fondé l’Etat et que cet Etat ne peut donc que s’identifier au Parti qui l’organise, le dirige et le contrôle, en assumant réellement toutes les fonctions en tant que Parti-Etat et en œuvrant à la réalisation du Peuple-Etat ».
Bien que dotée de valeur constitutionnelle, cette déclaration pose rétrospectivement, la pertinente question de savoir, si l’Etat guinéen est né d’un acte unilatéral du PDG ou du droit du peuple de « disposer de lui-même », un droit admis en droit international par l’article 1.2 de la Charte des nations unies. L’article précité formule ce droit en annonçant que le but des nations unies est de » Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde ». Pour accéder à l’indépendance, le peuple guinéen a pu mettre en œuvre ce droit à travers son vote du 28 septembre 1958 en faveur de la dissolution du lien colonial avec la France. S’il est indéniable que le PDG a joué un rôle inestimable dans la mobilisation des populations en faveur du rejet de la communauté franco africaine proposée par de Gaulle, on ne peut cependant pas conclure que l’indépendance de la Guinée est le produit d’un acte unilatéral posé par ce parti.
L’indépendance de la Guinée est issue de la dissolution du lien colonial avec la France, une dissolution décidée par le peuple de Guinée à travers son vote du 28 septembre 1958. A l’appui de cette thèse, on peut citer la constitution d’avant celle de 1982 et les constitutions d’après. Le préambule de la constitution de 1958 déclare à ce propos que « Le Peuple de Guinée par son vote massif du 28 septembre 1958 a rejeté la domination, et de ce fait, acquis son Indépendance Nationale et constitué un Etat Libre et Souverain ». A leur tour, les constitutions de 1990, de 2010 et de 2020, ramènent exclusivement au peuple de Guinée, le mérite de son indépendance.
Toutefois, l’Etat auquel donne naissance la constitution de 1982 prend le nom de la République populaire révolutionnaire de Guinée, un produit du PDG. L’Etat est considéré par cette constitution comme un simple instrument technique de réalisation des objectifs du PDG. Ainsi, « L’Etat avec tous ses appareils et moyens structurels, opérationnels, matériels et immatériels, est l’instrument par lequel la classe-Peuple exerce souverainement le pouvoir, se défend et se développe constamment pour satisfaire pleinement toutes ses aspirations progressistes » (préambule).
La constitution mettait en place un système socialiste et révolutionnaire où l’Etat formait, juridiquement avec le parti, un tout indivisible (le parti-Etat) avec une forte prééminence du PDG. La direction de ce Parti-Etat était assurée par » Le Président de la République, Secrétaire Général du Parti-Etat, Responsable Suprême de la Révolution » (article 44). Le président de la République était élu pour 7 ans et indéfiniment rééligible (article 46), ce qui ouvrait la porte à la présidence à vie. Il était aussi le garant de l’autorité judiciaire. Les juges étaient élus par les instances du parti et ne devaient obéissance « qu’à la Morale Révolutionnaire et à la Loi » (article 84). La morale révolutionnaire était donc une source de droit applicable par les juges dans l’examen des affaires soumises à leurs appréciations. En cas de conflits entre la « Morale révolutionnaire » et les Lois de la République, c’est la norme révolutionnaire qui devait l’emporter, au regard de la hiérarchie des normes juridiques contenue dans la constitution de 1982. A part la forme républicaine de l’Etat, le président de la République avait le droit, sans autres procédures préalables, de réviser la constitution (article 91), et d’engager la Guinée au niveau africain dans toute association ou communauté d’États impliquant une perte partielle ou totale de souveraineté.
Le président de la République étant en même temps le responsable suprême de la révolution, il était lui-même, à travers la morale (doctrine) révolutionnaire qu’il édictait, la source primaire du droit. Une source qui prenait largement le dessus sur les sources secondaires du droit (les lois votées par l’assemblée nationale populaire et les règlements pris par le pouvoir exécutif). Au niveau de la production des normes secondaires, le président de la République jouait également à ce niveau un rôle central. Il avait l’initiative législative et présidait les autres organes qui avaient aussi cette initiative. Il s’agit du congrès national du parti, du conseil national de la révolution, du comité central, du bureau politique et du gouvernement révolutionnaire (article 64). En ce qui concerne la production des normes réglementaires, tous les actes adoptés en ce sens devaient être signés par le président de la République (article 50) en tant que chef de l’exécutif.
Mettant fin au régime d’assemblée de la constitution de 1958, la constitution de 1982 a instauré à la fois le « Centralisme démocratique » incarné par le PDG, seul parti reconnu par l’Etat, et « le Centralisme exécutif » incarné par le pouvoir supra étatique du président de la République. Celui-ci en tant que responsable suprême de la révolution et secrétaire général du PDG, détenait un pouvoir qui le mettait au-dessus de l’Etat. Dans l’histoire constitutionnelle de la Guinée, jamais un tel niveau de concentration de pouvoirs au sein de l’exécutif n’a été atteint.
Prochain article : Évolution constitutionnelle à partir de 1990, ou la rupture inachevée.