Qu’on l’accepte ou qu’on ne l’accepte pas, qu’on lui oppose mille arguments ou cent mille, la cherté de la vie à Conakry s’inscrit dans l’ordre de la violence morale. Une violence imposée à une population urbaine en majorité pauvre, vivant dans une précarité abyssale, à peine capable de s’offrir les trois repas quotidiens pour survivre. Cette violence se traduit par un stress permanent pour l’indigent qui le condamne à vivre dans une angoisse perpétuelle, cherchant sans relâche à savoir quel repas pourra-t-il s’offrir cet après-midi et ce soir et quel petit déjeuner aurait-il la possibilité d’obtenir le matin suivant.
Indiscutablement, une telle violence est pire qu’une injure verbale, pire qu’une calomnie, pire qu’une stigmatisation, pire qu’une diffamation, pire qu’une discrimination et pire qu’une humiliation à l’encontre de l’individu. Le philosophe et grand maître spirituel indien Swâmi Râmdâs disait : « la vraie pauvreté est celle de l’âme, une pauvreté dans laquelle le mental est toujours dans un tourbillon créé par les doutes, les soucis et la crainte. » Ce type de mental, tourbillonné par l’angoisse et l’incertitude du lendemain, les populations de Conakry le connaissent bien. C’est un état émotionnel qu’elles vivent à longueur de journée, année après année, régime après régime, gouvernement après gouvernement.
En fait, l’augmentation du coût de la vie dans la capitale guinéenne n’est pas un fait nouveau. C’est un long et périlleux processus qui s’étale dans le temps et s’endurcit avec horreur. Sa démarcation se situe cependant dans sa récurrence rapide qui connaît une évolution exponentielle depuis l’avènement du libéralisme en Guinée. Au cours des trois dernières décennies, le coût de la vie dans la capitale a atteint un niveau exceptionnel par rapport au revenu moyen d’un citadin. On assiste, tout comme ailleurs dans le monde, pratiquement à une flambée des prix de tous les biens comestibles. Hausse du prix des produits pétroliers et leurs dérivés, des matériaux et matériels de construction, des denrées alimentaires, du transport, des soins et des médicaments, pour ne citer que ceux-là.
Encore pire, les produits issus de la production locale ne font pas exception à la règle. Ils sont hors de prix à Conakry. Par exemple, une seule pièce de gombo coûte mille francs. Or, selon l’avis majoritaire, il en faudrait au moins 30 pour constituer la base d’une sauce destinée à nourrir une famille de 3 personnes. Évidemment, il faut ajouter à cela les autres composants comme la viande dont le kilo coûte 70 mille francs ou le poisson à 50 mille l’unité en moyenne, ainsi que le reste des ingrédients (sel, oignons, tomates, etc.). Quant au riz, le prix du kilo varie entre 6 et 8 mille francs. Dans les desserts, on trouve par exemple la papaye et la pastèque dont les prix varient suivant la grosseur entre 20 et 50 mille francs.
Or, selon la Direction générale du Trésor, un peu moins de la moitié des Guinéens (44%) vit en dessous du seuil national de pauvreté qui était estimé en 2019 à 13 679 GNF par personne et par jour. Tandis que le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) établi durant l’année qui vient de s’écouler par un décret du colonel putschiste planche à 550 mille francs. Notons au passage que cette initiative de revoir le SMIG à la hausse était consécutive aux protestations de la population face à l’augmentation du prix du carburant à la pompe qui est de 12 mille francs actuellement.
Face à ces constats, la vie pour la majorité des conakryens est un véritable enfer. Comment parvenir à vivre soi-même décemment et offrir son assistance à sa famille avec un revenu aussi peu que 2$ US par jour ? Sachant bien que si la pauvreté, comme l’a défini le prix Nobel d’économie Armartya Sen, est une privation des capacités élémentaires, un individu vivant avec moins de 2$ par jour ne saurait disposer d’assez de capacités pour survivre monétairement et édifier son bien-être dans une ville aussi chère que la capitale guinéenne.
Et le fait le plus étonnant semble-t-il serait de constater qu’en convertissant en dollars les prix des marchandises vendues actuellement sur le marché à Conakry, on retrouve sensiblement les mêmes prix pour ces produits dans les pays occidentaux, alors qu’en termes de niveau de vie et de développement humain, ceux-ci sont de loin, très loin devant la Guinée. À titre d’exemple, une papaye de bonne qualité coûte environ 5 $ CAN (31 750 GNF) au Canada, alors que ce pays n’en produit pas. Or, la même papaye de qualité équivalente coûte plus chère à Conakry (son prix pouvant atteindre 40 mille GNF et plus), dans un pays au climat tropical favorable à l’agriculture et couvert de terres arables sur 1/4 de sa superficie. D’ailleurs, cette comparaison est aussi valable pour ce qui a trait au prix de l’essence dont le litre coûte actuellement au Canada 1.80 $ CAN soit 11 430 GNF. Tandis qu’il est vendu à 12 000 GNF à Conakry. Pareil pour les prix des chambres d’hôtels qui sont aussi chères et parfois plus à Conakry qu’à l’étranger.
Ces observations suscitent la curiosité de l’observateur et incitent sans doute à la réflexion. Une réflexion à laquelle est invité chaque guinéenne et chaque guinéen, du planton de canton au chef de l’Etat. Comment corriger ces écarts, quelles réformes sont nécessaires à faire, quelle politique adopter en matière agro-pastorale, fluviale, maritime, industrielle et commerciale ? Telles sont les questions qui concluent cette analyse.