L’Etat guinéen a été débouté le 13 avril dernier de son appel pour sa condamnation à payer plusieurs millions d’euros et de dollars à la société belge AD Trade Belgium S.P.R.L.
Le 11 janvier 2011, la Guinée, à travers le ministère de la Défense nationale et la société AD Trade ont conclu deux contrats. L’un concerne la fourniture de biens et de prestations de services n° ADT-UR 134/11 relatif à l’établissement de l’unité de renseignement présidentielle, dénommé Projet Léopard ; et l’autre concerne la fourniture de biens et de prestations de services n° ADT-GR 133/11 relatif à la protection du domicile privé et du palais du Président de la République, dénommé Projet Panthère.
Mais un litige est survenu entre la société belge et l’Etat guinéen. Ce qui a conduit à « la résiliation unilatérale des contrats par la République de Guinée et de factures non soldées ». Et le 8 octobre 2015, la société AD Trade a introduit une procédure d’arbitrage sous l’égide de la chambre de commerce internationale (CCI) par le tribunal arbitral. Et malheureusement pour la Guinée, ce tribunal arbitral l’a condamnée, le 22 novembre 2017, à payer à la société belge 31 906 745 euros à titre de payement pour les services et matériel fourni dans le cadre du Contrat Léopard ; 13 782 599 euros à titre d’intérêts moratoires de 10.3% calculés jusqu’au paiement intégral sur tous les montants alloués sous le chiffre A.1 ; un intérêt moratoire capitalisé de 10.3% à partir du 6 octobre 2016 jusqu’au paiement intégral sur tous les montants alloués sous le chiffre A.1 ; 157 402.50 USD au titre des frais d’arbitrage de la CCI et 385 119 euros à titre de frais de défense.
Cette condamnation, selon la Cour d’appel de Paris, a été notifiée à l’Etat guinéen le 16 mars 2018 à travers un représentant de son agence judiciaire. N’étant pas satisfaite de la sentence rendue le 22 novembre 2017 par le tribunal arbitral, la Guinée, via son agent judiciaire d’alors, actuel ministre de la Justice, Me Mory Doumbouya, a formé, le 17 mai 2018, un recours en annulation de cette décision devant la Cour d’appel de Paris. Mais voilà, trois ans après l’introduction de ce recours, la Cour d’appel rejette la demande en annulation de sa condamnation introduite par l’agent judiciaire de la Guinée. Elle déboute l’Etat guinéen du surplus de ses demandes. Pire, il est condamné à verser 200 000 euros à AD Trade.
«[ …] La cour, par ces motifs : 1- Rejette le recours en annulation contre la sentence CCI n°21390/MCP/DDA rendue le 22 novembre 2017 ; 2- Déboute la République de Guinée du surplus de ses demandes ; 3- Condamne la République de Guinée à payer à la société AD Trade Belgium S.P.R.L la somme de 200 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; 4- Condamne la République de Guinée aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile », a conclu, le 13 avril 2021, la Cour d’appel de Paris présidée par François ANCEL.
L’Embargo de l’UE contre la Guinée invoqué par l’Agent judiciaire de l’Etat
Dans sa formation du recours, l’Agent judiciaire de l’Etat guinéen a invoqué l’embargo sur les armes décrété par le Conseil de l’Union européenne à la suite des événements du 28 septembre 2009. Selon la Cour d’appel de Paris, la Guinée a soutenu que les équipements objet du contrat Léopard entraient dans les prévisions de la décision 2010/638/PESC du 25 octobre du Conseil de l’Union européenne, décision qui interdit la fourniture à la Guinée des équipements militaires ou autres équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne.
Le 14 avril 2014, le Conseil de l’Union européenne a levé l’embargo sur la Guinée. Mais, cela, selon l’Agent judiciaire de l’Etat, ne peut l’empêcher d’invoquer ces mesures restrictives en raison de la violation par AD Trade des sanctions internationales sur la vente d’équipements militaires.
« La société AD Trade ajoute que la République de Guinée n’a à aucun moment durant l’instance arbitrale prétendu que les contrats litigieux entraient en violation des mesures restrictives européennes de sorte qu’elle reconnaissait que compte tenu de la nature des matériels livrés, celles-ci n’étaient pas violées et qu’elle doit être réputée avoir renoncé à se prévaloir du moyen tiré de la violation des Mesures restrictives alors que l’existence de ces mesures restrictives était connue de la République de Guinée au moment de l’arbitrage », a indiqué la Cour d’appel au 29 de son arrêt.
Les communications téléphoniques des Guinéens étaient-elles surveillées par l’Etat ?
Il ressort de l’accord entre la Guinée et la société AD Trade que les Guinéens étaient surveillés à la loupe (ou devaient l’être). Car, le contrat prévoyait en son annexe A 2 la fourniture de matériel électronique suivant : un système TrackPoint, ayant pour objet de recueillir, analyser et afficher les emplacements d’utilisateurs de téléphones mobiles en temps réels ; un système GALTrack qui a pour objet la surveillance de communications téléphoniques ; un système Cobra, permettant des mesures de paramètres de fréquences radioélectriques (localisation de l’émetteur) ; un Centre de contrôle et de commandement (C3) ; un véhicule de commandement, de filature et de surveillance ; un système GTrack d’interception tactique de communications ; un système TOPEYE de surveillance aérienne Jour/Nuit depuis un ballon gonflé à l’hélium ; divers équipements de surveillance audio et vidéo et de contre-surveillance (détection et localisation de systèmes de surveillance), dont les systèmes Oscor.
Joint au téléphone, Sékou Keita, porte-parole du ministère de la Justice, dit que son département n’a pas encore reçu l’arrêt de la Cour d’appel de Paris confirmant la condamnation de la Guinée par le Tribunal arbitral. Donc, le ministère attend le document pour pouvoir se prononcer.