Pour ce quatrième volet que nous consacrons à traiter de cet important sujet, nous allons être sevrés du fondamental auquel nous avons toujours accordé un maximum de crédit: la datation exacte des faits rapportés.
Dommage que chez nous, le sens de l’archivage ne soit pas aussi partagé qu’on le voudrait. Il nous aurait permis de garder intactes les traces et souvenirs des documents ou évènements qui ont marqué, de quelque manière que ce soit, un pan de notre histoire. Les faits que nous allons rappeler ici, sont de cette veine. Ils sont réels et se sont effectivement produits, quoique pas situés dans le temps, avec la précision souhaitée. Nos moult tentatives auprès de consultants, témoins de faits avérés, pour nous en préciser le moment exact de leur survenue ont été vaines. Aussi, allons-nous éviter le piège de l’approximation pour nous focaliser sur la simple narration desdits faits.
De tous les accidents survenus chez nous, nous en retenons deux ou trois qui, de notre entendement, sont en étroit rapport avec la problématique de l’incendie d’hydrocarbures. Nous garderons les détails ou descriptions pouvant heurter la sensibilité des uns et des autres, tout en espérant produire un déclic porteur, pour un changement de comportement vis-à-vis des produits pétroliers. Et ce sera autant de gagné dans notre combat de tous les jours contre les incendies d’hydrocarbures.
Le premier de ces accidents que nous allons revisiter s’est produit, peu après le 03 avril 1984, à Kountiya, sur la route du Niger, à une trentaine de kilomètres de Conakry, en direction de Coyah. Nous présentons ainsi les lieux pour rester dans le découpage administratif de l’époque. C’était une périphérie de la capitale, absolument excentrée et vierge d’habitations. Pour les familiers de la zone, c’était non loin de la ‘’Case provinciale’’, chez Sakho, du côté opposé de la route.
Une tragédie des plus marquantes que l’on puisse imaginer
Un vieux camion ’’Zil modifié’’, de marque soviétique avait pris feu là, sur le bord droit de la route faisant une quinzaine de morts, tous brûlés vifs, certains réduits en cendre. Nous y avions personnellement dénombré quatorze crânes humains…. Nous n’en dirons pas plus.
Une image dantesque, dont le film s’est déroulé un matin, alors que le camion roulait, avec un plein de passagers, hommes, femmes, enfants, se rendant au marché hebdomadaire de Maférinya (Forécariah). Nous l’avons dit, la zone de l’accident était très isolée à l’époque. Il y avait très peu de circulation et presque pas d’habitations alentour. Extincteurs, téléphone, sapeurs-pompiers, rien de tout cela n’était disponible ou joignable.
La tragédie a donc été vécue en direct par quelques rares témoins arrivés sur les lieux, mais impuissants à porter secours. Ils ont plutôt vécu une frayeur qui les a tétanisés au plus haut point. La carrosserie du camion flambait. La bâche et les colis embarqués libéraient des flocons enflammés que l’air faisait valser tout autour avant de retomber au sol. Les passagers, hurlant, couverts de feu, sautaient du camion pour courir dans tous les sens. Et lorsqu’ils s’orientaient en criant au secours, vers les témoins qui les regardaient ahuris, ces derniers, pris de peur, les fuyaient plutôt. Des femmes, par les ouvertures de la carrosserie, présentaient leur enfant à bout de bras, implorant que quelqu’un veuille bien le prendre pour lui épargner de subir comme elles, le supplice du feu. Personne pour réagir ! Tout était chamboulé, sens dessus dessous.
Poussés par l’instinct de survie, les passagers agités ou agglutinés, s’agrippent les uns aux autres, certains retenant ceux qui voulaient descendre. On entendait crier, pleurer, s’exclamer, implorer Dieu. Et devant le manque évident de secours appropriés, ce décor d’apocalypse, ce supplice et ces souffrances atroces et indicibles ont continué inexorablement, de longues minutes durant… jusqu’à ce que le feu finisse son œuvre satanique.
C’est alors qu’un lourd silence s’est abattu sur les lieux. Les victimes piégées dans le camion étaient vaincues par les flammes, inanimées et entièrement brûlées. Des morts, effondrés à même le sol, dans des postures diverses, d’autres dans le camion, dont les structures étaient encore incandescentes ou fumantes.
On a parlé de survivants de ce drame qui n’ont jamais été vus ou identifiés. Des témoins ont affirmé que ce lot de ‘’chanceux‘’ ou de miraculés comprend des passagers, au nombre indéterminé, qui sont sortis de la cabine ou qui ont sauté de la carrosserie avant que les flammes ne les piègent à bord. Tout le temps des enquêtes ouvertes à cet effet, pas un seul de ces rescapés ne s’est présenté aux autorités. Peut-être que la peur et l’état de choc qu’ils avaient vécus les avaient suffisamment traumatisés pour les dissuader de revenir. Allez savoir !
Toujours est-il que cette catastrophe avait fortement marqué l’opinion. Les autorités s’en étaient saisies au plus haut niveau. Ainsi, au-delà du constat traditionnel, toujours dressé, après tout accident, le capitaine Amadou Kouyaté, membre du CMRN et Secrétaire d’Etat à la sécurité avait-il ordonné au directeur de la police routière, le commissaire Sékou Kéita ‘’Socrate’’ de se rendre sur les lieux afin de mieux apprécier la situation. Nous étions de cette mission.
Hélas, ces deux personnalités ne sont malheureusement plus de ce monde. Nous en aurions appris beaucoup plus sur cette tragédie qui avait longtemps marqué les esprits et dont les conséquences étaient dues à l’inflammation du carburant placé dans la carrosserie du camion.
Pourquoi ce transport de carburant à bord de camion ?
Nous vous le disions dans notre précédente livraison autour du même sujet, à cette époque, notre pays connaissait de longues et sévères ruptures de carburant. Cette situation avait conduit certaines personnes à organiser un intense trafic dudit produit. Ainsi est née la vente au détail dans les rues qu’on vient d’interdire. Ils écoulaient le carburant partout où ils pouvaient s’assurer d’une clientèle fidèle et des bénéfices constants. C’est ainsi qu’ils stockaient le plus souvent de l’essence, dans des bidons pour les marchés hebdomadaires. C’était le cas pour ce camion. A son bord, en plus des passagers et des colis divers embarqués pour le marché hebdomadaire, il y avait aussi des bidons d’essence.
Dans quelles circonstances ce camion a-t-il pris feu ?
C’est au cours d’un croisement sur chaussée bitumée à faible sinuosité et pendant que la visibilité était parfaite, que le camion en partance pour Maférinya, avait été accroché par une voiture Volkswagen en provenance de la SONACAG (carrière de granite de Manéah). Au croisement des deux véhicules, la voiture, légèrement déportée sur la gauche, a accroché et éraflé le garde-boue avant gauche du camion. Dans sa progression, le frottement s’est prolongé contre le marchepied de la cabine du camion et plus loin, le support de la batterie a reçu le choc à son tour, entraînant celle-ci contre le réservoir situé, juste à côté.
On a obtenu là, aussitôt, la parfaite reconstitution de la théorie du triangle de feu, bien connue des pétroliers. Le choc n’était pas violent et les dégâts étaient assez légers sur la voiture. Mais en heurtant la batterie, des étincelles avaient sans doute jailli qui ont enflammé le carburant du réservoir dont le couvercle était constitué d’une simple touffe de chiffons entortillés. La rencontre du combustible avec la source d’énergie était la phase préliminaire de la constitution du triangle de feu et il a suffi que le troisième élément, le comburant (l’air) s’y ajoute pour boucler la boucle. Une fois le triangle formé, le feu ne pouvait que jaillir aussitôt. Et cela n’a pas manqué. C’est bien ce qui s’est produit : la matérialisation d’une loi immuable de la physique qui se vérifie toujours et en toutes circonstances. Quiconque la viole peut être sûr de s’attirer plus que de simples ennuis.
Quand les flammes ont atteint la carrosserie, elles se sont rapidement amplifiées au contact de l’essence qui s’y trouvait, dans des bidons. Ce qui a surpris et piégé les passagers emmitouflés sous la bâche tendue. Tout est parti de là, hélas ! Avec ce lourd bilan corporel et matériel.