Depuis plusieurs mois, voire plus d’un an, les Guinéens font face à une flambée des prix des produits de première nécessité. Cette situation a fait baisser le pouvoir d’achat des populations et complique la gestion des revenus dans certains ménages au point de susciter leur cri de cœur. Sur toutes les lèvres à travers le pays, on entend les complaintes des populations. Des complaintes comme : « les produits sont très chers », « Tout a augmenté sur le marché…On vit dans la précarité et la pauvreté », « l’inflation est galopante». « Et pourtant que d’espoir avait été placé en ces jeunes gens le 5 septembre 2021! » Plaintes par-ci, cris de cœur par-là. Regrets…. Si habituellement les gens se réunissent pour parler politique, cette fois-ci c’est une « question de ventre qui les préoccupe : la cherté de la vie. Deux ans, un mois 25 jours après l’euphorie des premières heures, les Guinéens crient leur ras-le-bol contre le gouvernement du CNRD.
Ces complaintes, explique Julien Tinkiano, enseignant du lycée, doivent être perçus comme « le cri de cœur des citoyens qui ont mal, qui sont mal dans leur pouvoir d’achat qui n’en est plus un, qui sont mal dans leur statut de parents devenus incapables d’assumer le minimum à la maison, qui sont mal dans leur dignité ». Du côté du gouvernement, on pense avoir pris des mesures. Mais hélas la situation semble prendre de l’ampleur.
Flambée des prix, une réalité qui crève les yeux
Des denrées alimentaires aux autres produits de premières nécessités tels que le savon, le riz, le lait, le sucre, l’huile, le piment, l’aubergine, l’oignon, la tomate, la viande, le poisson… Il y a une hausse générale des coûts sur le marché. De Conakry à Yomou en passant par Kankan, N’Zérékoré, Kindia, Mamou, Boké ou encore Labé, les familles en souffrent. Femme au foyer, Natalie G. fait difficilement la cuisine avec ce qu’elle reçoit de son mari pour la dépense journalière. « Avant avec 60 mille francs guinéens, j’arrivais à acheter du poisson ou de la viande et faire de la sauce tomate qu’on consomme sur deux jours avec mon mari et mon petit frère. Mais depuis quelques mois, c’est pénible », témoigne la jeune femme qui précise que les denrées alimentaires tels que le riz, le pain, le sucre, le lait etc. ne sont pas prises en compte.
Dans d’autres foyers, il y a une nouvelle donne. « Avec ce qui se passe, on ne prépare plus à midi. Les enfants achètent à manger », explique M’Mah, coiffeuse et mère d’un garçonnet au quartier Bentouyreya dans la commune de Coyah. Cette femme avoue reconnaître qu’àn ne déjeune plus bien, mais reste « impuissante » face à la hausse générale des prix des denrées alimentaires. « Ça ne va pas. Sincèrement, ça ne va pas. Il est presque midi et je n’ai encore rien mangé alors qu’hier soir j’ai juste mangé du riz pour 10.000 francs », se lamente Salomon K., un jeune diplômé sans emploi, qui se plaint aussi d’une réduction de la quantité servie chez la vendeuse. Jeune célibataire de la trentaine, il vit de petits jobs à la zone industrielle de Kagbelen. Pour préparer à manger, apprend-t-il, le jeune homme après avoir fait les calculs, change d’avis et va acheter du sandwich dans le quartier. Avant cette flambée de prix, explique-t-il, avec 5000 francs guinéens il pouvait faire des emplettes : tomates, piments, huile, épices, pour faire de la sauce à consommer sur deux ou trois jours. « Maintenant je ne cuisine plus. La tomate, l’huile et les pâtes alimentaires sont désormais chers», détaille-t-il.
Désormais, le jeune dit être « obligé » d’acheter à manger chez les vendeuses du quartier. « Que je sois rassasié ou pas, c’est ce que mes moyens me permettent de manger ».
Salomon se contente d’acheter au coin de la rue à manger pour « calmer sa faim ». Une nouvelle option qui, raconte-t-il, n’est pas sans conséquence sur son apparence physique. « À force de le faire chaque fois, une vieille du quartier a constaté que j’ai dépéri et m’a interpellé : «Salomon pourquoi tu maigris comme ça ? Mais je ne pouvais pas lui dire que je ne mange pas bien parce que la vie devenue chère », a confié le jeune célibataire qui craint le pire, dans les semaines et mois à venir.
Du côté des vendeuses de repas qui ont réduit les portions servies, on pointe la cherté des produits sur le marché. « Tout ce qu’on achetait pour cuisiner ont changé de prix. Et cela chaque jour que Dieu fait. Même les produits locaux comme la tomate et le piment sont devenus très chers ainsi que l’oignon », se plaint maman Djenabou, vendeuse du riz. Face à la flambée, elle dit avoir songé revoir le plus petit prix du plat du riz. « J’ai dit aux enfants que désormais il n’y aura plus du riz 5000 francs. Mais quand j’ai pensé à la souffrance des gens et à la cherté de la vie qui prévaut, j’ai plutôt demandé qu’on diminue légèrement la quantité », partage-t-elle sur sa stratégie. Et pourtant, se plaint-elle, il y a mévente et le capital s’amenuise. « Avec ce qui se passe, si la situation ne change pas, un matin, je risque de ne plus continuer ce commerce », lance-t-elle en détresse
Si madame la ministre pouvait faire un tour au marché de Madina !
Depuis sa nomination à la tête du ministère du Commerce, Louopou Lama s’est-elle une fois rendue dans les marchés ? Ou se contente-t-elle des vieux rapports des vieux conseillers qui squattent dans le vieux bâtiment du ministère ? Madame la ministre est-elle à la hauteur de la mission à lui confiée par le Colonel Mamadi Doumbouya ? En tout cas, nous y avons fait un tour pour nous rendre compte de la réalité.
Lundi 23 mars 2023. Il est 12h au marché M’Balia à Madina, le plus grand marché du pays. Situé en plein cœur de Conakry, il s’anime tous les jours de la semaine. Dans ce marché, tout y est.. Après avoir dépassé les vendeuses de friperie à la criée, de chaussures, ou encore d’habits pour enfants, au rond-point qui sert de gare de taxi de Coléah-Kaloum et Dixinn-Ratoma, nous sommes sur la Route Niger. Au bord de cette voie obstruée depuis des lustres, sont positionnées quelques vendeuses de produits vivriers. Assise devant ses marchandises, la tête baissée, petite bassine en main, Fatou trie ses lots de feuilles de patate pour les dépouiller de celles mortes et des déchets. Toujours aux aguets malgré sa position, elle s’empresse de dire le prix de ses produits aux passants : 4000, 5000, 6000 francs guinéens. Ses produits : Feuilles de patate, de manioc, haricot blanc (petits et gros grains), haricot rouge, en petite quantité, sont exposés dans trois bassines à quelques centimètres. Juste en face d’elle, se trouve du poisson disposé dans sur de grands plastiques.
Depuis 9h qu’elle est arrivée, Fatou dit n’avoir eu que trois clients et l’un a dû rebrousser chemin parce que son argent était insuffisant. Une nouvelle cliente se pointe. Après les civilités, elle marchande les prix pendant un long moment et finit par céder. « Tout est cher», se lamente Yarie, une mère de famille après avoir fait ses achats. Avec son petit budget, en se rendant au marché, elle pensait pouvoir faire plus d’emplettes auprès des grossistes. Désillusionnée, elle dit avoir décidé de ne faire ses achats qu’à Yenguema, son quartier situé à Kaloum. Avec la cherté de la vie, cette mère de famille mène une vie de résignée.
« Nous achetons aussi cher lorsque nous allons dans les villages. Les cultivateurs se plaignent d’une baisse de production de céréales et autres produits vivriers surtout les frais de transports », se défend Faoumata Camara. Selon cette femme dont l’époux est agriculteur, les changements au niveau de la pluviométrie ont eu un impact sur la production. M’mawa, sa voisine connaît également le problème de baisse de production dans ses champs. « Je n’avais jamais acheté de tomate, mais à cause de la rareté des pluies, je suis obligée d’en acheter pour pouvoir tenir puisque la récolte ne suffit plus », témoigne-t-elle.
Les produits importés ont aussi connu une hausse des prix. « Chaque fois qu’on va acheter, il y a une légère hausse. En l’espace de 3 ou 4 mois, presque tous les produits ont connu une hausse de 2000 à 4000francs », confie furieuse une mère de famille rencontrée. « Maintenant c’est qui peut, pas qui veut », se désole Mohamed G Savané, un conducteur de taxi-moto. Plus de la trentaine, ce père de famille qui vit de ses recettes journalières se demande quand cette situation prendra fin.
Foulematou, vendeuse en détail de savons, détergents, pâte dentifrice et autres produits importés, accuse quant à elle, les taxes d’être la principale cause de cette hausse de prix. « C’est depuis les boutiques des grossistes que les prix ont changé parce que les taxes ont augmenté. Nos fournisseurs parlent de nouvelles taxes depuis le début de l’année. »
La cherté de la vie observée en Guinée est aussi liée à une situation généralisée dans la sous-région. « Les prix des denrées alimentaires sont globalement élevés sur l’ensemble des marchés de la région », relève un rapport de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Il s’agit, précise le document de l’organisation ouest-africaine, de hausses « particulièrement importantes au Nigeria, en Sierra Léone, au Libéria et sur certains marchés au Niger, au Bénin et au Ghana en Côte d’Ivoire, au Sénégal. Selon le rapport, la situation « limite fortement l’accès des ménages les plus pauvres à l’alimentation et entraîne une dégradation de leurs moyens d’existence dans la région ».
Des réponses du gouvernement guinéen à la cherté des prix
La flambée des prix des produits de première nécessité et la baisse généralisée du pouvoir d’achat des populations préoccupent également le gouvernement. Dès les premiers mois de la prise du pouvoir, c’est-à-dire Mi-décembre 2021, les nouveaux dirigeants avaient annoncé lors de la présentation du Programme d’action du gouvernement, la revue à la baisse des produits de première nécessité.
De l’avis de notre interlocuteur, Julien Tinkiano, cette baisse de prix de denrées alimentaires promise par le pouvoir ne passe pas comme la solution idoine pour résorber la cherté de la vie. « Je ne sais pas quelle est la méthode de la revue à la baisse des prix des denrées alimentaires que le gouvernement peut nous proposer et qui va remédier aux dégâts qui sont causés aujourd’hui. On peut nous donner des millions de salaire en plus et ce sera consommé très rapidement par l’inflation. Il faut d’autres mesures pour accompagner : allègements des taxes et impôts, à défaut de réviser le code général des impôts, le gouvernement peut trouver une formule pour arrêter ce qui se passe », suggère l’enseignant, invitant le gouvernement à regarder avec un « œil attentif » le cri de cœur sourdine des populations. Attention ! Les populations se disent fatiguées. Et si la situation perdure. « Un parent qui souffre devant un enfant affamé est dangereux », prévient Tinkiano.
En réaction à la colère qui couve chez les populations, la ministre Louopou soutenue par les responsables de la Chambre de Commerce et de l’Industrie, souligne que la Guinée subit les conséquences d’une conjoncture planétaire. Pour les Guinéens, Madame la ministre est dans son rôle. « L’envolée des prix » sur les marchés, défend un membre de la Chambre de Commerce, n’est pas provoquée par le gouvernement. « Chacun sait que cette conjoncture qui induit une flambée des prix sur les marchés est de tendance mondiale ». D’ailleurs, félicite-t-il, le gouvernement a été « proactif sur la maîtrise des causes de ce phénomène ».
Au cours de plusieurs conseils des ministres, le gouvernement a toujours pris des mesures face à la cherté de la vie. Des mesures allant dans le sens de l’instauration de redevances à l’exportation sur certains produits et l’interdiction de la sortie des intrants agricoles hors du territoire national. « Ces mesures sont destinées à freiner les sorties incontrôlées de produits vivriers qui occasionnent une flambée injustifiée des prix et à assurer notamment la disponibilité intérieure nécessaire à la consommation nationale. Les montants ainsi prélevés au cordon douanier auprès de l’exportateur seront destinés au soutien des producteurs agricoles », a-t-on appris à un moment donné.
Toutes ces mesures vont-elles contribuer à baisser les prix des produits de première nécessité pour le grand bonheur des populations ? Les jours, les semaines et les mois à venir, nous le diront.