Anges ou démons ? Ces guérisseurs, marabouts et voyants qui foisonnent dans le pays, plus particulièrement dans la capitale, ruinent des familles en silence. Ils profitent de la naïveté des gens, surtout les femmes, pour faire fortune
Ils prétendent avoir des pouvoirs surnaturels pour trouver des solutions aux problèmes d’avenir, du travail, de santé, d’argent ou encore d’amour de ceux qui les sollicitent. Ils, ce sont des voyants, des guérisseurs, des marabouts. Quelles sont leurs méthodes ? Autant sollicités, que valent véritablement leurs services ? Et quelles sont les dérives auxquelles sont exposés les clients de leurs pratiques ?
Business mystique
Dimanche 26 février dernier, sous un soleil de plomb, Dame Maciré qui se dit visiblement tourmentée par des événements pendant son sommeil, tard la nuit, vient exposer ses problèmes au vieux Bassirou B, célèbre voyant nigérien du quartier Kenendé, dans la commune de Dubreka : « Je vivais avec un militaire. On a même célébré notre mariage. Mais tout un coup, après un an trois ans, tout est arrêté. Rien n’allait entre nous. Notre relation a pris une tournure : les disputes, les boutades, les palabres interminables pourrissaient nos journées…Je l’ai quitté pour aller contracter un autre mariage. Mais là-bas encore la même chose s’est reproduite. Et depuis, je suis restée seule. J’ai des problèmes. A travers moi mes enfants souffrent». Face à Maciré, Elhadj Bassirou, le voyant, le conseiller spirituel nigérien recommandé par une amie. Elle livre toute son intimité et cherche des réponses à ses rêves. « La nuit quand je dors, ils vont et viennent vers moi. Très souvent, ils me donnent de la chair humaine…Je suis sévèrement violée dans le rêve de telle sorte que je n’arrive pas à me mouvoir convenablement le lendemain… » Quelques minutes d’écoute, le regard figé sur sa patiente et le diagnostique est établi. « La base du problème, c’est la sorcellerie. Ce sont les mauvais esprits qui la fatiguent. Je sens aussi la présence d’un mari de nuit ».
A 40 ans, Maciré prétend que le divin lui permet de livrer batailler contre les ténèbres dans la vie de ceux qui le sollicitent. « Tout le monde a besoin d’un désenvoutement dans la vie. L’être humain doit pouvoir se laver au minimum une fois par fois. On n’a pas besoin d’attendre qu’un sorcier nous attaque pour aller chercher la solution », soutient la visiteuse du jour. Ainsi, pour retrouver la sérénité, une vie plus radieuse, des produits à base de plaintes aux pouvoirs réels ou supposés, sont prescrits par le voyant nigérien. «Après avoir écouté les conseils du voyant, je vais appliquer tout ce qu’il a demandé de faire : Utiliser le savon recommandé, mettre de l’encens et les produits dans l’eau chaude, me couvrir d’une couverture épaisse et inhaler la vapeur pendant quelques minutes…Pour faire dégager l’Aura et purifier. Et ainsi tous les mauvais esprits qui rôdent autour seront chassés », dit toute soulagée Dame Maciré.
Alors le vieux voyant nigérien lui demande de s’approcher : «pose tes mains sur la fumée et fait ta prière. Tu demandes la libération de ton âme, de ton esprit, de ton corps ». Le kit du bonheur va coûter tout de même 500.000 francs guinéens. Qu’à cela ne tienne ! La visiteuse elle y croit. « Bon, on essaie, ça va marcher…je crois ». Le voyant reçoit entre trois et quatre patients par jour. Des patients qui ont du mal à trouver du travail. En plus le kit de désenvoutement, elle reçoit un talisman. « Voici le talisman. C’est pour toi. Son rôle c’est pour te protéger contre les forces négatives, les forces maléfiques, les forces démoniaques. C’est un Objet changé énergiquement », soutient fièrement le voyant satisfait de son travail
Travail, pouvoir, protection, quête de célébrité, richesse et amour sont des sujets de prédilection des arts divinatoires. Les voyants, les guérisseurs et autres diseurs de bonnes aventures censés apaisés les angoisses et terrer le future sont devenus rois d’un nouveau business en plein essor.
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A la découverte d’une spécialiste de plantes mystiques
C’est au marché de Matoto, au milieu de plusieurs essences que Hadja N’na Cissé, une autre célèbre voyante, très connue dans le quartier Yimbaya, vient chercher les ingrédients de ses potions magiques. Elle a toujours le même rituel. Sentir, toucher avant de choisir entre mille et une plantes. « Cette plante ? Elle s’appelle tim-tim. Elle désenvoûte, débloque tout dans la vie. On peut l’utiliser avec le citron pour le bain. Tu mélanges les deux, tu te laves avec et après un certain temps, tu remarques que tout se débloque dans ta vie », nous explique en plein marché, la voyante originaire de Bacongo-Cissela.
Dans le monde enchanté de sortilège, N’na Cissé serait une sorcière bien-aimée. Entre ses mains feuilles de lauriers, basiliques, clou de girofle, citron, sont transformés en potions mystiques, capables, selon elle, de changer la vie. « Il y a des plantes qui donnent du charme, qui attirent, les plantes d’attirance. Normalement une femme doit attirer. Si tu n’attires pas, c’est qu’il y a un problème spirituel. Toutes ces plantes que vous voyez avec moi sont attirantes », nous apprend la voyante. Elle affirme avoir découvert le pouvoir des plantes au contact de sa grande mère. « Côté finance, travail, amour, tout était bloqué. Pendant les grandes vacances scolaires, j’ai été au village voir ma grande mère. C’est elle qui m’a montré des plantes avec lesquelles je devais me laver. Au début, je n’étais trop partante, mais j’ai fini par céder. C’est ainsi que mon amour des plantes a commencé ».
Ainsi dans une société où les légendes et les superstitions sont bien présentes, N’na Cissé a trouvé son crédo. « Tout est mystique ici. Les gens, plus particulièrement les jeunes ont tellement de problème. Ils sont dans les difficultés, blocage, chômage tout…C’est ce que j’essaie de combattre. Je débloque beaucoup de situations à l’aide des plantes », soutient la voyante sourire aux lèvres. Sur le chemin de retour, elle récupère d’autres ingrédients pour selon, des secrets d’amour et de séduction. Des potions propres à inspirer et protéger l’amour coûte que coûte, selon elle. « Vous savez il y a des femmes qui veulent arracher le mari de leurs amies. C’est avec ces plantes on freine leur élan et on protège son homme. J’ai de nombreuses clientes pour ça. Certaines clientes si vous leur demander, elles sont prêtes à témoigner et même à visage découvert».
Et pourtant, que de dégâts et de ruine causés par ces conseillers mystiques!
Si beaucoup pensent avoir résolu les problèmes mystiques et apprécient les voyants, ils sont nombreux, les victimes qui haïssent et maudissent ses conseillers occultes. « je travaillais dans une banque privée de la place. Mariée et mère d’une fille. Quand j’ai remarqué les virées nocturnes de mon mari, des virées incessantes, je me suis attaché au service d’un marabout Malien. Comme toute attente, ce dernier confirme les sorties nocturnes de mon mari en rajoutant que j’étais sur le point de perdre mon foyer. Quand je lui ai demandé des conseils, il m’a dit qu’il peut y mettre fin, surtout chasser les femmes qui vivotent autour de mon homme. Mais pour réussir la mission, il faut faire des sacrifices. Je mords à l’hameçon et engage les frais. Je ne vous dis pas combien j’ai dépensé, mais j’ai fini par m’endetter auprès de ma banque pour entretenir le marabout. Et pourtant je n’ai constaté aucune ombre d’une femme autour de mon époux. Il sortait les soirs, mais à vrai dire, c’était avec ses amis au même endroit. La peur de perdre mon foyer m’a conduit dans ce milieu obscur qui m’a presque ruiné jusqu’à contracter de grosses dettes auprès de ma banque », regrette l’employée de banque.
Quant à ce père de famille, il dit avoir tout perdu pour avoir confier sa vie à un soi-disant voyant : « Sur les conseils d’un ami, j’ai été voir un voyant pour avoir la promotion au niveau de mon service et avoir la confiance de ma patronne. Chaque fin du mois, je donnais un bélier blanc au voyant avec une somme importante. Il m’invitait à prendre les bains nocturnes chez lui à Keitaya, dans la commune de Matoto. J’ai fait cela pendant deux ans sans résultat si ce ne sont des dettes et l’humiliation. Patronne jusqu’à son départ n’a jamais voulu me sentir. Tous mes amis ont eu la promotion sauf moi. D’autres ont été promu aux postes de directeurs, de chefs de division. Le comble pour moi, c’est l’affectation à l’intérieur du pays. Ce sont des arnaqueurs, des escrocs », dénonce le fonctionnaire.
Anges ou démons ? Ces guérisseurs, marabouts et voyants qui foisonnent dans le pays, plus particulièrement dans la capitale, ruinent des familles en silence. Ils profitent de la naïveté des gens, surtout les femmes, pour faire fortune.