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Incidences pratiques de la dénonciation par le Mali du Traité franco-malien de coopération en matière de défense.

Youssouf Sylla

Après avoir sauvé, sous François Hollande, le Mali d’une partition de son territoire en 2013, le Mali et la France signaient le 16 juillet 2014, dans la ferveur, à Bamako, un important Traité de coopération en matière de défense. Ce traité à travers son article 2 visait en particulier « à sécuriser les espaces frontaliers et à lutter contre le terrorisme ». Mais depuis la mise à l’écart par la junte, d’Ibrahima Boubacar Keita (IBK), président démocratiquement élu du Mali, la France juge que celle-ci est illégitime. Depuis lors, la junte est dans une logique complète de rupture avec Paris. Sur la tribune des Nations Unies à New York, elle a accusé la France d’avoir abandonné le Mali « en plein vol ». Récemment encore, elle accuse constamment la France de violer son espace aérien et de porter atteinte à sa souveraineté. Dans le cadre du retrait des forces « Barkhane » du Mali en avril dernier, l’état-major français, en cédant aux Fama, forces de défense maliennes, la base de Gossi, a rendu publiques les images prises par un drone, montrant quelques blancs, à proximité de cette base, en train de couvrir de sables des corps sans vie. Une allusion directe aux paramilitaires russes du groupe « Wagner » qui remplace désormais « Barkhane » au Mali sur demande de la junte. Il s’agit là d’un retournement de veste que la France n’entend pas pardonner à la junte dans un pays qui fait partie de son pré carré en Afrique.
C’est au regard de ce contexte explosif entre Paris et Bamako que le 2 mai dernier, les autorités maliennes, par le biais d’un communiqué, ont dénoncé le Traité de coopération en matière de défense signé le 16 juillet 2014. Le même communiqué dénonce les accords de coopération en matière de défense avec les autres pays européens dans le cadre de la Task Force européenne « Takuba ». Cette force est présente depuis 2020 dans le Sahel sur appel de Paris.
La question se pose désormais de savoir si la dénonciation du Traité de 16 juillet 2014 aura pour effet immédiat d’arrêter entre le Mali et la France toutes les activités prévues dans le cadre de la coopération en matière de défense entre les deux pays ?

Effets non immédiats de la dénonciation

Revenons au traité de 16 juillet 2014 entre les deux pays. L’article 18 du trait indique que : « Les activités organisées sur le territoire de l’une ou l’autre des deux Parties sont soumises au consentement de l’État d’accueil et aux conditions agréées dans les accords et arrangements prévus aux articles 4.2 et 5.2 du présent traité ». Autrement dit, le Mali peut à tout moment demander à la France de cesser sur son territoire toute activité liée à l’objet du traité en raison du principe du « consentement préalable » de l’État d’accueil exigé par l’article 18 du traité.
Mais problème : le défaut de consentement préalable du Mali ne suffit pas à lui seul juridiquement pour arrêter les activités prévues dans le cadre de la coopération en matière de défense avec la France. En effet, les accords et autres arrangements conclus entre les deux pays au titre des articles 4.2 et 5.2 et auxquels renvoie l’article 18 du traité demeurent. En vertu de ces accords particuliers, certaines activités auront vocation à s’exercer.
L’article 4.2 du Traité dispose que « Les conditions d’application des domaines et formes de la coopération définis ci-dessus sont, au besoin, précisées par voie d’accords ou d’arrangements techniques spécifiques ». En ce qui concerne l’article 5.2, il prévoit que « Les conditions d’utilisation des installations et infrastructures, ainsi que du soutien logistique fourni par l’État d’accueil, à l’occasion des activités de coopération prévues à l’article 4 du présent traité, sont précisées par voie d’accords ou d’arrangements techniques spécifiques ».
Ainsi, il faudrait donc rechercher dans les accords spécifiques conclus entre les deux parties au titre des articles 4.2 et 5.2 toutes les autres activités objet du Traité du 16 juillet 2014 pour bien saisir l’étendue exacte du domaine de coopération franco-malienne en matière de défense. C’est bien dans ces accords particuliers que se cache le diable et le siège de la fameuse Françafrique, cette relation incestueuse entre la France et ses anciennes colonies en Afrique. En général, les critiques formulées contre les accords de défense entre la France et les États africains portant justement sur ces accords particuliers dissimulés au grand public.
En effet, ce sont ces accords spécifiques qui permettent d’identifier de manière exhaustive le champ complet de la coopération en matière de défense entre la Mali et la France. Si l’article 18 du Traité donne le sentiment que le Mali est en mesure d’interdire toute activité qu’elle désapprouve, il faut bien se rendre à l’évidence que les accords particuliers, eux, prévoient d’autres d’activités en lien avec la coopération en matière de défense, qui ne sont pas à la portée du public.
Pour schématiser, on peut donc dire qu’en matière de coopération entre la France et le Mali en matière de défense, il y a d’une part, le Traité de 16 juillet 2014, qui est un traité-cadre. D’autre part, il y a un nombre inconnu par le grand public, d’accords particuliers incorporés dans le Traité-cadre de 16 juillet 2014, à travers ses articles 4.2 et 5.2.
Le droit souverain du Mali de rompre sa coopération militaire avec la France
Toujours est-il qu’en droit international, le Mali en tant qu’État souverain est pleinement en droit de sortir d’un traité international, à condition de respecter la procédure de sortie prévue par le Traité lui-même. En sortant du Traité de 16 juillet 2014, il met automatiquement fin aux accords particuliers qui en résultent au titre de ses articles 4.2 et 5.2. Mais en droit international des traités, la dénonciation n’emporte pas automatiquement la mort d’un traité.
Le Traité franco-malien de 16 juillet 2014 prévoit lui-même dans son article 26 les conditions de sa dénonciation. L’article 26, alinéa 4 dudit Traité déclare que « Chaque Partie peut dénoncer le présent traité par le biais d’une notification écrite. Cette dénonciation prend effet six mois après réception de la notification par l’autre Partie. ». C’est donc seulement six mois après avoir reçu la notification de la dénonciation du Traité faite par le Mali que la dénonciation produira tous ces effets. Mais avant, comme le prévoir l’article dans 26 dans son alinéa 5, le Traité du 16 juillet 2014 et les accords particuliers qui en résultent s’appliqueront dans leur intégralité. En droit international des traités, l’entrée dans un traité est organisée, tout comme sa sortie.

Impacts politico-sécuritaires de la rupture franco-malienne

Toutefois, si un rapprochement entre les deux pays n’est pas à exclure en cas de changement du personnel politique entre les deux pays ou en cas de changement notable du contexte géopolitique dans la région, il convient bien d’admettre pour l’instant que dans le court et moyen terme, les deux pays seront naturellement affectés par la rupture de leurs relations politico-diplomatiques et militaires.
Le Mali est en train de perdre un allié de poids dans la lutte contre le terrorisme, un allié qui l’avait en 2013 sauvé d’une partition de son territoire. À cette date, les Maliens prenaient les Français pour les libérateurs et François Hollande acclamé par les Maliens disait que c’était le plus beau jour de sa vie politique. Ensuite, la junte au pouvoir au Mali devrait s’attendre au maintien d’une forte pression de la France sur elle, notamment par le biais d’une guerre communicationnelle et de l’influence ne cessera d’exercer sur ses partenaires européens et africains au sein de la CEDEAO et de l’UEMOA pour sanctionner la junte.
En ce qui concerne la France, elle perd à travers sa rupture avec la junte au profil d’une puissance rivale, la Russie, un pays, le Mali, qui était jusque-là dans son pré carré, sa zone d’influence géopolitique en Afrique francophone. La France perd également la collaboration d’un pays important dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel

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