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Dossier – Hydrocarbures en Guinée : ça sent la corruption

Pour importer et distribuer les produits pétroliers en République de Guinée, le gouvernement délivre (par Arrêté) l’autorisation à des entreprises de droit guinéen. Et la loi confère aux ministères d’Hydrocarbures, de l’Economie et des Finances et du Budget, la pleine autorité pour la signature de l’arrêté. En l’absence de procédures d’octroi bien réglementées, les transactions sont autant d’opportunités de corruption. Malheureusement, c’est ce qu’il se passe actuellement dans ce secteur important. Où Octogone S.A, une société béninoise non immatriculée évolue illégalement en toute impunité. En 2019, cette société béninoise bénéficie d’un arrêté interministériel qui l’autorise à proposer en République de Guinée des services d’avitaillement de navires (soutage). Certes identifiée par son numéro d’enregistrement au registre du commerce et du crédit immobilier béninois, mais il n’est pas fait mention d’une éventuelle domiciliation de l’article 1de l’arrêté 914MEF/MICIPSP/00 relative à la nationalité des prestataires de services d’avitaillement.

 L’article que nous proposons s’inscrit dans le cadre d’une enquête sur le fonctionnement du marché des hydrocarbures en Afrique de l’Ouest.

Ainsi, déjà détentrice de plusieurs contrats de fourniture de carburant auprès d’organismes publiques et d’entreprises privées guinéennes, la société de l’homme d’affaire béninois Razak Saka cherche aujourd’hui à s’imposer sur le marché de l’avitaillement des navires (soutage) en République de Guinée, quitte à solliciter un traitement de faveur de la part du Ministère des Pêches, de l’Aquaculture et de l’Economie Maritime et du Ministères des Hydrocarbures dirigé par DiakariaKoulibaly. Razak SAKA (3ème à gauche) et Diakaria KOULIBALY (3ème à droite) lors de la cérémonie de signature du pacte d’actionnariat au capital de la société Octogone de Stockage de Produits Pétroliers, Cotonou, le 27 juillet 2015 © Octogone Group

AC/2019/5806/MH/MPAEM portant agrément de la société Octogone SA pour l’importation de produits pétroliers exclusivement dédiés à l’avitaillement des navires, Page 1 © Ministère des Hydrocarbures et Ministère des Pêches, de l’Aquaculture et de l’Economie Maritime

AC/2019/5806/MH/MPAEM portant agrément de la société Octogone SA pour l’importation de produits pétroliers exclusivement dédiés à l’avitaillement des navires, Page 2 © Ministère des Hydrocarbures et Ministère des Pêches, de l’Aquaculture et de l’Economie Maritime

L’arrêté conjoint « AC/2019/5806/MH/MPAEM portant agrément de la société Octogone SA pour l’importation de produits pétroliers exclusivement dédiés à l’avitaillement des navires » a été pris conjointement le 07 octobre 2019 par Diakaria KOULIBALY, Ministre des Hydrocarbures et Frédéric LOUA, Ministre des Pêches, de l’Aquaculture et de l’Economie Maritime. D’une durée de deux (2) ans renouvelables à compter de sa signature, cet arrêté donne à la société de droit béninois Octogone SA (RCCM RB COT 07B1190) l’agrément nécessaire pour « importer et distribuer des produits pétroliers en République de Guinée dans le cadre de l’avitaillement des navires (soutage) ». Il donne suite à la demande formulée le 24 septembre 2019 par le M. le Ministre des Pêches, de l’Aquaculture et de l’Economie Maritime relative à « l’attribution d’un contrat global & exclusif d’importation de carburant à la société Octogone SA dans le cadre du soutage ». La formulation de l’arrêté et de la demande à laquelle il donne suite est équivoque. En effet, la mention d’un « contrat global & exclusif dans le cadre du soutage » est suivie de la simple mention de « l’agrément de la Société Octogone SA pour l’importation de produits pétroliers exclusivement dédiés à l’avitaillement des Navires ». L’arrêté AC/2019/5806/MH/MPAEM donne-t-il à Octogone SA l’exclusivité sur l’activité de soutage en République de Guinée ?

Plus encore que l’interprétation de sa formulation, c’est la légitimité et la légalité de l’arrêté AC/2019/5806/MH/MPAEM qui fait débat.

Un arrêté en contradiction avec la réglementation en vigueur

Arrêté 914/MEF/MICIPSP/00 réglementant l’activité d’avitaillement des navires en République de Guinée, Page 1 © Ministère de l’Economie et des Finances et Ministère du Commerce, de l’Industrie et de la Promotion du Secteur Privé

Arrêté 914/MEF/MICIPSP/00 réglementant l’activité d’avitaillement des navires en République de Guinée, Page 2 © Ministère de l’Economie et des Finances et Ministère du Commerce, de l’Industrie et de la Promotion du Secteur Privé.

En Guinée, l’activité d’avitaillement des navires ou soutage est encadrée par l’arrêté conjoint 914/MEF/MICIPSP/00 réglementant l’activité d’avitaillement des navires en République de Guinée.

Ainsi, pour offrir des prestations de soutage en République de Guinée, une entreprise doit :

  • Être de droit guinéen (Art 1) et a fortiori, être immatriculée en Guinée ;
  • Disposer d’un « Contrat pour l’avitaillement des navires » signé avec l’Administration des Douanes (Art 1) ;
  • Obtenir un agrément auprès du Ministère de tutelle (Art 1) ;

Arrêté 914/MEF/MICIPSP/00 réglementant l’activité d’avitaillement des navires en République de Guinée, Page 1, Article 1 © Ministère de l’Economie et des Finances et Ministère du Commerce, de l’Industrie et de la Promotion du Secteur Privé

 En outre, le carburant importé et vendu dans le cadre d’une activité d’avitaillement de navires est soumis à un régime douanier particulier détaillé aux articles 4 et 5 de l’arrêté.

Arrêté 914/MEF/MICIPSP/00 réglementant l’activité d’avitaillement des navires en République de Guinée, Page 2, Articles 4&5 © Ministère de l’Economie et des Finances et Ministère du Commerce, de l’Industrie et de la Promotion du Secteur Privé

A cela s’ajoute l’obligation faite aux « bateaux de pêche et aux autres navires de passage en République de Guinée […] de s’approvisionner en carburants et lubrifiants auprès de personnes physiques ou morales titulaires de l’agrément prévu à l’article premier » (Art 6).

Arrêté 914/MEF/MICIPSP/00 réglementant l’activité d’avitaillement des navires en République de Guinée, Page 2, Article 6 © Ministère de l’Economie et des Finances et Ministère du Commerce, de l’Industrie et de la Promotion du Secteur Privé

L’arrêté AC/2019/5806/MH/MPAEM portant agrément de la société Octogone SA pour l’importation de produits pétroliers exclusivement dédiés à l’avitaillement des navires semble ignorer la réglementation nationale applicable en matière d’avitaillement des navires. En effet :

  • La société Octogone SA (dénomination commerciale SOCIETE OCTOGONE TRADING OIL) y est identifiée par son numéro d’enregistrement au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier (RCCM) Béninois. Il n’est pas fait mention d’une éventuelle domiciliation en République de Guinée, ce qui contrevient à la disposition de l’article 1 de l’arrêté 914/MEF/MICIPSP/00 relative à la nationalité des prestataires de services d’avitaillement ;
  • Aucune mention n’est faite d’un « contrat pour l’avitaillement des navires» liant Octogone SA et l’Administration des Douanes. L’absence de preuves de l’existence d’un tel contrat constitue un manquement aux dispositions de l’article 1 de l’arrêté 914/MEF/MICIPSP/00 ;

Enfin, l’arrêté 914/MEF/MICIPSP/00 n’est pas mentionné en préambule de l’arrêté AC/2019/5806/MH/MPAEMportant agrément de la société Octogone SA pour l’importation de produits pétroliers exclusivement dédiés à l’avitaillement des naviresCette omission confirme l’ignorance du cadre réglementaire s’appliquant à l’activité d’avitaillement des navires.

 Co-signé par deux ministères dont la compétence en la matière fait débat

En outre, l’arrêté AC/2019/5806/MH/MPAEM a été émis conjointement par le Ministères des Pêches, de l’Aquaculture et par le Ministère de l’Economie Maritime et par le Ministère des Hydrocarbures. Or, selon l’arrêté 914/MEF/MICIPSP/00, Article 1, une telle autorisation n’est délivrée que par les Ministères ayant autorité sur le sujet, à savoir le Ministère de tutelle des hydrocarbures, ceux du Budget et de l’Économie et des Finances conformément à l’actuel organigramme du gouvernement.

S’il est logique que le Ministère des Hydrocarbures soit impliqué dans le processus d’accréditation au soutage d’une entreprise pétrolière, l’implication du Ministère des Pêches, de l’Aquaculture et de l’Economie Maritime apparaît cocasse. Pourquoi faire intervenir un Ministère tiers ?

La formulation de l’arrêté en question pourrait permettre à Octogone SA de se présenter comme l’unique société autorisée à offrir des prestations de soutage en République de Guinée.

Contactés par nos soins, les principaux acteurs du marché guinéen des hydrocarbures n’ont pas souhaité s’exprimer publiquement sur le sujet.

Nous avons néanmoins pu consulter plusieurs documents faisant état de l’utilisation par Octogone SA de l’arrêté en question à des fins de prospection commerciale dans lesquels la société se présente comme l’unique prestataire de soutage habilité dans le pays.

Ce type de pratique pourrait s’avérer fortement dommageable pour les acteurs concurrents dans le secteur de la distribution d’hydrocarbures également titulaires d’un agrément et d’un contrat pour l’avitaillement des navires avec l’Administration Douanière. La clientèle des entreprises de fourniture d’hydrocarbures, en particulier les entreprises de transport maritime et les compagnies minières pourrait souffrir de la dégradation du cadre légal que représente cet arrêté tandis que les entreprises nationales évoluant dans le secteur des hydrocarbures verraient leur activité menacée des pratiques commerciales anticoncurrentielles favorisant l’entreprise béninoise.

Un facteur d’instabilité juridique ?

Loin d’être une activité nouvelle, le soutage est un service offert par de nombreuses entreprises guinéennes disposant d’un agrément en bonne et due forme. L’arrêté AC/2019/5806/MH/MPAEM soulève de nombreuses questions pour les entreprises déjà actives dans le secteur. Annule-t-il les agréments octroyés précédemment ? Les prestataires de soutage en activité sont-ils désormais dans l’illégalité ?

Les entreprises, principalement minières et de transport maritime, ayant recours à d’autres prestataires de soutage qu’Octogone SA pourraient être mises dans une situation d’incertitude par cet arrêté qui porte atteinte à la sécurité juridique nécessaire à la conduite d’activités économiques aussi stratégiques que l’exploitation minière.

En conférant à une entreprise non immatriculée en Guinée un « contrat global & exclusif d’importation de carburant à la société Octogone SA dans le cadre du soutage » au nom du gouvernement de la République de Guinée sans y être explicitement habilités, les Ministères concernés portent atteinte à l’état de droit et à la souveraineté économique du Pays. En effet, en l’absence d’une immatriculation en Guinée la plaçant sous la juridiction de l’administration et des tribunaux guinéens, Octogone SA agit dans les eaux territoriales tout en étant hors de portée du juge national.

Quel impact fiscal et sur la balance des paiements ?

En autorisant une entreprise béninoise non immatriculée en Guinée et ne disposant donc pas à notre connaissance de numéro d’identification fiscale dans le pays à réaliser des prestations de soutage dans les eaux territoriales, l’arrêté AC/2019/5806/MH/MPAEM ouvre une brèche dans le système de collecte des impôts et prive la République de Guinée de ressources fiscales nécessaires à son développement. En effet, dans cette configuration, les activités d’Octogone SA échappent totalement aux administrations fiscales et douanières.

A ce manque à gagner fiscal vient s’ajouter un manque à gagner de devises (USD) pourtant indispensable à l’économie de la Guinée. Les transactions portant sur les ventes d’hydrocarbures au secteur maritime sont libellées en USD. Elles constituent, avec les exportations minières, la première source de devises de la République de Guinée. Or, en n’inscrivant pas ses activités réalisées sur le territoire national dans le système financier et fiscal guinéen, le Ministère des Hydrocarbures offre à Octogone SA la possibilité de soustraire ses revenus en devises à un marché financier qui en dépend pour le financement des importations nécessaires à la vie de la population (denrées alimentaires, produits manufacturés…).

A ce stade de l’enquête, nous ignorons si Octogone SA réalise des prestations de soutage en République de Guinée et ne sommes pas au fait de la situation fiscale de l’entreprise au Bénin. Les éléments en notre possession présentés et commentés dans cet article font planer le doute sur la légalité des procédures par lesquelles Octogone SA a obtenu l’autorisation d’exercer des activités de soutage en République de Guinée ainsi que sur le régime fiscal applicable.

« En Guinée, Razak Saka est le roi du pétrole » nous confie un journaliste de la place souhaitant rester anonyme. Et d’ajouter « il est très proche de la présidence et du ministre des hydrocarbures » (ancien directeur de l’Office National des Pétroles – ONAP, ndlr). Cette proximité est assumée par l’intéressé[1] lui-même ainsi que par le gouvernement du Professeur Alpha Condé pour lequel Razak Saka joue parfois le rôle de négociateur.

Faut-il voir dans la publication de l’arrêté AC/2019/5806/MH/MPAEM un traitement de faveur accordé à Razak SAKA par le gouvernement guinéen dont il est très proche.

Joint au téléphone, le ministre de la Pêche et de l’Aquaculture nous apprend que cette société dont il est question a bel et bien son antenne à Conakry. Qu’elle est, selon lui, loin d’être une société fantôme. Comme quoi, tout est fait dans les règles de l’art comme il se doit. D’ailleurs, dit-il, le document à notre possession est connu des différents services de son département. Au ministère de la Pêche, on se dit serein.

Au département des Hydrocarbures, le ministre n’a jamais décroché son téléphone. Malgré notre insistance, le ministre Zakaria Koulibaly et ses cadres n’ont jamais décroché leurs téléphones. Jusqu’ici c’est un silence absolu de ce côté.

Quant à l’antenne de la société dont on annonce l’existence à Conakry, il nous a été impossible de localiser son siège à travers les cinq communes. On ne l’a trouvé nulle part dans la capitale guinéenne.

Entretemps, l’Assemblée Nationale exige désormais que ce marché soit détenu par les nationaux.  Le document ci-après :

Louis Celestin

Source: Jean François Ménin, journaliste d’investigation

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