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Humaniser les mesures de la gestion de la Covid-19, pour gagner la confiance des communautés

Par Iliassou Cissé, spécialiste en communication de la santé, des risques et des crises sanitaires, Montréal- Canada

La Guinée fait face à la maladie à Coronavirus (Covid-19)depuis le 12 mars dernier. Dans le souci d’une bonne gestion de la crise sanitaire, le Conseil Scientifique est formé par un décret présidentiel le 14 avril. Cette structure,d’une composition multidisciplinaire et transdisciplinairedoit intégrer la recherche au cœur de la gestion de la pandémie de la Covid-19 en Guinée. Dès sa création, le Conseil est doté d’une indépendance d’agir dans l’intérêt des populations. C’est ce rôle qui lui confère un pouvoir de veille et d’analyse des procédures qui émanent des autorités étatiques et de l’Agence Nationale de la Sécurité Sanitaire (ANSS), et qui sont destinées aux populations guinéennes.

Mais, au regard d’une série d’évènements survenus depuisle début de la pandémie dans le pays, on observe l’absence, ou une négligence de considérations réelles des réalités sociales, territoriales et économiques lors des prises de décisions de la gestion de la crise.

En effet, récemment, suite aux émeutes à un barrage érigé à Coyah, une ville située à environ cinquante kilomètres de la capitale Conakry, pour empêcher la propagation de la maladie dans les régions du pays, on a remarqué une omission des réalités locales et territoriales lors de l’implantation de cette mesure. Le constat est semblable, dès qu’on analyse les différents appels de guinéens bloqués à l’extérieur et qui souhaitent regagner leur pays. Les mêmes observations ont été faites quand il a été question de la décision qui a rendu le port du masque non médical obligatoire ainsi que celle des cours pédagogiques en ligne,à la télévision et à la radio.

Pour plusieurs observateurs ou spécialistes en gestion de crise, les mesures paraissent s’imposer sans une prise en compte du contexte social, économique, territorial et même technologique des populations qui n’ont pas un autre choix que de les appliquer et de s’adapter à elles.

Cette situation, reflète une prédominance du discours biomédical par tous les paliers impliqués dans la gestion de la crise au lieu d’une gestion participative qui implique les populations locales et prend en considération leurs différentes réalités. Et pourtant, les émeutes qui avaient éclatées à Nzérékoré et à Dubréka, lors de l’épidémie à virus Ébola en protestation des mesures d’enterrements, d’inhumation et de d’isolation nous avaient laissés plusieurs enseignements. Elles nous avaient donné la leçonque la gestion d’une pandémie ne doit pas être envisagéeuniquement sous un angle principalement clinique mais elledoit être pensée aussi sous un aspect, social, territorial, politique et économique. L’expérience Ébola avait fait réaliser aux professionnels de la santé publique et auxpouvoirs étatiques que la gestion des crises sanitaires doit absolument être multidisciplinaire et cela, dans le but de permettre une grande connaissance des réalités sociales et locales des populations qui vivent la crise. Et surtout, une importance particulière doit être accordée à la prise en compte de celles-ci lors des prises de décisions etdimplantation de procédures de gestion de crise.

Pourtant, dans sa composition, le Conseil Scientifique en y intégrant un psychologue, un anthropologue et un socioanthropologue fait preuve de cette ouverture et de cette gestion multisectorielle de la Covid-19. Concrètement, c’est dans les faits qu’elle ne se fait pas ressentir.

Il doit être de principe, que les autorités étatiques consultent le Conseil Scientifique sur toutes les propositions de mesures qui seront destinées aux populations et cela, au-delà des questions biomédicales.Ainsi, la structure pourra jouer son rôle d’examiner en toute indépendance la conformité de celles-ci aux réalités des communautés. C’est uniquement par cette voie qu’elleparviendra à humaniser toutes les mesures et décisions des gestionnaires de la crise. Cette procédure contribuera fortement à une meilleure gestion de la pandémie car, elle permettra d’éviter des heurts, des émeutes et des affrontements entre les populations et les autorités étatiques et surtout à établir et maintenir une confiance entre les deux.

Il est important de souligner qu’en contexte de crise sanitaire, quand les populations sentent que les mesures et les procédures de gestion de la crise sont ajustées à leurs réalités sociales, territoriales et économiques, elles trouventcelles-ci plus humaines donc, elles les acceptent et les respectent facilement. Ce sentiment peut d’ailleurs se traduire par l’adoption effective des mesures de prévention par les communautés  ce qui implique leur participation active à la sortie de crise.

Malheureusement, quand les réalités locales sont oubliées dans la gestion de la crise, et surtout, quand celles-ci sont accompagnées d’une intervention des forces de l’ordre, on aboutit à un bris de confiance des populations vis-à-vis despropositions, des décisions et des procédures des acteurs qui gèrent la crise. Conséquemment, cette situation peut souvent se solder par un rejet des messages d’information et de sensibilisation émanant de la cellule de gestion de crise.

Il faut reconnaître aussi que l’absence de spécialistes des communications au sein du Conseil scientifique ne passe pas inaperçue.  La structure en les oubliant dans sa composition, passe à côté de tous les bienfaits que cet acteur  clé  peut apporter dans la gestion d’une crise sanitaire. La présence des spécialistes des communications au sein du Conseil Scientifique aurait pu d’une part, fortement contribuer à harmoniser les communications entre différents paliers et acteurs mobilisés dans la riposte contre la Covid-19. Et d’autre part, à examiner et à analyser le contenu des messages qui seront destinés aux populations et surtout à les adapter à leurs préoccupations.

En conclusion, il est important de ne pas oublier que nous sommes en contexte de crise, par définition, celui-ci reste un moment d’incertitude caractérisé par l’urgence d’agir. Devant cette réalité, les acteurs de la gestion de la crise peuvent se permettre d’essayer, d’adopter, d’abandonner et de réinventer de nouvelles procédures jusqu’à ce qu’ils trouvent les plus adéquates. Donc, nous pouvons ainsiespérer que le Conseil Scientifique puisse à tout moment revoir ses pratiques, sa composition et son fonctionnement dans le but de les ajuster aux réalités locales pour l’intérêt des populations guinéennes.

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