Le 20 juin 2019
Si près de moi et en même temps si loin, tant au sens figuréqu’au sens propre. Ce jeudi, 13 juin 2019, je retourne dans ma chambre d’hôtel, au centre-ville de la capitale zimbabwéenne, après une journée de travail intense, facilitant des sessions d’un atelier de formation en médiation pour des diplomates venant de huit pays de la SADC. Comme à mes habitudes depuis près de vingt ans maintenant, je consulte les pages de Guineenews pour m’informer sur les nouvelles du pays, que j’avais quitté le samedi, pour cette mission de formation d’une semaine. Grande était donc ma tristesse quand j’ai appris la nouvelle du décès, à Johannesburg, à environ une heure et demi de vol de moi, de l’honorable Diao KANTE. Incompréhensible était mon choc de me souvenir que, quand je l’ai rencontré, le 29 avril dernier, à l’hôtel Kaloum, à l’ouverture de la Conférence diplomatique, c’était la dernière fois qu’on se serrait les mains. Il m’avait pourtant dit qu’il allait à Johannesburg dans quelques jours et qu’on allait se revoir à son retour. Qui aurait pu me prévenir qu’on n’allait plus se revoir ? Se revoir ici-bas, car j’ai espoir qu’on se reverra dans l’au-delà, dans les paradis du Seigneur. Crédit photo : pan african parliement.
Président de la Commission « affaires étrangères » du Parlement guinéen depuis 2014, l’Honorable Kanté était, pour la seconde fois, membre du Parlement panafricain (PAP), qui est l’organe législatif de l’Union africaine (UA), basé à Midrand, en banlieue de Johannesburg. La première fois(2004-2008), il était au parlement guinéen comme député de l’UPR de feu Siradiou Diallo, et représentait la Guinée au PAP avec feu El. Ismaël Ghussein du PDG, Mme Belly Aribot et M. Boubacar Koumbia Diallo du PUP. Il semble qu’Aboubacar Somparé en était membre aussi en ce moment, mais je me ne l’y ai jamais vu. En tout cas, ces parlementaires guinéens avaient dû quitter le PAP en décembre 2008 suite au putsch du CNDD et la suspension de la Guinée des instances de l’UA.
C’est justement au PAP que je l’avais rencontré, pour la première fois, un mercredi, 17 octobre 2007 (je viens de le vérifier dans mon journal). L’Honorable Kanté présidait alorsla Commission Coopération, relations internationales et résolutions de conflits, l’une des dix commissions permanentes du PAP. Etait membre de cette commission, en ce moment même, un certain Mohamed Bazoum, l’actuel ministre nigérien de l’intérieur et dauphin déjà officiellement désigné pour succéder à Mahamadou Issoufou comme candidat du parti au pouvoir à Niamey en 2021. En était membre également un certain Roger Nkodo Dang, l’actuel président camerounais du PAP. L’actuel président malien, IBK, et le future ancien président ghanéen, John DramaniMahama (2012-2016), étaient tous membres du PAP (mais d’autres commissions) en ce moment.
C’était une heureuse coïncidence pour moi. Cette commission avait un protocole d’accord avec le bureau de Pretoria de l’Institut d’études de sécurité que je venais de rejoindre en tant que chercheur. Conformément à cet accord, l’Institut envoyait des experts à chaque session ordinaire du PAP pour briefer les membres de la Commission sur des situations de conflit à travers le continent, avec des recommandations concrètes. J’étais allé ce jour-là, avec d’autres collègues, pour briefer les parlementaires sur le conflit au Sahara occidental et le processus de paix onusien dit « Manhasset ».
Pas uniquement au cours de cette session, mais celles de mars et d’octobre 2008 aussi, j’étais très impressionné par ses qualités de leadership et de comment il modérait les séances. Ses qualités humaines aussi. J’ai continué d’aller briefer les parlementaires de la Commission après 2008 – et les ai mêmeaccompagnés à une mission d’enquête au Darfour en 2009comme expert/personne ressource – jusqu’à mon départ de l’Institut pour rejoindre la Commission de l’Union africains à la mi-2012. Mais toutes les fois, ses anciens collègues ne cessaient de me rappeler de la grande estime qu’ils avaient pour leur ancien président, mon illustre compatriote, que j’appelle, volontiers, « oncle ».
Il n’est donc pas surprenant que le Président du PAP déclare aujourd’hui que son décès est une grande perte pour le continent africain. Dans un communiqué publié sur le site du parlement panafricain, l’Honorable Dang fait ce témoignage : « Depuis qu’il a rejoint le Parlement continental en mars 2014, l’Honorable Kanté a fait une immense contribution à la réalisation du mandat de notre institution. Il a servi avec dévouement et bravoure ; c’est pourquoi nous nous souviendrons toujours de sa vie comme ayant été celle d’un héro africain ». Le même communiqué ajoute que lesdrapeaux demeureront en berne sur le Parlement jusqu’aux obsèques du défunt. Un livre des condoléances y a également été ouvert.
Depuis ses premiers pas dans l’administration guinéenne au début des années 70, il a servi sous les trois républiques,gravant les échelons jusqu’aux rangs d’ambassadeur et de ministre. On ne pouvait pas ne pas être frappé par l’étendue de ses connaissances et son regard encyclopédique sur les développements sociopolitiques en Guinée. En guise de conseils, il m’a raconté des histoires fort intéressantes sur les trois républiques et leurs leaders respectifs, y compris certains de ses échanges instructifs avec ces derniers, notamment Lansana Conté et Alpha Condé. Il m’a fait part de raisons de satisfaction, et de causes de préoccupation. Dans nos échanges, en Afrique du Sud, dans son bureau à l’Assemblée nationale ou chez lui à Yimbaya Soliprimo, j’en prenais congé chaque fois plus éclairé qu’avant notre réunion. J’étais donc toujours touché quand il me disait être « fier » de moi.
C’est une bibliothèque humaine qui vient de s’éteindre. C’est un homme de grande expérience qui vient de nous laisser. C’est un leader qui se souciait de l’avenir sociopolitique de notre pays. Quelle perte pour la Guinée ! Mes condoléances les plus émues à ta famille éplorée, et à l’ensemble de tes collaborateurs. Que ton âme repose en paix, oncle !
Dr Issaka K. Souaré