La situation socio-politico-économique de la Guinée fait couler les larmes à grand débit. Des années passent et se succèdent, des gouvernements tombent et se remanient, des présidents chutent ou meurent et se font remplacer, mais la condition des Guinéens va toujours de mal en pis. Chaque fois qu’une lueur d’espoir transparait à eux, elle disparait avant même qu’elle n’ait pu s’affirmer réellement. Cet infini hoquètement de souffle entrecoupé tel un éclairage stroboscopique condamne la Guinée à un perpétuel recommencement de son triste passé, très peu resplendissant sur le plan des valeurs humaines et de l’émancipation politico-économique et sociale.
Face à cette confusion diffuse vis à vis du passé et du présent de ce pays, il serait judicieux de s’interroger non pas uniquement sur son avenir, mais aussi et surtout sur la nécessité de savoir ce que les Guinéens voudraient exactement que soit ou que devienne leur pays. Une terre de brutalité et d’injustice permanente où une minorité continue d’accaparer ce qui appartient à tous, ou bien au contraire une Oasis où chacun trouve sa part de bien-être et continue d’y vivre en paix et dans l’espérance ?
Car, si on laisse de côté les sombres périodes de Traite transatlantique et de colonisation, on pourrait affirmer que depuis 1958 les Guinéens endurent leur malheur. Faisons rapidement le compte : 26 ans de dictature civile, 24 ans d’autocratie militaire, 2 ans de chaos militaire, 11 ans supplémentaires d’autocratie civile et maintenant ? Tout ça pour quel bilan ? Il suffit de débarquer dans ce pays, d’emprunter ses routes, de visiter ses hôpitaux, écoles, prisons, cimetières, marchés, tribunaux, palais et ministères, de sillonner ensuite quelques-unes de ses villes pour se faire une idée du drame, de la désolation et de l’humiliation que vivent les Guinéens, ce peuple d’Afrique de l’Ouest, pourtant autrefois symbole de courage et berceau des grands empereurs de cette région. Quel destin tragique !
Depuis dimanche 5 septembre 2021, souffle à nouveau sur la Guinée le vent d’une relative liberté reconquise après tant d’années de violence politique, de saignements des corps et des cœurs, de replis identitaires, de spoliations et d’accaparements par quelques-uns d’acquis collectifs, bref de corruption généralisée des mœurs politiques et de gabegie financière ostentatoire. Ceux qui ont mis fin à ce pouvoir corrompu et prétorien, sont parmi ceux-là mêmes qui lui donnaient toute sa force et son assurance. Mais leur acte de bravoure et leur détermination de risquer leur propre vie pour mettre fin aux sévices de ce régime monstrueux doivent être interprétés comme une action salvatrice leur valant le pardon des victimes ici-bas et peut-être même, espérons-le, une expiation de leurs péchés dans l’au-delà (pour ceux qui y croient).
D’autant qu’une fois les Affaires entre les mains, et ayant tiré les leçons du passé, les nouveaux maîtres du pays ont décidé de mettre de l’ordre dans l’administration publique avant de créer les conditions d’un retour à « l’ordre constitutionnel normatif », qui passe par l’organisation d’élections libres, transparentes et inclusives, donnant forme et fond à un président civil « élu démocratiquement ». À travers la Charte de la Transition dont la durée est toujours équivoque, de nombreux engagements ont été pris et certains actes ont été posés, même s’ils ne font pas tous l’unanimité. Car, si la plupart des Guinéens ont acclamé l’idée d’une « refondation de l’État », nombreux sont ceux qui semblent être frustrés par la tournure que cela prend. Notamment lorsque d’anciens dirigeants de ce pays, aujourd’hui devenus des leaders de partis politiques d’opposition, sont touchés par les réformes engagées.
C’est le lieu d’évoquer ce fameux épisode de déguerpissement de plusieurs anciens hauts cadres du pays des domaines (appartenant à l’État) qu’ils occupaient jusque-là et qu’ils avaient acquis durant l’exercice de leur fonction d’autorité. Une fonction sans l’aide de laquelle, avouons-le, ils n’auraient probablement jamais pu s’octroyer de tels privilèges. Et à un moment, faut-il l’avouer également, où l’État manque cruellement d’habitations disponibles pour pouvoir loger ses ministres nouvellement nommés.
Que la manière privilégiée par les nouvelles autorités du pays dans cette opération de « Récupération des domaines de l’État » soit inappropriée est totalement compréhensible. Pour autant, que la réponse des leaders concernés de s’exécuter en quittant bon gré mal gré les domaines litigieux, conduise leurs partisans et sympathisants politiques à commettre des actes d’incivisme sur la voie publique, en s’attaquant aux biens publics et en les vandalisant est lourdement condamnable.
En tout état de cause, en se refusant d’accorder un délai raisonnable aux prévenus de libérer les biens en cause et en faisant montre d’une force brutale intimidante le jour de leur expulsion, les autorités de la Transition ont fait la preuve que la Guinée est loin d’être sortie du temps de l’exercice du pouvoir par la force. Ils ont prouvé ainsi que la Justice n’est pas encore, contrairement à leur promesse, « cette boussole qui orientera chaque citoyen de ce pays ». Autrement dit, la force fait encore loi en Guinée et l’emporte tendancieusement sur le droit.
À contrario, on a pu aussi constater que certains prévenus parmi ceux qui étaient visés par ces déguerpissements, poussés par la rage de devoir libérer pressamment leurs domiciles, n’ont guère hésité en les quittant, de vandaliser les édifices qu’ils ont occupé pendant des dizaines années, en les démantelant presqu’entièrement, n’y laissant ni portes ni fenêtres ni tôles. Face à de tels comportements venant de la part de ceux qui furent parmi les plus hauts dignitaires de ce pays, on est évidemment en droit de se demander quel genre de mentalité ont la plupart de nos compatriotes, peu importe leur niveau d’instruction ou leur statut social. Car si des hauts cadres du pays peuvent se comporter de la sorte, que pourrions-nous dire du citoyen tout court ? Avons-nous vraiment conscience de la gravité de tels comportements dans une société qui aspire à la justice et au développement ?
Guinéens et Guinéennes, l’Heure approche et nous ne saurions rester éternellement à la croisée des chemins. Il faudra, pour pouvoir nous développer, que chacun accepte de faire sa part de contribution, de payer sa quote-part. La fonction publique doit servir l’intérêt général du pays et inspirer la confiance du public. Ceux qui occupent des fonctions d’autorité ou qui les recherchent doivent être des modèles irréprochables pour le reste de la population. Ce sentiment patriotique doit être ancré en chacun d’entre nous, de sorte que le citoyen qui aspire à briguer un poste de responsabilité doive être honnête envers sa propre conscience et s’assurer qu’il possède les compétences que requiert l’exercice de la fonction dévolue à ce poste.
Le mensonge doit être banni des services publics, encore faudrait-il le bannir simplement de la vie du citoyen. Ceux qui ont menti sur leurs formations, leurs compétences et leurs expériences pour pouvoir accéder à quelque fonction que ce soit ne sont coupables qu’envers eux-mêmes. Ceux-là trahissent la confiance de leurs compatriotes, déshonorent le pays et contribuent à propager une piètre image de l’administration publique. Honte à eux !
Chers compatriotes, l’histoire de notre pays montre clairement que ni la prise du pouvoir par les armes ni sa conquête par le biais d’élections démocratiques n’ont permis jusqu’à date de sortir le pays de la pauvreté et de la mal gouvernance. C’est pour cette raison que nous devons faire l’économie de nos émotions partisanes et dissiper nos haines identitaires en cette période cruciale de notre histoire pour nous engager chacun en ce qui le concerne à concéder une partie de soi afin de faire de la Guinée une terre d’espérance pour tous. Une occasion que nous avons malheureusement manquée à chaque rendez-vous de notre histoire.