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Guinée : pourquoi l’alternance démocratique ?

La question peut paraître provocatrice ou même choquante à certains égards parce qu’elle peut faire croire à une tentative de sabotage de la démocratie qui prescrit l’alternance à la tête d’un État par la voie des urnes comme un de ses moments forts.
Or, l’apparence n’étant pas la réalité, la question posée est donc loin, très loin de critiquer l’alternance démocratique à laquelle les citoyens ont légitimement droit.
Bien au contraire, il s’agit d’un questionnement éminemment démocratique qui admet entièrement la pertinence et la nécessité impérieuse de l’alternance démocratique dans la marche du pays.
Cependant, elle veut attirer une vive réflexion sur l’objectif que poursuit l’alternance dans un contexte comme le nôtre. D’une part, l’alternance vise t-elle le changement du personnel politique, le départ d’un groupe et l’arrivée d’un autre, ou bien l’alternance vise le changement du système ?D’autre part, l’alternance voulue est-elle ethnique ou idéologique ? Ces interrogations sont toutes légitimes dans un débat libre et démocratique.
En effet, jamais dans son histoire politique, la Guinée n’a connu l’alternance démocratique au sommet de l’État. Aucun président au pouvoir n’a encore perdu une élection permettant à son concurrent de prendre sa place. L’ouverture démocratique initiée par le Général Lansana Conté après la prise du pouvoir par l’armée a certes permis la tenue de plus d’une élection présidentielle, mais elle n’a pas empêché ce dernier à demeurer jusqu’à son dernier souffle le maître suprême du palais présidentiel.
Avant lui, le Président Ahmed Sékou Touré était à la tête d’un régime où il était suicidaire de se déclarer opposant. Les deux présidents ont ainsi régné pendant un peu plus d’un demi siècle sans que les guinéens ne vivent une seule fois l’alternance démocratique par la voie des urnes.
À la mort de Lansana Conté, le Capitaine Moussa Dadis Camara à la tête d’une junte militaire avait au départ promis la transmission du pouvoir aux civils avant de se retracter et d’être lui-même intéressé par celui-ci. Il a fallu l’entrée en scène du Général Sékouba Konaté, après la mise à l’écart de Dadis pour que les guinéens puissent voter en 2010 leur président, en la personne du Professeur Alpha Condé, dans le cadre d’une élection réunissant plusieurs candidatures concurrentes.
Il ressort très clairement de ce cheminement historique que les chefs d’État guinéens se sont succédés à la tête du pays soit par suite d’une mort naturelle (cas de Sékou Touré et Lansana Conté), soit par une mise à l’écart provoquée par autrui (cas de Dadis Camara) et soit par un retrait volontaire (cas de Sékouba Konaté) après la tenue d’une élection qui a propulsé Alpha Condé à la tête du pays.
Ainsi, la Guinée a plutôt connu une succession de chefs d’État par différents mécanismes mais non par une alternance démocratique dans le sens d’une victoire électorale remportée par un président entrant contre un président sortant.
L’autre question soulevée par la nécessité de l’alternance démocratique est de savoir ce que sera sa valeur ajoutée compte tenu de la nature du combat politique en Guinée. Ce combat se résume dans ses grandes lignes par une confrontation essentiellement ethnique. Les formations politiques les plus importantes du pays ne se définissent pas par leurs positionnements idéologiques ou leurs visions en faveur du développement. Au contraire, elles se distinguent par leurs capacités d’instrumentalisation des groupes ethniques auxquels appartiennent leurs leaders et qui forment autour d’eux un bloc homogène rigide.
Cela est rendu possible par le fait que l’État en Guinée est encore et toujours dans sa forme néo-patrimoniale du pouvoir. Il est régi par un régime où ceux qui ont accès aux ressources nationales se préoccupent tout d’abord de « prendre soin » des leurs. Cette logique aboutit à la mise en place d’un système de redistribution où seuls auront accès aux postes de responsabilité les membres du réseau clientéliste constitué principalement des membres de l’ethnie auquel appartient le chef d’État. Et ce dernier n’a qu’un souci : demeurer à vie au pouvoir. C’est la seule garantie que lui et les siens continueront de bénéficier de leurs privilèges. Ils passeront ainsi la part la plus productive de leur temps à simuler des subversions et des complots, attribués à d’autres groupes ethniques dont le crime serait de rêver de prendre leur place.
Ainsi, l’alternance recherchée ressemble fort à une alternance ethnique qui dans le fond, ne change pas grand chose dans les maux de la société. Ce type de combat ramène perpétuellement sur la scène publique les mêmes problèmes d’unité et de cohésion sociales auxquels les citoyens sont confrontés dans l’ensemble. Dans ces conditions, le risque pour les nouveaux venus, à la suite d’une alternance même régulière, d’être combattus pour les mêmes raisons est énormissime.
Les partis politiques, les plus significatifs par le nombre, se battent en réalité pour les mêmes raisons : conquérir le pouvoir, s’y maintenir et s’approprier ses privilèges à titre exclusif et jamais dans l’intérêt collectif. C’est du moins l’impression qui se dégage en observant de près le combat politique en Guinée.

Or, il y a nécessité que le combat politique mute Guinée. Que la confrontation idéologique se substitue à la confrontation ethnique afin que l’alternance gagne en crédibilité et devienne la source d’évolution de nos mœurs politiques rétrogrades. C’est aussi à cette condition que l’alternance souhaitée pour la vitalité de la démocratie dans notre pays apportera un profond changement de notre système de gouvernance et renforcera l’unité nationale, qui reste le plus grand défi de la Guinée depuis plus de 60 années d’existence en tant qu’État.

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