C’est la question qu’il faut peut-être se poser maintenant après la validation de la victoire d’Alpha Condé pour la présidence à vie. Cette question est d’autant plus utile que désormais, l’opposition dans sa version actuelle risque de perdre beaucoup de ses forces en Guinée au cours du troisième mandat d’Alpha Condé. Ceci pour au moins trois raisons : d’abord parce que les principaux partis politiques de l’opposition et leurs chefs sont maintenant neutralisés et donc mis hors d’état de nuire ; ensuite parce que la seule force qui aurait pu être capable de rendre possible un changement pacifique est actuellement moribonde puisque la raison même de sa création n’est plus à l’ordre du jour, car la Guinée a maintenant une nouvelle Constitution et un président élu pour la nouvelle République ; et enfin parce que de nombreux signes indiquent que le processus de démocratisation amorcé dans le pays au début des années quatre-vingt-dix est gravement menacé de s’arrêter pour un certain temps.
En effet, il n’est guère besoin de s’attarder sur ces trois points ci-haut évoqués pour dire que l’opposition en tant que force politique organisée et ayant un objectif allant au-delà de la poursuite des intérêts individuels de ses membres n’existe pas encore en Guinée. Les différents partis politiques qui la constituent n’ont pas été capables jusqu’à ce jour de s’entendre sur les fondamentaux de leur lutte commune et par conséquent de s’unir comme les éléments d’un système physique pour avancer tous ensemble d’un même pas. L’épisode qui a précédé le scrutin présidentiel dernier en dit long sur l’ampleur du chaos et de l’individualisme qui prévalent dans ce milieu de toutes les « couleurs ». D’autant plus que le simple fait qu’il y ait eu plus d’un parti politique (dont onze de l’opposition) dans la course à la présidentielle dernière légitime à plus d’un titre la nouvelle République guinéenne et toutes les institutions qui viennent avec.
Deuxièmement, le Front national de défense de la Constitution (FNDC), malgré ses multiples manifestations de protestation contre le changement constitutionnel, n’a pas pu atteindre cet objectif cardinal. Sans ignorer le fait que face à ses revendications le régime n’a ménagé aucun effort pour résister, y compris et souvent par la répression violente et meurtrière des manifestants. Avec le temps, le pouvoir, par divers harcèlements, a rendu la tâche de mobilisation des troupes à l’interne difficile pour le FNDC, sans oublier que le front, dont une partie des militants est basée à l’étranger, faisait lui-même face à des divisions internes qui ont fragilisé son unité d’action. On de demande aujourd’hui, comment ce Front peut reprendre le poil de la bête après tant de traumatismes subis.
Enfin, il y a aussi le fait que la démocratie guinéenne est plus que jamais menacée aujourd’hui. Les récents propos tenus par le président de la république sur les antennes de la Radio Télévision Guinéenne (RTG) après la confirmation de sa victoire par la Cour constitutionnelle, illustrent parfaitement le risque d’aggravation des dérives autoritaires qu’il est en train de prendre encore. En effet, ces propos ont résonné sur plus d’une oreille, notamment par leur tonalité revancharde visant explicitement certains cadres de son propre camp ainsi que ceux des camps adverses qui auraient selon lui profité des ressources publiques pour se construire des villas. Le président Alpha les menace publiquement en ces termes :
« Tous les gens qui ont construit des grandes villas, on va enquêter pour savoir comment ils ont construit : est-ce que c’est avec leurs salaires ou avec un prêt bancaire ? Et ça concerne tout le monde, opposition comme mouvance présidentielle. Parce que l’argent de la Guinée doit désormais servir au peuple de Guinée. Notre mandat maintenant c’est d’améliorer le panier de la menagère. »
Ces paroles du président, tout en confirmant que jusqu’au moment de les prononcer l’argent de la Guinée ne servait pas le peuple de Guinée, présagent indiscutablement que nous allons vers une chasse aux sorcières qui vise pour l’instant les opposants au pouvoir. Mais si jamais dans un esprit de justice, les enquêtes sur les conditions d’enrichissement s’étendent sur tous, une bonne partie des barons de son pouvoir serait engloutie. En effet, les premiers actes posés par le pouvoir laissent penser que l’on fait désormais face à un président déterminé à en finir avec ses adversaires politiques et il a dans cette bataille, l’avantage d’avoir mis au pas toutes les institutions de la République, en particulier les forces de défense et de sécurité connues pour leur recours démesuré à la force devant les civils.
Devant ces évidences, à défaut d’avoir manqué de sauver la démocratie en ces périodes de négation inquiétantes de ses principes, l’opposition devrait entamer une profonde réflexion sur la manière de renouveler la lutte contre le pouvoir qui ne lésine sur aucun moyen pour se maintenir. Après tant de dégâts causés dans le camp de l’opposition, sous le regard souvent désintéressé de la communauté internationale, le temps est peut être venu de changer de stratégie dans la poursuite déterminée de sa lutte. Cette nouvelle stratégie qu’elle a la responsabilité de définir, condition de sa survie, devrait inclure, face au bilan meurtrier des manifestations, un chapitre entièrement consacré à la protection de la vie de ses militants face à la brutalité des forces de sécurité et de défense.
Agir en préservant sa vie dans l’espérance d’un avenir victorieux
Force est de constater que nous assistons depuis un certain temps en Guinée et ailleurs dans la sous-région, pour ce qui concerne cette partie du monde, à une recrudescence des scènes de violence de tous genres et venant de toutes parts où des citoyens sont impunément exterminés pour le seul motif qu’ils ont osé exercer leur droit constitutionnel de manifester pour exprimer leur désapprobation vis-à-vis de telle ou telle décision de leurs gouvernements d’une part, et d’autre part parce qu’ils auraient appartenu à telle ou telle partie dissidente. Notre condamnation de ces actes de folie est totale quels qu’en soient leurs auteurs et quel que soit le lieu. Ceci dit, il fait aussi largement consensus aux yeux de l’opinion dominante quant au fait que la vie humaine doit être préservée et ne doit en aucun cas être mise en danger volontairement. C’est pourquoi le militant politique animé par un désir indéfectible de justice et de paix doit bien penser la manière dont il souhaite mener son combat contre l’autoritarisme du régime guinéen en prenant soin de préserver sa propre vie et celle des autres, car seuls les vivants peuvent livrer combat pour améliorer l’avenir.
Pour agir efficacement sur le cours des événements sans donner ni recevoir de coups et blessures, les mouvements de protestations de la société civile et des partis politiques de l’opposition peuvent s’en tenir uniquement aux moyens que leur offrent la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et ses protocoles additionnels relatifs aux droits de la femme, ainsi que le traité révisé de la CEDEAO et ses protocoles sur la démocratie et la bonne gouvernance; la Charte de l’Organisation des Nations unies; la Déclaration universelle des droits de l’homme, ainsi que les Institutions de la République de Guinée elle-même pour exercer des recours en justice en vue de mettre la pression sur le régime et faire reconnaitre leurs droits. Concrètement, ils peuvent organiser des plaintes collectives en justice, pour meurtres de masse, mise en danger de la vie d’autrui, violation des droits des mineurs et violation du code de déontologie des forces de police et de gendarmerie, etc.
De telles pressions peuvent pousser l’exécutif et le législatif à suspendre, voire interdire totalement l’usage, contre les manifestants, d’armes à feu et des grenades de désencerclement, ainsi que l’emploi abusif de la force entraînant la mort. De même, en multipliant des actions de ce type, l’État peut être amené à indemniser gracieusement les victimes des violences policières ainsi les familles de celles qui sont décédées. Aussi, cela pourra donner lieu à des sanctions administratives et pénales contre les forces de police ou de gendarmerie coupables de crimes de sang et de bavures telles que les interpellations arbitraires d’innocents qui pourraient finir par être interdites sous l’effet des pressions incessantes.
Pour un souci de préservation de la paix et de l’unité du pays, il est à espérer que l’État accepte lui-même de contribuer à ces efforts de rétablissement de la justice et du droit en ordonnant une commission d’enquête parlementaire sur les pratiques policières et judiciaires qui doivent débouchées sur des préconisations législatives et judiciaires à l’encontre de leurs dérives. Cela devrait renforcer le contrôle des services de police et de gendarmerie, en sus de leurs inspections générales propres, par des instances indépendantes de leurs ministères de rattachement (Intérieur et Défense), et si possible dépendant du ministère de la Justice.
Aussi, faut-il le souhaiter, l’État devrait ordonner le désarmement des forces de maintien d’ordre et de tous les corps spéciaux créés récemment pour réprimer les manifestations. Enfin, tout cela devra être courronné par la création d’une coordination nationale contre la répression, pour le respect des libertés constitutionnelles et des droits humains, ainsi que pour la promotion des droits démocratiques.
C’est au prix de ces sacrifices que la tendance autoritaire qui est en train de s’implanter dans la quatrième République guinéenne rebasculera, peut-être, vers la démocratie actuellement en agonie. Prions pour sa ressurection !