Le nouveau gouvernement dirigé par Kassory Fofana a pris fonction dans un contexte de forte pression sociale pour une transparence accrue de la vie publique. La pression vient surtout de la société civile et de quelques activistes des réseaux sociaux qui ne cessent de réclamer le respect scrupuleux de l’article 36 de la constitution du 7 mai 2010.
Cet ambitieux article exige notamment du président de la République, des ministres du gouvernement, du président de l’Assemblée nationale et de certains autres hauts responsables de l’État, la déclaration « écrite et sur l’honneur » de leurs biens auprès de la cour constitutionnelle avant leur entrée en fonction et à la fin de celle-ci. La procédure commande aussi qu’une copie de ces déclarations soit transmise à la cour des comptes et aux services fiscaux. Toutefois, la déclaration du président de la République quant à elle, se fait, selon la constitution, après sa cérémonie d’investiture.
Application discriminée de l’article 36 de la constitution, source de confusions
Malgré quelques décalages dans le temps, le Premier ministre et les autres membres du gouvernement se soumettent sans coup férir à cette obligation constitutionnelle. Une autre pression sociale qui se fait forte est celle qui consiste à demander aux ministres sortants de déclarer leurs biens alors même qu’ils ne l’avaient pas tous fait avant leur entrée en fonction. On se retrouve alors dans une situation où il est fait une application discriminée, sans motif légal, du fameux article 36.
En ce qui concerne les ministres sortants et reconduits dans le nouveau gouvernement, la question se pose de savoir dans quelles conditions il sera procédé à la justification éventuelle de l’écart entre le patrimoine dont ils disposaient avant leur entrée en fonction et celui qu’ils ont à la fin de cette fonction ?
Outre les défis techniques auxquels un tel examen fait appel, on se rend aussi compte à quel point le non respect ou le respect partiel de la loi peut être source de difficultés pour des personnes qui se trouvent dans les mêmes situations au regard de l’article 36 de la constitution.
Pour un droit d’accès des citoyens aux déclarations des biens
Des voix s’élèvent également pour exiger, comme c’est le cas dans d’autres pays, l’accès de tout citoyen qui le désire aux déclarations des biens des personnalités publiques assujetties à l’article 36. Si le droit d’accès des citoyens à ces déclarations n’est pas encore consacré par les textes en vigueur en Guinée, force est cependant d’admettre que la reconnaissance d’un tel droit contribue à améliorer nettement la visibilité des citoyens sur la variation du patrimoine de leurs dirigeants entre le moment où ils entrent en fonction et le moment où ils en sortent.
Dans un pays comme la Guinée, la reconnaissance de ce droit introduira une sorte de contrôle citoyen sur la gestion des dirigeants publics lorsqu’on sait par ailleurs que certains parmi eux sont soupçonnés à tort ou à raison par l’opinion de s’enrichir sur le dos du contribuable.
Les attentes en ce qui concerne la mise en œuvre de l’article 36
Pour ne pas être en déphasage avec la demande sociale de moralisation de la vie publique, le nouveau gouvernement a tout intérêt à réserver à celle-ci, la place qu’elle mérite en mettant notamment l’accent sur l’application des lois existantes et sur leur adaptation à un environnement évolutif de manière à répondre aux demandes actuelles et futures de transparence.
La reforme souhaitée à ce titre est l’accessibilité de tout citoyen qui le désire aux informations relatives au patrimoine des personnalités publiques assujetties à l’article 36. Le premier effet positif de cette reforme sera la mise en place des conditions objectives de la confiance des gouvernés dans les gouvernants dans un pays frappé par le fléau de la corruption. Le second effet positif sera sans doute la valorisation de la fonction ministérielle et de certaines autres hautes fonctions au sein de l’État. Ces fonctions ont aujourd’hui besoin de retrouver leurs lettres de noblesse à travers la défense de l’intérêt collectif au détriment des intérêts égoïstes.
Les préalables d’une reforme réussie
Les grandes reformes ont besoin d’un contexte social favorable et d’une volonté politique affirmée pour donner des résultats probants. Sur le plan social, de nombreux signes indiquent aujourd’hui que l’ambition du nouveau Premier ministre de lutter contre la corruption, si elle venait à prendre corps, rencontrera un contexte social favorable. Sur le plan politique en revanche, d’importants défis restent à relever par le nouveau Premier ministre. En effet, les doutes qui naissent sur l’effectivité de ses marges de manœuvre ont besoin d’être rapidement dissipés à travers un soutien politique fort venant du chef de l’exécutif. Toutefois, avec l’élan pris cette semaine par le président de la République, sur proposition de son premier ministre, de frapper fort les hauts responsables des régies financières de l’État accusés de malversation financière, il est peut être temps de nourrir le mince espoir que la lutte contre la corruption connaîtra de nouveaux développements dans les mois et années qui suivent.
Youssouf Sylla, analyste-juriste, à Conakry.