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Guinée : L’État, mal absolu de la société guinéenne ?

La question mérite d’être posée tant l’État entretient en Guinée des relations complexes avec la société. Au départ, la société, en tant que groupement humain n’était pas dirigé par l’État. Ce dernier est donc le produit d’une évolution historique qui a permis aux membres de la société, entre lesquels existaient ou pouvaient exister des conflits de différents ordres, de renoncer à leurs forces individuelles au profit d’une structure représentative de l’intérêt de tous, l’État.

Incarnant la confiance de tous face à l’arbitraire, l’État a alors la lourde obligation de garantir la liberté des membres de la société dont elle est issue, de les protéger contre par les injustices à l’interne et les agressions venant de l’extérieur, et aussi d’assurer la prospérité de la société tout en veillant comme un bon père de famille sur les ressources collectives.

En Guinée, l’État fonctionne en totale contradiction avec les missions principales qui lui sont dévolues, garant de la sécurité de tous et de la liberté de chacun, et bon gestionnaire des ressources publiques. L’État guinéen est donc en faillite.

Preuves de la faillite de l’État 

À travers les régimes successifs, cette faillite de l’État guinéen est constatée par sa criminalisation, la domination de l’appareil judiciaire par les forces économiques et politiques, la partialité et la politisation de l’administration publique et l’appropriation personnelle des ressources communes.

Certains évènements, comme ceux du 28 septembre 2009 ayant eu lieu au stade qui porte le même nom,mettent en évidence la criminalisation de l’État. À cet endroit précis, l’État s’est livré à une tuerie de masse au seul motif qu’il n’approuvait pas un rassemblement l’invitant à restituer le pouvoir aux civils. On peut citer, avant et après 2009, de nombreux autres évènements où l’État, par ses agents de sécurité et de défense a tué par balles des manifestants alors qu’il pouvait les maîtriser autrement.

Étant nés dans la méfiance même du pouvoir étatique, le deuxième amendement de la constitution américaine autorise le port d’armes par les citoyens pour se défendre dans les limites fixées par la loi. Les médias, à cause des fusillades enregistrées dans le pays, dénoncent avec raison les abus de cette autorisation, mais jamais sa justification historique n’a pu être renversée devant la Cour suprême américaine. Sans en arriver là en Guinée, l’État a néanmoins la stricte obligation de protéger les citoyens et surtout de ne pas se comporter comme un vulgaire criminel au point de représenter une menace réelle pour la liberté et la sécurité des gens.

La justice étatique en Guinée est contestée à cause del’orientation présumée des juges dans leurs fonctions de juger par les forces économiques et politiques. La corruption des juges est un sujet permanent de préoccupation des justiciables. Ceux-ci ont encore l’impression que face à un adversaire qui a les poches pleines d’argent, ils risquent de perdre un procès. Et si par chance, ils l’emportent, au moment de l’exécution du jugement, ils gardent toujours le sentiment que l’argentier perdant a encore la possibilité de faire échec à cette exécution.

Il y a aussi les influences politiques qui empêchent une bonne administration de la justice. Dans les affaires constitutionnelles, administratives, économiques et même civiles, il est fréquent que les justiciables perdent confiance dans l’indépendance de la justice et prennent l’attache d’un haut cadre de l’administration ou du parti au pouvoir pour exercer une influence sur le juge ou son supérieur. Certaines autres interférences dans le processus judiciaire, et non les moindres, sont le fait même des pouvoirs publics ou du parti politique au pouvoir. Le juge liant consciemment ou non son ascension professionnelle à son allégeance aux grands décideurs publics ou au leader du parti au pouvoir aura tendance à juger certaines affaires en fonction des directives données par ceux-ci.

Une autre preuve de la faillite de l’État est la subordination de l’administration publique aux désidératas de la formation politique au pouvoir. Au temps du premier régime, cette allégeance ne souffrait d’aucune ambiguïté. L’administration avait l’obligation d’incarner fidèlement dans son action les idéaux du parti unique, le PDG (Parti démocratique de Guinée), dirigé d’une main de fer par le responsable suprême de la Révolution, Ahmed Sékou Touré. Ainsi, face à d’autres courants sociaux contraires à l’idéologie du PDG, il était hors de question qu’on puisse s’attendre à une quelconque neutralité de l’État.

Les régimes qui ont succédé ont certes permis l’ouverture du champ politique à la contradiction et mis officiellement l’État au-dessus de la mêlée, mais la mainmise des partis politiques au pouvoir sur l’appareil étatique est restée la même, elle est même devenue au fil du temps une tradition bien ancrée. Cette tradition de partialité et d’instrumentalisation de l’administration publique pour des fins politiques sont démontrées après le premier régime, par les influences décisives que le PUP (Parti de l’unité et du progrès) sous Lansana Conté et le RPG (Rassemblement du peuple de Guinée) sous Alpha Condé ont exercé et continuent d’exercer sur l’administration publique.

La dernière preuve de la faillite de l’État porte sur le partage inégal des fruits des richesses nationales et leur captation par un groupuscule non représentatif de la société dans son ensemble. La gestion calamiteuse des ressources publiques est à l’origine d’un profond malaise social et de l’appauvrissement de la grande majorité. Classée pourtant parmi les pays les plus riches du continent, à cause de la qualité et de la quantité de ses ressources minières, halieutiques, hydriques et forestières, nombreux sont les guinéens qui s’interrogent sur l’état de leur économie et de leur manque de prospérité.

Bref, la faillite de l’État en Guinée est à l’origine de mille maux dans la société. Un de ces maux est la perte de confiance du public, y compris dans les gouvernants du moment qui, par peur de voir l’État monstre se retourner contre eux, font tout pour ne pas perdre son contrôle. Les gouvernants sont en effet les plus conscients des faiblesses de l’État, en leur qualité d’acteurs d’injustices commises en son nom.

La nécessaire réforme de l’État 

En Guinée, l’état a trop longtemps erré en allant dans tous les sens. Il est devenu comme un monstre froid qui empêche le déploiement à plein régime de la dynamique sociale. Il est devenu un poids trop lourd à porter à cause de ses injustices et son gaspillage des ressources nationales. Il est donc temps de le maîtriser et de le dompter dans la direction voulue par l’intérêt général. L’idéal est qu’enfin l’intérêt général prime sur les intérêts individuels, communautaires et sectoriels dans l’administration des affaires publiques.

Les différentes initiatives lancées à ce titre par les gouvernements successifs n’ont pas encore produit de résultats espérés. La société est encore sur sa faim et est clairement dans une posture attentiste. C’est par une réforme audacieuse et courageuse de l’État et sa mise en phase avec les aspirations authentiques de la société en matière de sécurité, de paix sociale, de libertés fondamentales et de partage des fruits de la prospérité, qu’il convient de s’atteler. Ceci ne peut venir que de la pression sociale et d’une volonté politique assumée des gouvernants.

Mais on constate que la campagne politique en cours pour le compte de la présidentielle d’octobre prochain s’intéresse à tout sauf à cette problématique essentielle. Il n’y a aucun débat, à part les attaques personnelles entre les candidats par médias interposés, sur ce sujet. Sans un optimisme désincarné, il est à craindre que le prochain président ne se mette à reconduire mécaniquement la tradition d’instrumentalisation de l’État pour des fins personnelles ou dans l’intérêt exclusif de son parti.

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